Quand une fleur ne fleurit pas, on corrige l'environnement dans lequel elle pousse. Pas la fleur.
Paulo Amaro

Le train démarre. Elle constate qu’elle n’a pas son filtre anti-espion sur son écran d’ordinateur. Trop dangereux de bûcher sur son dossier en cours car on est sur une affaire de copyright donc mieux vaut éviter les bâtons pour se faire battre.

Elle range donc le PC dans son sac et pour occuper les trois quarts d’heure qui la séparent de sa voiture, garée sur le parking de la gare TGV Champagne-Ardennes, elle sort sa promesse d’embauche signée et la paperasse associée.

Quel bonheur et quel grand saut quand même ! Le sourire aux lèvres, elle n’entend pas son voisin, qui finit par lui tapoter le bras. Une décharge, elle reçoit. Elle ôte son casque alors que la musique continue … « pardon je vous ai fait peur ? ».

- Euh …

Incapable de sortir une tirade plus longue, elle plonge dans le regard bleu perçant de cet homme grisonnant à la carrure d’un rugbyman.

Il s’excuse tout en retirant sa main mais laisse visiblement la décharge, plantée dans ce morceau de bras, qui irradie encore tout son corps. Qui est ce type, se demande Ella. #Metoo, on n’en parle pas à l’époque déjà mais pourquoi il l’a touchée ? Le bras ? Le corps ? Au plus profond d’elle-même ? Oui, elle a cette sensation étrange et indescriptible d’être atteinte au plus profond d’elle-même, sans bien savoir ce qu’il se passe ni même ce que cela signifie, car elle n’a jamais ressenti cela.

Son voisin de train rit en lui expliquant qu’il ne voulait pas lui faire peur mais qu’il parlait dans le vide depuis quelques minutes et pensant qu’elle était sourde, il voulait échanger avec elle en langue des signes quand il s’est rendu compte qu’elle portait un casque et non des sonotones.

Cette tirade ne fit rire que lui de prime abord avant qu’Ella ne se détende et cède aux sourires, sans pour autant réussir à décrocher son regard de ces yeux perçants comme un chat … persan le chat évidemment ! Après leurs rires nerveux plus qu’explosifs, ce voisin tactile se ressaisit pour déclarer à Ella qu’il connaît ce cabinet d’avocats puisqu’il en est client. Ou plutôt son entreprise en est cliente.

Comme un geste réflexe de nouveau-né, Ella retourne le papier avant de répondre maladroitement : « enchantée Monsieur, je suis Ella et bientôt votre conseil peut-être ! ». Il lui sourit la fixant avec ses yeux qui parlent. Ella ne connaît pas le langage de signes ni celui des yeux mais elle se sent passée au scanner cérébral comme elle croit lire un livre … et ce qu’elle lit, lui fait un peu peur, et la renvoie direct un lundi midi dans la quartier de Montmartre à Paris.