32. 2. Frêne

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Symbole d’espoir, d’apaisement

Je renais, je freine.

V.

Soudain, un grand boum éclate tout près d’elle. Vanessa sursaute, le poil hérissé par la peur. L’objet de sa frayeur est un sac à dos qui s’est écrasé sur sa droite. Oh. Elle lève lentement la tête et déglutit avec diffculté. Les yeux fixés droit devant elle, Mathilde se débat brutalement avec son manteau. Lorsqu’elle a terminé son combat, elle ouvre son paquetage d’un geste rageur, balance son ordinateur sur la tablette en bois avant de s’avachir sur sa chaise. Ses traits durs semblent encore plus sévères aujourd’hui. On aurait dit qu’une énergie électrique, brûlante, se diffusait autour d’elle ; un espèce de champ magnétique qui consumerait quiconque s’approcherait trop près de sa personne. Le corps de Vanessa se tend, son cerveau tire la sonnette d’alarme. Comme si elle était face à une bête sauvage, la jeune femme n’ose pas de geste brusque. Cela fait deux jours que Mathilde se trouve dans cet état, la future avocate ne doute pas que la moindre erreur lui coûtera un bras ou deux. Alors, elle rassemble tout son courage et se compose une expression enjouée :

— Ah, Mathilde ! Salut ! Tu vas bien ?

Elle n’obtient pas plus qu’un grognement courroucé. Sur sa gauche, Nina ne s’embarrasse pas d’un bonjour. Elle sait très bien qu’une telle politesse serait vaine. Vanessa se retient de ne pas tressaillir à chaque fois que Mathilde brutalise les touches de son ordinateur. Elle aimerait lui donner l’occasion de se confier, l’aider à se délester de sa mauvaise humeur. Elle avait déjà tenté un rapprochement en septembre en lui demandant si elle avait un garçon dans sa vie mais elle n’avait récolté qu’un roulement des yeux. À sa décharge, ce n’est pas la phrase la plus intelligente qui soit sortie de ma bouche, je l’avoue. Quoi qu’il en soit, elle avait conclu que Mathilde n’aimait pas parler de sa vie privée.

Ses yeux verts se posent sur le jogging troué de sa camarade. Fini les talons hauts et les pantalons à pinces de la rentrée. Depuis octobre, Mathilde a troqué le chic de ses vêtements pour des baskets colorées et des jeans trop grands pour elle. Si, d’habitude, elle faisait l’effort de mettre une élégante blouse ou un pull coquet pour ajouter une touche classe à son look décontracté, cette fois-ci - et les deux jours précédents - un sweat-shirt oversize recouvrait le haut de son corps. Pour apaiser son propre tracas, Vanessa plonge ses mains dans l’étoffe de sa jupe midi. Le tissu coule entre ses doigts, chaque maille grésille à son toucher. Puis elle empoigne la mousseline d’un air décidé. Elle se doit d’aider sa camarade ; négliger son apparence physique constitue sûrement un signal de détresse. Après avoir inspiré profondément, Vanessa insiste :

— Ça n’a pas l’air d’aller, toi. Est-ce que tu veux en parler ? Je suis certaine que l’on pourrait t’aider avec Nina ! On est là pour toi, je te le promets.

Le regard méprisant de la blonde se pose sur elle. Ô Mère Nature, sauve-moi. Prise au piège par ces iris noisette - ne tirent-ils sur le pourpre aujourd’hui ? -, Vanessa aurait préféré que le tonnerre d’un violent orage éclate dans ses oreilles. Cela l’aurait, à coup sûr, moins effrayée - et pourtant, qu’est-ce que je déteste ça !

L’air envahit à nouveau ses poumons lorsque Mathilde se détourne pour enlever son sweat-shirt. Sous celui-ci, un débardeur noir. On est en décembre, tu… Vanessa doit se contenir pour ne pas ouvrir une bouche béate devant la musculature de sa collègue de promo. Elle aurait dû se douter d’un tel physique, à la voir trimballer un sac de sport quatre jours sur cinq. Sur le point de questionner son hétérosexualité à observer les muscles jouer sous la peau de sa voisine, elle s’exhorte de se reconcentrer. Refreine ta bicuriosité, enfin !

Le dévouement de Mathilde pour le sport est manifeste depuis les premières semaines d’université. Vanessa s’est toujours demandé pourquoi celle-ci ne faisait pas une carrière de cette passion. Nina avait émis l’idée que leur nouvelle connaissance adorait humilier ceux qui travaillent avec acharnement mais toutes deux n’y croyaient qu’à moitié. Elle rabat une mèche acajou derrière son oreille. Changer de voie, c’est faire un pas vers l’inconnu. C’est choisir le cœur plutôt que la sécurité. Au fond d’elle, Vanessa espère sincèrement que Mathilde ait le courage de prendre cette décision plutôt que de continuer à se flétrir dans un environnement qui ne lui convient pas.

Elle jette un coup d'œil discret à la sportive. Sa camarade ne peut pas rester dans cet état-là. Elle a l’air d’une cocotte minute sur le point d’exploser. Alors, la future avocate reprend la parole :

— Mathilde…

— Vanessa, c’est très gentil de ta part de… t’inquiéter, crache son interloctrice entre ses dents. J’vais bien, je gère.

Toute la rage contenue dans ces mots, toute cette agressivité brûlante lui donne envie de lui tourner le dos et ne plus jamais lui adresser la parole. Exactement ce que Nina aurait fait à sa place. Mais Vanessa ne flanche pas. Elle ne cessera pas de tendre la main à Mathilde. Se faire des amis avec un tel caractère ne doit pas être simple. Personne ne mérite d’être laissé sur le côté à cause d’une difficulté à communiquer.

Jouant sa dernière carte, la jeune femme se baisse vers son sac à main et sort un rectangle cartonné qu’elle glisse vers Mathilde.

— C’est une place de concert pour Les Pingouins Adroits, murmure-t-elle avant de retirer ses doigts de l’invitation. C’est un groupe de rock qui commence à se faire un nom en ville depuis quelques semaines. Le show a lieu jeudi soir, on y va avec Nina. Tu peux te joindre à nous si tu veux. Ça pourrait peut-être… te changer les idées.

L’athlète considère la place d’un œil critique. Pendant un court instant, Vanessa imagine son ultime tentativée balancée à la figure. Mais lorsque la blonde s’empare du cadeau, les cals de ses paumes raclant le papier, une graine d’espoir germe dans la poitrine de sa collègue.

— Jeudi soir ? grogne Mathilde, un sourcil arqué.

— Tu n’es pas obligée de te décider tout de suite, rassure Vanessa en tentant un sourire. On va à la bibliothèque avec Nina cet après-midi. Tu peux venir avec nous et me rendre la place si jamais tu n’en veux pas.

Mathilde hoche la tête d’un air entendu, ses iris sombres toujours plantés sur l’invitation. Puis elle se tourne vers Vanessa :

— Merci beaucoup, chuchote-t-elle, la voix un peu tremblante.

Les lèvres de la passionnée de jardinage s’étirent. Elle acquiesce poliment tout en masquant la joie qui pétille dans son ventre. Elle jette un regard excité vers sa meilleure amie. Cette dernière lève les yeux au ciel avant de se repencher sur ses fiches de révision. Le vent souffle, les nuages s’enfuient et quelque part, le soleil brille.

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