- PRÉSAGE -
5 juillet. Les jours ont passés comme des secondes depuis que ce mystérieux message avait retenti pour la première fois dans l’esprit de Gabe. Il s’était refugié chez Caroline et tout allait beaucoup mieux au sein de cette petite famille. Joseph ne semblait plus le détester, du moins pas autant qu’avant. Anne se comportait comme une vraie mère pour lui et il ne manquait de rien. L’idée très sombre de voir l’armée manigancer de sales expériences s’était peu à peu dissipé. Caroline et lui tissait des liens encore presque insécable et leur relation prenait une tournure tout à fait sérieuse.
9h du matin. Le téléphone du vestibule sonna, perçant le silence du salon et dérangea Joseph qui lisait tranquillement la page des sport du journal. Refusant de se lever, il hurla :
Joseph – Caroline ! Téléphone ! L’adolescente descendit l’escalier en prenant garde de ne pas marcher sur sa robe de chambre. Elle décrocha le combiné et une voix sifflante lui dit :
Oliver – Caroline…C’est Olie, je dois vous montrer quelque chose, on se rejoint à 14h au perchoir…
Caroline – Ol…, sans qu’elle puisse terminer sa phrase, Oliver avait déjà raccrocher. Elle remonta l’escalier et son père hurla :
Joseph – C’était qui ?
Caroline – Une erreur papa ! son père poussa un petit grognement en signe de mécontentement.
Elle entra dans la chambre et prévint Gabriel, encore légèrement assoupi entre les draps, un filet de bave pendait de sa lèvre :
Caroline – Gabe ! Gabe ! dit-elle en le secouant dans tous les sens.
Gabriel – Quoi… marmonna-t-il, peu satisfait de ce réveil en fanfare.
Caroline – Oliver vient d’appeler !
Gabriel – Quoi ?! Qu’est-ce qu’il a dit ?!
Caroline – Il veut nous voir cette après-midi.
Gabriel – Il n’a rien dit d’autre ?
Caroline – Euh…Rendez-vous au perchoir, c’est tout.
Gabriel – Il doit surement avoir terminé son démodulateur.
13h30. Ils partirent de la maison des Stanhope, Carrie avait emprunter la bicyclette de sa grande sœur Rachel, rose avec un peu de rouille partout, cela ferrait l’affaire. Ils sillonnèrent les rues sous le soleil de plomb. L’air chaud et sec rendait chaque effort insoutenable et fatiguant. Ils gravirent la colline, le vélo sur l’épaule. De grosses gouttes de sueurs humidifiait le front gras et grumeleux de Gabriel tandis que Caroline se plaignait sans cesse de cette température infernale.
Oliver les attendait assis sur le banc, une casquette rouge aplatissait sa tignasse brune et frisée. Il essuya sa transpiration d’un revers de main et accourut vers Gabriel et Caroline. Sans qu’ils puissent le saluer, il répétait :
Oliver – Caroline ! Gabriel ! Vite, venez !
Caroline – Qu’est-ce qu’il se passe !
Gabriel – Olie, calme-toi.
Oliver – L’heure est grave, très grave. Caroline et Gabriel se regardèrent très inquiets. Ils s’approchèrent et s’assirent sur le banc. Oliver resta debout, un air affolé habillait sa face humide. Il se tenait la tête à deux mains et réfléchissait à haute voix :
Oliver – Comment on va faire ? Comment on va faire ? Gabriel, lassé de le voir s’agiter l’attrapa par les deux épaules et lui hurla :
Gabriel – Maintenant calme toi et dis nous ce qu’il se passe ! Oliver s’immobilisa, une expression neutre avait pris place sur son visage. Il bredouilla :
Oliver – Je suis calme…Je suis calme…
Gabriel – Maintenant explique nous ce qu’il y a de si « grave ».
Oliver – J’ai enfin terminé le démodulateur de fréquence.
Caroline – Et alors ?
Oliver – Alors ? Et bien il s’avère que ça fonctionne, j’ai capté pas moins d’une dizaine de signaux aujourd’hui.
Gabriel – C’est génial ! C’était l’armée ?
Oliver – Non, c’étaient souvent des radios amateurs très parasitées.
Gabriel – Dans ce cas pourquoi se mettre dans cet état ?
Oliver – Parce que j’ai capté un autre message…
Gabriel – Il disait quoi ? demanda-t-il alors qu’un frisson glacial parcouru sa colonne vertébrale.
Oliver – Je crois que quelque chose de terrible se profile, assura-t-il en sortant de son sac un petit tas de ferraille rapiécé avec un épais scotch marron.
Oliver – Voici le démodulateur de fréquence MM-08 de ma conception. Il permet entre autres de capter divers type de signaux et d’en connaitre la portance, l’intensité et par conséquent d’en connaitre la source d’émission.
Gabriel – On doit absolument essayer ça sur le message qu’on a intercepté chez Carrie
Oliver – C’est déjà fait…
Gabriel – Pardon ?
Oliver – C’est ça la chose terrible dont je parlais…
Caroline – Tu m’effrayes un peu là…
Oliver – J’avais volé plusieurs postes radio chez Bucks et Ducks, j’ai bien cru que le vieux Jenkins allait me voir.
Gabriel – Viens en au fait !
Oliver – Oui, pardon. J’ai capté le message sur les lignes, autant vous dire que c’est du gâteau en termes de sécurité. J’ai réussi à trouver la source de son émission…
Gabriel – Alors ?! Dis-nous !
Oliver – Gabe…C’est bien ce que tu croyais…, les paroles d’Olie glacèrent le sang de Gabe. Ses yeux s’écarquillèrent et son teint vira très pâle. Frappé par le choc, il préféra s’asseoir avant de s’effondrer. Il arborait un regard vide, fixant l’herbe sèche au sol, un petit souffle saccadé s’échappait d’entre ses minces lèvres.
Il tremblotait par intermittence et clignait des yeux très vite. D’une main tremblante, il recoiffa une mèche rebelle qui caressait son œil droit. Caroline demanda :
Caroline – Olie, alors, d’où ça vient ?
Oliver – L’appareil m’a indiqué que la source du signal se trouve approximativement à une dizaine de kilomètres au nord de la ville.
Caroline – Qu’est-ce qu’il peut bien y avoir à cet endroit.
Oliver – Le laboratoire…
Gabriel – C’est impossible ! hurla-t-il d’une voix étouffée.
Oliver – L’appareil ne se trompe pas.
Gabriel – Et bien cette fois si…
Oliver – Tout qui voulait presque que ça soit vrai, je te trouve soudain très différent.
Gabriel – Parce que cela signifie que nous courrons à notre perte…
Oliver – J’ai déjà prévu d’aller y jeter un coup d’œil, vous vous joigniez à moi ?
Caroline – Je pense que Gabe a besoin de repos.
Oliver – Disons…Demain, assura-t-il en adressant un quart de sourire à son ami, tout blotti contre Caroline.
Quelque peu gêné par la situation, Oliver prétexta qu’il devait récupérer les photos que sa mère avait fait développé, il n’en était rien. Il rebroussa chemin et descendit la colline sur son vélo, la mâchoire légèrement serrée.
Gabriel se releva faiblement, ses jambes ne donnait pas l’impression de pouvoir tenir sous son poids, elles fléchirent largement quand ce dernier essaya de marcher. D’un pas lent et difficile, il avançait en tenant le bras de son amie. Peu rassuré de son état, elle l’interrogea :
Caroline – Tu es sûr que ça va aller ?
Gabriel – Oui ce n’est rien, un petit contre coup.
Caroline – Je m’inquiète pour toi…, assura-t-elle en déposant ses mains sur les deux joues maigres de Gabe. Il ne lui adressa qu’un simple regard idiot et continua de marcher. Elle retint son bras et fixa ses yeux vides, il répondit d’un sourire en coin. Il redressa son vélo et enjamba la selle. Une profonde respiration vient alimenter ses deux poumons essoufflés. La route du retour serait compliquée, il appréhendais déjà chaque virage, chaque courbe par crainte de s’effondrer et de finir dans un fossé.
Caroline le regardait s’éloigner, il prenait déjà des dizaines de mètres d’avance. Elle combla l’écart en redoublant d’effort sur les pédaliers et revint à sa hauteur.
L’esprit de Gabe semblait avoir doucement quitté son corps et errait peut-être dans les parages, un corps errant survolait la route sur sa monture et filait à toute vitesse, cheveux au vent. Ce corps inhabité prenait le soin d’esquiver les cailloux, les racines et les nids de poules. Caroline ne faisait qu’hurler tandis que le vélo de Gabe fonçait tout droit sur une armée de voiture. Il divaguait toujours, n’entendant même pas le boucan infernal des klaxons. Sur l’autre voie, Caroline gesticulait dans tous les sens pour le faire réagir.
Il se rapprochait dangereusement de cette attroupement automobile lancé à vive allure. Tout à coup son esprit semblait avoir retrouvé sa place dans sa tête et il réagit en un quart de seconde pour éviter toutes les voitures qui fondaient sur lui à 100km/h.
Il perdit l’équilibre après un écart grossier et se retrouva sur le bas-côté. Sur cette herbe sèche et ce sol sec et grumeleux, le vélo s’agitait de gauche à droite et rendait la conduite quasi-impossible. Sa roue percuta une racine proéminente et il fit une pirouette grotesque avant de tomber la tête la première dans une fourmilière.
Il retira son visage de ce trou grouillant et tapota son visage, ses bras et ses jambes pour en retirer la moindre fourmis. Caroline arriva et l’aperçut en train de reprendre son souffle. Elle posa sa bicyclette et s’avança vers lui d’un pas décidé. D’un seul geste vigoureux, elle le gifla. Sa joue gonfla presque instantanément et une douleur chaude parcourait la partie gauche de son visage osseux.
Caroline avait viré au rouge. Ses cheveux roux tout en bataille et son visage ne semblait formé plus qu’une tête allongée à l’extrémité broussailleuse. Elle hurlait des mots à peines compréhensible :
Caroline – Non mais qu’est ce qui te prends ?! brailla-t-elle en agitant ses bras. Gabriel resta muet, trop occupé à caresser sa douloureuse joue.
Caroline – Tu aurais pu te faire tuer ! reprit-elle deux fois plus fort. Une fois de plus, Gabriel resta silencieux. De petites larmes brulantes coulèrent sur sa joue bouffie. Il se laissa tomber en arrière, extenué. Il fixait le ciel, les quelques nuages qui s’y trouvaient semblaient si éloignés les uns des autres. Caroline s’agenouilla à côté de lui et plaça une main sous sa nuque. Elle se rapprocha de son oreille et le rassura :
Caroline – Il faut que tu te reposes, tout ça a été long et difficile pour toi.
Gabriel – Je crains que le pire ne soit à venir…, expulsa-t-il d’une voix faible.
Caroline – Oliver veut que l’on se revoie demain, tu penses que tu auras la force ?
Gabriel – Carrie…Nous devons absolument savoir ce que ce laboratoire veut dire…
Caroline – Ils viennent tout juste de l’inaugurer, ce n’était peut-être qu’un simple chantier.
Gabriel – J’ai l’infime sentiment que c’est quelque chose de différent. Quelque chose de bien pire, bien plus sombre que ce que tu pourrais imaginer.
Caroline – Tu arrives à te lever ? demanda-t-elle en essayant de le soulever.
Gabriel – Oui…Ça va mieux…
Gabriel grimpa sur son vélo et ils remontèrent sur la route. Ils rentrèrent, Caroline garda un œil attentif à l’état de Gabe. On sentait une extrême faiblesse dans chacun de ses mouvements. N’importe lequel de ces gestes semblait d’une lourdeur harassante. Caroline observait régulièrement son teint, d’une pâleur inquiétante.
Il posa son vélo contre les lattes de bois bleues de la façade et monta sur le perron. Caroline ouvrit la porte et le laissa entrer le premier. Elle le redirigea vers la salle de bain alors qu’il partait vers la chambre. D’un petit mouvement de tête elle lui fit comprendre qu’il fallait soigner ses petites éraflures. Elle le fit asseoir sur le bord de la baignoire et ouvrit l’armoire à pharmacie. Carrie attrapa un petit morceau de coton sur lequel elle versa quelques gouttes de désinfectant. Elle frotta légèrement chacune des égratignures au son des petits grincements de dents de Gabriel qui ne supportait pas la moindre douleur. Le voyant gesticuler, elle ria :
Caroline – Tu n’es pas une chochotte quand même...
Gabriel – J’ai mal…
Caroline – Ce ne sont que de petites égratignures.
Gabriel – On voit que tu as l’habitude de faire ça.
Caroline – La dernière fois, notre voisin, monsieur Lungewski était en train de réparer quelque chose sous sa voiture. Le cric à sauté et la voiture est tombée, un morceau de ferraille est rentré dans sa jambe. Maman est parti lui porter secours. Quand elle l’a ramené et l’a couché sur la table de la cuisine, je voyais sa cuisse qui giclait abondement. Cette image restera à tout jamais dans ma mémoire.
Gabriel – Qu’est-ce que tu as ressenti à ce moment-là ?
Caroline – J’ai senti une peur atroce me prendre au corps. Un frisson glacial remontait mon corps, le long de mes jambes et de mes bras. A ce moment ma mère hurlait tandis qu’elle compressait la jambe qui dégoulinait. Je suis resté immobile au milieu de la pièce, mes yeux ne semblaient voir que cette cascade écarlate qui coulait depuis la table.
Gabriel – Qu’est-ce que tu as fait ensuite ?
Caroline – Rien. Je suis resté impuissante alors que ce pauvre homme allait surement mourir au beau milieu de la cuisine. Quand ma mère eut fini de soigner cette plaie, je me senti terriblement coupable. J’ai pleuré. Je me suis enfui dans ma chambre et j’ai enfoncé ma tête dans mon oreiller. Ma mère entra et me prit par les bras. Son regard brillait, elle avait senti que j’étais complètement tétanisé. Elle m’a pris dans ses bras, m’a réconforté. Depuis ça, je me suis juré de tout faire pour que cela ne se reproduise pas.
Gabriel – Tu sais, il faut un sacré courage pour agir quand la plupart des gens ne peuvent même pas regarder. La peur s’empare de nous quand elle sent que nous sommes faibles et exposés. Alors là, elle peut te contrôler à sa guise.
Caroline – Ça devrait suffire, ria-t-elle en se relevant. Gabriel se regarda dans le miroir, une petite plaie courait sur sa pommette gauche. Comment sa pommette pouvait-elle saigner ? Lui qui avait un visage si maigre, si osseux. Il examina sa minuscule balafre avec la plus grande prudence, Caroline riait derrière lui
Caroline – Aller viens John Wayne, tu ne mourras pas de si peu, sourit-elle en croisant le regard resigné de Gabe. Il partit s’allonger sur le lit, un mélange particulier de peur et de curiosité cognait chaque coin de sa tête. Un présage sombre planait au-dessus de lui comme un tourbillon de fumée noire. Il ferma les yeux et ce présage rentra en lui pour habiter une partie de sa conscience.
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