Elle a 38 ans, célibataire
Je vous souhaite la force et la tendresse.
Alain Bashung
Ils n’ont jamais su se mettre d’accord sur leur mariage : elle veut un petit comité. Il veut une immense fête sur un week-end entier afin d’accueillir toutes les familles et tous les amis. Mais à quoi bon inviter des gens, inconnus sauf par le lien du sang (et encore !), qu’on ne croise qu’aux enterrements, à qui on n’a rien à dire sauf évoquer à voix haute ses pensées « pique assiettes que vous êtes, le tonton mort vous l’avez vu quand la dernière fois ? »
- A ma communion j’crois, donc il y à bientôt 50 ans … mince ça date en fait. Il était sympa dans mon souvenir. Il avait changé ?
- Va reprendre un peu de gâteau ou je te fais une tête au carré car le tien est raté grand-tata !
Donc vous comprendrez qu’Ella ne veut pas de ceux-là à son propre mariage … même quand elle avait 17 - 18 ans, elle pensait déjà ça alors, à 38 ans … toujours pareille idée, voire pire.
Ils ont failli une fois se marier quand les beaux-frères et belles-sœurs ont commencé à jouer à ça et c’était presque le challenge du meilleur mariage … puis le décès du beau-père d’Ella a tout stoppé comme rattrapée par la vie. Et le mariage, c’est quoi ? Une simple bague au doigt en signant un bout de papier à la mairie. Non la vie est autre, bien tout autre. Et donc pendant des années, ils refusent tous deux l’alliance symbolique à l’annulaire gauche (du côté du cœur si ça n’était pas clair pour vous !). N’est-ce pas le cœur d’ailleurs qui pose finalement problème ? Juste au fond d’elle-même ? Juste au fond de ses entrailles sans que son inconscient souffle vraiment l’idée à sa conscience au cours de leurs longues années de couple ? N’est-ce pas le cœur … finalement ?
Un soir d’alcoolémie entre amis, son mari (qui ne l’est pas à l’époque mais déjà père de leurs deux enfants) balance : « si on n’est pas marié à 40 ans, on ne le sera jamais ! ». Ce à quoi son meilleur pote réagit : « ne vous mariez pas. Ça fait 20 ans que vous êtes ensemble, c’est le divorce assuré en version accélérée après les noces ! ». Elle a 39 ans.
S’en est suivi un long débat cette soirée-là, puis dans les douze mois qui ont suivi : trois décès parmi celles et ceux attablés avec eux ce soir-là.
Trois décès. Trois situations familiales différentes et trois fois deux enfants mineurs. Les galères rencontrées pour le dernier des vivants ainsi que les enfants issus des « vivant en union libre » et des pacsés achèvent de convaincre Ella d’épouser son concubin en bonne et due forme administrativo-juridico-légale. Ça tombe bien. Elle n’a pas encore 40 ans. Mais vu que ces derniers temps, ils ont fait plus d’enterrements de proches et accompagné les veufs / veuves et orphelins, ils optent pour un mariage discret avec deux seuls témoins qui sont disponibles ce vendredi midi pour signer à la mairie à 15 heures et aller chercher les enfants à l’école à 16 heures 30.
Il est si discret que seul le restaurant du midi est choisi, seul point commun à leurs idées de mariage opposées : le repas. La raclette devait être géante, elle est pour 4 avec autant de bouteilles de vin. Inutile de préciser que l’adjoint au maire qui officialise leur union se souvient encore des gais lurons limite pochtronnes égayant la salle des mariages voire de la mairie entière, cet après-midi là.
La date du mariage : la veille des 40 ans d’Ella car un peu revêche et rebelle dans l’âme, elle veut faire un pied de nez à cette remarque nocturne de son futur époux. C’est sans oublier la remarque acerbe sur le divorce accéléré de leur ami aujourd’hui décédé. Mais celle-ci, elle veut vraiment l’oublier.
Le mariage c’était quand déjà ? Il y a deux mois tout pile aujourd’hui, deux mois avant qu’elle ne rentre annoncer la nouvelle de sa mobilité vers Paris.
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