- L'ÂBIME -
20h48, Ils quittèrent la maison des Stanhope. Caroline conduisait le vélo et Gabriel tentait de trouver l’équilibre sur le porte bagage. La nuit était relativement fraiche dans cette ville habituée aux pics de chaleur. L’air frais d’une petite brise caressait le visage de Caroline et projetait ses cheveux dans le visage d’un Gabriel plutôt mécontent. Il agitait les mains pour s’extirper de cette épaisse boule de poils légèrement rousse.
Il leva la main droite et fixa, pendant quelques minutes, sa paume enroulée dans cette large bande de tissu. La silhouette sombre et gigantesque du laboratoire apparaissait doucement derrière les rochers et les cactus. Le bruit rond des roues qui écrasaient le sol meuble de la plaine accompagnait le chant des criquets qui chantaient sous le croissant de lune.
D’un instant à l’autre la température semblait avoir grimpé de plusieurs dizaines de degrés, l’air était chaud et humide, une vraie fournaise dans laquelle les deux amis s’enfonçaient de plus en plus. De grosses gouttes perlaient sur le front de Gabe. Il tirait la langue, sa gorge sèche et son teint rouge témoignait de cette atmosphère terrible. Plongé dans l’incompréhension d’une aussi soudaine explosion de chaleur, Gabriel demanda :
Gabriel – Pourquoi il fait aussi chaud tout à coup ?
Caroline – Je n’en sais rien mais c’est presque insurmontable.
Gabriel – Je meurs de soif, je sens pointé la grosse attaque.
Caroline – On y est presque, ce n’est peut-être qu’une poche de chaleur, quelque chose comme ça.
Gabriel – Si tu veux mon avis, c’est bien plus qu’un simple phénomène météorologique.
L’immense silhouette du bâtiment était désormais entièrement perceptible dans la nuit noire. Ils avançaient toujours vers elle, le souffle court, la tête comme dans un four. Ils dissimulèrent le vélo de Carrie derrière quelques fourrés et descendirent avec prudence la petite mais néanmoins abrupte falaise qui menait au laboratoire.
Gabriel posait scrupuleusement chacun de ses pieds afin de garder un équilibre sur cet amas de pierre bien peu rassurants. La semelle de ses tennis blanches s’abattait sur la surface rugueuse et difforme de chacune des grosses caillasses.
Le souffle court, Gabriel expirait de maigres bouffées d’air chaud et humide de son étroite bouche. L’adolescent suffoquait. Ses vêtements collaient à sa peau lissée par la transpiration et d’où s’extirpaient toutes les impuretés, emportées par le torrent de sueur. La langue bien pendante et rappeuse, il crevait de soif. Une sensation de sècheresse intense parcourait l’intérieur de ses joues et le creux de son palais. Caroline écarquillait ses yeux trempés de sueur, de grosses gouttes perlaient sur ses cils.
La silhouette du laboratoire semblait doucement danser à travers les pupilles fatigués de Gabriel. La forme désarticulée se dandinait à chacun de ses pas et donnait l’impression de progressivement s’éloigner. Plus ils avançaient et plus la chaleur grimpait, cela devenait presque insoutenable. Gabriel avait l’impression de se tenir au-dessus d’un feu de camp, des ruisseaux de transpiration s’écoulaient sur ses joues et jusque dans sa nuque.
Les cheveux de Caroline étaient trempés, la masse épaisse et ébouriffée avait comme fondue sous l’effet de cette chaleur torride. Gabe essuyait régulièrement ses paupières moites et estomper la sueur grasse de son front avec la tranche de sa main.
Ils n’étaient plus qu’à quelques mètres des grillages du laboratoire. Personne dans les miradors, aucun garde dans la cour : le lieu était désert. Qui supporterait une telle chaleur ? Gabriel scrutait avec insistance ces immenses remparts en fer, l’idée de pénétrer en ces lieux le laisser perplexe. L’idée ne l’emballait pas le moindre du monde mais il avait une dette envers Olie. Il observait le moindre détail, une vis mal serrée, un trou dans la clôture.
Le travail était propre et sans bavures, le rempart ne laissait transparaitre aucune faille, pas la moindre brèche à travers laquelle se faufiler.
Les deux amis firent le tour du bâtiment en gardant espoir d’y trouver la solution à leur problème. Gabriel titubait, victime de la chaleur, complétement déshydrater, il perdait le contrôle de son propre corps. Il se laissa tomber, terrassé par la fournaise. L’air à quelques centimètres du sol semblait légèrement plus frais, quelques dixièmes de degrés réconfortait pourtant son corps l’espace d’un instant.
Une respiration hachée sifflotait à travers ses incisives, Caroline essayait tant bien que mal de le relever. Elle aperçut un petit ruisseau en contre bas, un filet d’eau de quelques centimètres seulement. Telle une forçat, elle agrippa les deux bras de Gabe et le tira sur le sable épais jusqu’au maigre cours d’eau.
Elle plongea la tête de Gabriel dans les quelques centimètres d’eau. Il manqua de s’étouffer et cracha l’eau croupie qu’il venait d’ingurgiter. Il se laissa tomber sur le dos, fixant la voute céleste, parsemée de milliers d’étoiles qui scintillaient toutes plus les unes que les autres.
Il racla son visage de ses deux mains et expulsa une profonde respiration. Fixant du regard le petit ruisseau, il le remonta des yeux jusqu’à une petite grille. La brèche était là, un passage sous l’eau où le grillage ne pourrait pas les retenir. Gabriel se jeta dans cette eau grisâtre et aux relents de souffre. Il nagea sous les grillages jusqu’à la petite grille. Il était de l’autre côté, la forteresse avait finalement avoué une faiblesse.
Caroline fixa pendant plusieurs secondes cette marre répugnante, elle refusa de se jeter à l’eau. Gabriel insista mais Carrie ne voulut rien entendre. L’adolescente tenait une main devant sa bouche et son nez pour ne pas respirer cette odeur nauséabonde.
Gabriel sortit de l’eau et s‘approcha des grilles. Il arracha les attaches d’un coup sec et souleva la paroi souple pour laisser passer son amie. Caroline baissa la tête et rampa sous la clôture.
Ils avaient enfin réussi à pénétrer dans ce lieu impénétrable. Le frisson de l’inconnu s’arrangeait singulièrement avec la peur du danger. Ils leurs faillaient maintenant arpenter les couloirs sinistres de ce lieu de tous les mystères et venir en aide à leur ami, prisonnier de cette boite de pandore.
L’obscurité totale leur assurait un moyen de dissimulation de plus efficace. Pas le moindre soldat, où étaient-ils tous passés ? Caroline ne cessait pas d’agiter sa main devant son visage pour le rafraichir, en vain.
Une vibration soudaine surgit du sol et ouvrit une légère brèche d’où une chaleur intense semblait s’échapper. Gabe fixa la lueur orangé qui provenait de cette fissure. Derrière l’étrange lumière, il aperçut une porte en fer. Il s’en approcha à tâtons tout en tendant une main au-dessus du trou, une bouffée infernale le fit reculer. Il s’exclama : « Putain ! », Caroline interloqué lui demanda :
Caroline – C’est chaud ?
Gabriel – Chaud ? Brûlant plutôt !
Caroline – Qu’est-ce que ça peut bien être ?
Gabriel – Je n’en ai pas la moindre idée…
Caroline – Essaye de voir
Gabriel – Mauvaise idée…
Caroline – Quoi ? Ce n’est pas une petite bouffée de chaleur qui va te tuer, il fait déjà si chaud ici.
Gabriel – Ca ne me tuera pas tu disais ? ajouta-t-il en montrant sa paume rouge, presque brûlée.
Gabriel se retourna et s’approcha à nouveau du rideau de fer. Une main tremblante agrippa la grosse poignée métallique et étonnement froide. Gabriel senti la morsure glaciale de cette fraicheur soudaine entrée en contact avec sa brûlure. Un fourmillement parcouru son avant-bras et s’arrêta net à son coude.
Il abaissa la poignée et tira la lourde porte en fer vers lui. Elle s’ouvrit sur un long couloir obscur et lugubre. Une petite lampe jaune, très faible, éclairait quelques centimètres carrés de carrelage au sol. Gabe vit volteface et d’un signe de tête appela Caroline, légèrement en retrait. Il entra le premier après que Carrie lui ai fait comprendre que le vieil adage « les femmes d’abord » ne fonctionnerait pas ici. A la courte lumière de la lampe, Gabe se frayait un chemin dans la noirceur du corridor, son ombre grossière tapissait le mur.
Carrie mourrait de trouille, les yeux à moitié fermés, elle rasait les murs frais et rugueux, une main posé sur l’épaule de son ami. Leurs respirations saccadés trahissait le silence de plomb qui régnait dans ses coursives. Au bout du couloir, ils tombèrent nez à nez avec une autre porte : solide et immense. Gabriel plaqua son oreille contre l’épaisse paroi et entendait des bruits étranges, des crissements, des bruits aigus et lancinants qui lui faisait gravement plier les paupières.
Cela lui rappelait le bruit des ongles de Mme Malsevic sur le tableau noir, quand le cours de mathématiques commençait à partir dans tous les sens. Ce grincement saccadé et terrible qui vous ferrez presque saigner des tympans.
Que pouvez-t-il bien se tramer derrière ce rideau de fer ? Le mal semblait avoir pris possession des lieux, en tout cas c’est ce que Carrie semblait sous-entendre quand elle répétait : « C’est le diable ! ».
Gabe ne préférait pas s’arrêter aux élucubrations intempestives de son amie et tentait de garder une oreille attentive aux multiples bruits qui lui parvenaient. Quelqu’un semblait approcher, le bruit de pas insistants et lourds se faisait de plus en plus clair. Ils étaient toujours posté au milieu du couloir, à la merci de ce qui pourrait surgir de derrière la porte.
La porte s’entrouvrit et Gabriel se dissimila derrière en tirant instinctivement le bras de Carrie qui paraissait engluée sur ses appuis. Il plaqua sa main sur la bouche de la jeune fille, simplement pour étouffer une énième théorie fantaisiste dont elle semblait avoir le secret.
Un homme massif traversa le couloir, ses bras épais comme deux troncs d’arbres tenaient un fusil semi-automatique comme si ce n’était qu’un simple jouet en plastique. Ses larges épaules frôlaient presque les murs déjà bien étriqués de couloir froid. Gabe retenait sa respiration ; Carrie retenait un cri.
L’homme reniflait cette odeur de transpiration pubère qui embaumait l’endroit. Gabriel et Carrie pénétrèrent dans la grande pièce : vide.
La salle de repos était vide, de longues tables en fer reposaient sur le sol. Une immonde odeur de cigarette froide parfumait la pièce, de la fumée s’échappait d’un mégot encore chaud dans le cendrier. La porte claqua derrière eux et fit bondir Carrie sur l’une des table. Ils observait la démesure de cette pièce, ce bâtiment gigantesque de l’extérieur et immensément plus grand de l’intérieur donnait des frissons étranges à Gabe. Que pouvait-il bien se tramer entre ces larges murs ? Quels secrets pouvaient se dissimuler dans cette enceinte aux murs épais de deux mètres ?
Gabe fit signe d’avancer, il ne serait pas prudent de rester trop longtemps au même endroit, les gardes bougeaient vite et connaissaient les lieux, pas de déplacement hasardeux, ils connaissaient le moindre recoin. Gabe prit les devants, ouvrant une petite porte : celle des toilettes. Il la referma immédiatement, tout juste le temps pour Carrie de prendre une grande bouffée et de s’exclamer : « Formidable découvert qu’une pièce qui pue la pisse. »
Ils leur allaient avancer en prenant garde de ne pas tomber nez à nez avec la moindre escouade de garde ou pire encore. Comment se frayer un chemin dans un lieu si démesuré et qui plus est leur était totalement inconnu. Plus ils avançaient et plus ils semblaient s’approcher de la source de chaleur, cette chaleur si intense qui continuait de leur faire suer des litres, ils paraissaient bien déshydrater à présent.
Cela était peut-être du à la chaleur mais Gabe ne pensa pas être une mauvaise que d’essorer son t-shirt et de s’abreuver de cette saline délicieuse qui s’en écoulerait. La moindre goutte de ce qui pourrait s’apparenter à de l’eau le faisait déjà saliver. Carrie l’observait d’un œil particulièrement attentif, le prenait-elle pour un fou ou se méfiait-elle simplement des conséquences de la chaleur sur la santé de son ami ?
Des vibrations profondes vinrent se propager dans le sillon des pas de nos deux amis, les murs resonnaient comme s’ils étaient creux. Gabe avait plongé dans une sorte de transe où rien ne pouvait sembler plus réel que ce qui se tenait devant lui : des couloirs et encore des couloirs ; vides ; froids.
Un immense dédale d’embranchements : à gauche ; à droite ; les routes se ressemblaient ; chaque mur qu’il observait ne paraissait pas moins différent du précédent. Cela était-il une épreuve ou était-ce simplement une sentence destinée à le plonger dans une profonde folie ?
Carrie s’était presque effacé, mais elle continuait de le suivre, elle le suivait toujours si bien, marchant presque dans ses pas mais n’oubliant pas de rabâcher sans cesse les plus profondes bêtises et les inepties fantaisistes qu’elle semblait avoir appris par cœur ; tellement bien ; que les mots donnaient l’impression de glisser dans sa gorge et de remonter dans sa petite bouche.
La fin du parcours était désormais devant eux, une énorme porte en fer se tenait au milieu d’un corridor de quatre mètres de large. Un verrou électrique scellait l’entrée de ce lieu, qui était pour eux comme l’entrée de l’Hadès, une abîme si profonde que la lumière du soleil n’y parvenait jamais. La seule lumière blanche et artificielle des néons suffisait à vérifier leur théorie, aussi folle soit-elle. Gabe secouait légèrement sa tête pour reprendre ses esprits, sa vision redevint nettement plus claire. Ce vif mouvement expulsa de ses cheveux des centaines de milliers de goutelles scintillantes qui aspergèrent les murs avec l’efficacité d’un arrosage automatique.
Le sentiment de ne pas être seul à fixer cette porte déconcertait Gabe qui ne cessait de se retourner, regardant au-dessus de son épaule, comme le chien qui enterre son os. L’imposante porte empêchait presque Gabe d’imaginer ce qui pouvait bien se trouver derrière. Son seul souhait serait de prononcer « Sésame, ouvre-toi ! » et de voir l’énorme loquet reculer, la porte s’ouvrant sur une piscine à vagues ou même plus simplement, sur une fontaine à eau.
Annotations
Versions