- PAR LA GRANDE PORTE -

8 minutes de lecture

Il scruta le lourd verrou pendant plusieurs minutes, persuadé de pouvoir l’ouvrir à la force de son esprit sans doute. Il n’en était rien, l’énorme cylindre en acier resta bien en place, sans bouger d’un iota. Un bruit sourd vibrait derrière l’épaisse pari métallique. Gabe s’approcha d’avantage et tapa du poing sur la porte. Cela ne pouvait pas en être autrement, il s’exclama :

Gabriel – C’est forcément derrière cette porte

Caroline – Le couloir y mène tout droit.

Gabriel – C’est trop bien protégé pour que ca ne soit pas ici…

Caroline – Gabe, il faut qu’on rentre

Gabriel – Pas avant d’avoir récupéré

Caroline – Tu vois bien que la porte est scellée…

Gabriel – Il est forcément derrière cette porte…

Caroline – Reviens à la raison…, conclue-t-elle en posant une main sur la joue moite de Gabe.

Gabriel – Non...

Caroline – Comment ça ? Tu veux encore risquer ta vie ?

Gabriel – Non…Non…C’est forcément ici…

Caroline – Gabriel ! Tu n’es pas dans ton état normal, alors rentrons !

Gabriel – Rentrer ? Il arborait un léger sourire qui avait le don de mettre Carrie mal à l’aise. Ce minuscule rictus au coin des lèvres, ce visage suintant, dégoulinant de sueur, ces yeux s=rouges et presque exorbités rendait tout à coup le jeune homme beaucoup moins chaleureux. Ses mèches trempées collaient à son front comme la vase au fond d’un étang immonde. Il était assoiffé, peut-être la chaleur avait-elle eut raison de son côté humain et l’avait transformé en une sorte de bête ; une bête humaine. Un animal avide, il avait ce tic de lécher sa lèvre inferieur comme un chien galleux, comme si son humanité avait disparu.

Ses doigts recroquevillés tremblaient comme des brins d’herbe dans le vent. Il donnait l’impression de rire, qu’est-ce qui pouvait bien l’amuser à ce point ? Caroline recula car elle commençait vraiment à prendre peur. Ce garçon qui la faisait frissonner de bonheur, le seul contact de sa main dans la sienne la rendait toute chose. Ce garçon n’était bientôt plus, rongé par ces lieux ; elle en était persuadé ; ces lieux qu’elle avait juré maudits il n’y avait pas une heure de ça.

La sensation d’une présence invisible la parcourait, comme si elle pouvait sentir les mauvaises ondes et les esprits néfastes qui hanteraient peut-être cet endroit glauque. L’endroit flambant neuf aurait-il été construit sur ancien cimetière indien comme aime régulièrement le suggérer Olie. Inutile de dire que Caroline tremblait comme une feuille, elle ferma les yeux et se recroquevilla en serrant ses poings.

Gabriel avait muté en une sorte goule, un être vide et sans volonté, contrôlé par un cerveau bien amaigri. Caroline préférait penser que cela était du à la déshydratation mais elle savait pertinemment qu’une force extérieur avait pervertit l’âme de son ami ; du moins elle ne pouvait pas prouver le contraire.

Une escouade semblait arriver de l’autre bout du couloir, elle pouvait entendre le battement de leur bottes, le son allait crescendo, le danger était bien là. Elle observait tout autour d’elle le moindre endroit ou se cacher. Elle agrippa la main de son ami et avec insistance tirait son bras tandis que lui, restait bien cramponné sur ses appuis et ne daignait la suivre.

Elle aperçut un petit renfoncement dans lequel ils se jetèrent tête baissée. Cette petite alcôve sombre était leur dernière espoir. La seule idée de tomber nez à nez avec un groupe de soldats la terrifiait jusqu’aux os. Gabriel avait la respirait difficile, sa gorge siffler dès lors que l’air traversé sa trachée. Comme si quelque chose obstruait le passage, ce n’était simplement que sa gorge affreusement sèche qui s’était repliée sur elle-même.

Comme prévu, le petit groupe de soldat arriva, l’un d’entre eux sorti de sa poche une petite carte verte en plastique ; Caroline se pencha pour voir, sa tête entra presque dans la lumière. Gabe toussota, elle plaqua aussitôt une main forte sur sa bouche pour étouffer le bruit. L’un des soldats se retourna ; il avait entendu ; il pointa son fusil vers la petite alcôve en ajoutant : « Cet endroit commence à me foutre les jetons. » Son supérieur expulsa un petit rire moqueur et passa la carte dans le lecteur. L’énorme verrou glissa en arrière et la gigantesque porte vrombit de toute part, produisant un vacarme dans tout le sous-sol. Les quatre hommes s’engouffrèrent dans un long couloir blanc, la porte se referma avant que Carrie ait pu voir ce qu’il y avait au bout de ce long couloir.

Elle fit volteface, Gabriel avait disparu, le cherchant désespérément du regard, elle ne voyait qu’une marre de transpiration inondant le sol cimenté. Comment avait-il pu se volatiliser en quelques secondes, un simple regard ailleurs et Gabriel ; dans son état ; avait réussit à s’enfuir. Où était-il ? Où avait-il encore fourré son nez ? Sa curiosité causera sa perte se dit-elle.

Elle suivit une petite trainée de gouttes jusqu’à une porte entrebâillée, une lumière claire et diffuse s’échappait par un petit interstice. Gabriel s’abreuvait à un robinet au-dessus d’une vasque blanche ; tout était très blanc dans cette pièce ; Carrie avait l’impression d’être dans la salle de biologie du lycée.

Elle fixa l’espace de quelques fractions de secondes Gabriel ; l’eau dégoulinante de sa bouche ; les yeux presque injectés de sang. Il leva son regard animal vers elle ; cette fois elle ne frissonna pas ; elle plongea son regard dans le sien, elle n’avait plus peur de cette moitié d’animal, qui buvait dans l’évier comme dans une écuelle trop pleine. Un filet de bave se détacha de ses babines et vint s’écraser sur le sol immaculé.

Une lumière soudaine vint illuminer son âme divagante, la conscience lui revint comme d’un coup ; un miracle pensa Caroline. Elle qui croyait déjà avoir perdu son ami dans les tréfonds de l’humanité. Il relâcha tous ses muscles, ses bras tombèrent le long de son corps, ses épaules s’affaissèrent, une expression neutre habilla soudain son visage.

Une petit larme ; celle du désespoir ; vint couler le long de sa joue comme un maigre ruisseau ; la chaleur intense l’avait séchée de suite, ne laissant qu’une fine trace de sel au creux de son œil. Il avança lentement, les bras grands ouverts, il quémandant un geste tendre.

Caroline avait-elle envie de succomber à la facilité de son expression faciale, ce regard niais ; ses yeux pleins de larmes ? Elle continua de le regarder, il avançait toujours, de minuscules pas le rapprochait progressivement d’elle. Elle remonta son bras droit ; comme pour se défendre d’une éventuelle manigance ; que croyait-elle ; qu’il allait lui déchirer le visage ?

Caroline ne pleurait pas ; mais ce n’était pas l’envie qui manquait. Caroline ne souriait pas ; mais ce n’était pas l’envie qui manquait. Elle se contentait d’arborer cette expression neutre, presque sévère : « l’expression de prof de maths » comme Gabe aimait la comparer. D’un geste elle recoiffa quelques mèches rousses derrières son oreille.

Ses yeux bleus reflétaient la silhouette lente et tordue de Gabriel qui s’approchait toujours les bras écartés. Il arriva devant elle, sans qu’elle puisse esquisser le moindre mouvement, il la serra contre lui. Elle ne ressentit plus rien pour lui ; c’était comme enlacé un cadavre de porc : froid et mou.

L’aspect gras et froid de la peau de Gabriel la rendait nauséeuse. Elle le repoussa, ce dernier arbora une expression douteuse. D’une voix éraillée il demanda :

Gabriel – Carrie ?

Caroline – Tu n’es pas Gabriel…

Gabriel – C’est bien moi, assura-t-il en lui tendant la main.

Caroline – Tu es si…Différent…

Gabriel – Je…Je ne comprends pas…

Caroline – Qu’est-ce-que tu as fait de Gabe !

Gabriel – Je t’en prie…C’est moi…C’est bien moi…

Caroline – Cet endroit est vraiment effrayant…

Caroline ne semblait pas répondre aux avances de Gabe ; qui tendait toujours une main amicale vers elle. Elle lui demanda de le suivre ; elle gardait tout de même ses distances ; par peur.

Il la suivait mais tentait parfois une approche verbale ; Caroline préférait laisser filer ces paroles dans les couloirs immenses et interminables. Toutes ses avances se voyaient quant à elles esquivaient avec une aisance dont Carrie avait le secret. Il faut dire qu’elle recalait pas mal de petits gars, prêts à tout pour la séduire ; ou la sauter ; « les mecs de mon âge n’ont pas les idées clairs » répétait-elle sans cesse à sa mère quand elle lui posait la fameuse question.

Sous ses airs fragiles, sous cette tignasse rousse se cachait bel et bien une fille ; presque femme ; qui savait ce qu’elle voulait et qui n’avait pas peur de défendre ses intérêts.

Elle recoiffa une énième fois cette mèche rebelle qui bouclait sur son front et continua d’avancer accroupie vers la lourde porte en fer ; qui n’avait pas bouger ceci dit.

Elle observait attentivement tout ce système de sécurité ; que pouvaient-ils essayer de cacher pour si bien le protéger. Gabriel s’essayait à une nouvelle habitude : ne plus parler. Lui, la grand pipelette, la grande gueule qui fourre toujours son nez partout s’était trouvé bien calmé par cette enceinte.

Ils patientèrent plusieurs minutes, une patrouille traversa la porte. Des gardes lourdement armés franchisèrent la porte, chacun de leurs pas resonnait durement sur le sol et claquait sur les murs. Caroline agrippa le bras de son ami ; c’était la son premier geste en ce sens, Gabriel resta muet même si l’impression d’avoir été pardonné lui resta en tête pendant bien cinq minutes.

Ils longèrent un mur, assuré par l’obscurité, ils se faufilaient dans le dos des soldats, bientôt la porte serait close. Ils accélérèrent le pas et réussirent à se glisser dans le minuscule espace avant que la porte ne se soit refermée.

Les voila derrière cette immense porte ; celle qui leur paraissait infranchissable il y a encore quelques minutes ; une preuve de plus que la volonté vient à bout de tous les verrous. L’entrée du couloir était équipé d’un énorme sas, Carrie posa un pied méfiant entre les parois en plexiglas. Elle était debout au milieu de cette cage transparente, les portes se refermèrent derrière elle et de l’air fut projeté sur elle à grande vitesse. Son énorme tignasse dansait dans tous les sens, son visage se déformait sous l’effet du jet.

Quelques instants plus tard, les portes se réouvrèrent et Carrie sortie : désinfectée ; c’est ce qu’elle lu sur le petit panneau lumineux. Gabriel passa à son tour à la machine à laver, puis ils se mirent à nouveau à déambuler dans ce long couloir, persuadés que quelqu’un aller déboulé sur eux à n’importe quel moment.

L’énorme touffe rouquine de Caroline contrastait singulièrement avec la pâleur des murs ; tout était d’un blanc immaculé dans ce bâtiment ; « Il faut vraiment avoir quelque chose à se reprocher pour coller du blanc partout ! » s’amusa-t-elle.

La fin du voyage se trouvait peut-être derrière cette porte ? Une autre porte, presque plus grande que l’autre ; blanche ; froide. Tout ici l’était d’ailleurs ; ce blanc avait de quoi laisser perplexe quant à ce qui se déroulait entre ces murs…

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Thomas BECKER ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0