Bien des siècles plus tard, un groupe de survivalistes s'était retranché dans un bunker sous-terrain. Le complexe appartenait à Robert. Ce dernier s’attelait à humilier Martin au baby-foot, dans la salle de loisirs.

« T’es bien sûr de toi Robert ? Ma sœur se marie la semaine prochaine, elle va me rayer de sa vie si j’y vais pas ! »

D’un geste sec, Robert coinça la balle sous un de ses joueurs. Tchack !

Quand il faisait ça, c'était souvent pour aller chercher une binouze. Pas cette fois. Un mouvement vif, et la sphère en liège fut propulsée au-dessus des joueurs adverses pour finir sa course directement dans la lucarne. Robert appelait ça son coup de Jarnac. Il était si habile à ce petit jeu qu’il pouvait viser la cible de son choix. Parfois c’était la tête du joueur adverse. Faut pas faire chier Robert quand il joue au baby-foot.

« Écoute mec, les Mayas ont construit des pyramides de ouf ok ? Des types capables de faire ça ont quand même pas fait leur calendrier avec leur peau d’couilles, non ? Regarde autour de toi, tu vois bien qu’ça sent le sapin. La grippe A, la crise financière, Mickaël Jackson est mort, mec, ok ? »

Tchak ! Coup de Jarnac. But.

« Qu’est-ce que tu veux de plus ? »

Martin se gratta la tête :

« Ouais, je sais bien, mais fait chier que ça arrive le 21 décembre 2012, quoi. J’étais content que ma sœur…

— Fous-moi la paix avec ta sœur ! J’l’ai invitée à venir, mais elle m’a pris pour un gros débile ! »

Tchak ! Coup de Jarnac. But.

Sa manœuvre était imparable, exaspérante. Martin en avait assez de perdre et revint à la charge :

« Mais comment qu'on sait que ça va arriver en 2012 ? Je veux dire est-ce qu’on sait vraiment quand il commence leur calendrier ? »

Robert soupira :

« Oui, c’est un andro… andropogol…

— Anthropologue ?

— Oui, voilà, c’est ça ! »

Tchak ! Coup de Jarnac. But.

« Eh ben c’type-là il a dit que leur calendrier a commencé le 21 décembre −3113, j’invente rien ! Il a même dit que la tablette était vachement vieille, c’est pas une preuve ça ?

— Bah non justement, c’est pas une preuve. »

Tchak !

D’instinct, Martin rentra la tête dans ses épaules. Il avait une chance sur deux de se la prendre dans la tête. Mais Robert venait de mettre fin à la partie, excédé. Il s’enfuit vers la réserve, Martin sur les talons.

Sur les étagères, de l’alcool. Beaucoup d’alcool. Robert s’était dit qu’il fallait bien ça pour supporter l’enfermement avec Martin et toute la clique, sous peine de finir teubé comme eux. En plus, ils étaient tous mauvais au baby-foot.

Il s’empara d’une canette de bière et se laissa tomber dans son vieux fauteuil défoncé.

« Écoute Martin, va voir sur internet et fais tes propres recherches, ok ? J’t’ai pas éveillé pour que tu restes un mouton. Si tu veux aller au mariage de ta frangine, vas-y, mais moi j’ferme la porte ce soir à 19 heures. Tu pourras toujours cogner dessus après, j’t’ouvrirai pas, ok ? »

Martin considéra Robert et vit ce qui aurait dû lui sauter aux yeux depuis longtemps. Ce type croyait en tout, mais au final ne croyait en rien. Son discours de la veille sur les puces RFID lui avait noyé le cerveau, alors qu’il lui avait simplement demandé s’il fallait acheter de la Leffe ou de la Kro. Robert détestait les scientifiques, gueulait contre Big Pharma, se méfiait comme de la peste des vaccins et soutenait que l’homme n’avait jamais marché sur la Lune. Plus Martin l’écoutait, moins il comprenait sa logique, à force de voir des complots partout.

Martin fixa un moment les rayons chargés de bouteilles. Robert n’était pas seulement casse-couilles, il avait aussi l’alcool mauvais. Sans parler de son coup de Jarnac à la con. Apocalypse ou pas, les prochains mois allaient se révéler catastrophiques.

Il décida finalement qu’il en avait marre :

« Ok Robert. Je me casse, bye ! »

Et il planta là Robert et son groupe de survivalistes.

« Ouais c’est ça, casse-toi ! Faudra pas revenir chialer quand ce sera la fin du monde ! »