Elle a 30 ans, encore maman
Dans la vie, on a tous des champs de mines et des champs de fleurs.
Pupille
Le deuxième enfant arrive.
Ce petit fragment de vie dans le corps qui met neuf mois à former un être de chair et d’os est le fruit de l’amour ou le fruit de l’horreur ou le fruit d’une erreur.
Notre origine de construction constitue le socle de ce que nous serons et deviendrons. Nos fondations sont le mélange de gènes qui avaient envie de fusionner ou qui ignoraient qu’ils allaient fusionner ou ceux qui se sont sentis contraints à fusionner.
Je ne parlerai pas ici de tous ces parents qui rêvent d’enfants sans parvenir à émulsion fusionnante.
Notre construction originelle pose les fondations ancrées en nous à l’encre … indélébile ? Non elle s’efface, elle se déforme cette encre de sang si on le souhaite vraiment .. ou si on apprend que les fondations ne sont pas réellement celles que l’on nous a laissées croire au démarrage de notre existence …
Cette seconde grossesse, voulue et consentie, ne se passe pas comme la première. Tant qu’elle n’a pas la certitude d’avoir un enfant du même sexe que le premier (c’est son souhait intime), elle a nausées et vomissements multi quotidiennement. Quand, enfin, l’échographie est sans équivoque, elle ne vomit plus mais on lui demande de contrôler son sang toutes les semaines ainsi que celui du bébé.
Les liens du Sang, ceux qu’elle s’est évertuée à unifier, la poursuivent. Ces prises de sang hebdomadaires sont lourdes de sens mais aussi de questionnements. Personne ne lui explique le problème. Et comme elle ne le comprend pas, elle ne le partage pas, pour n’inquiéter personne. Elle porte ce bébé, si différent de l’autre. Le premier était en mouvement constant, jour et nuit, nuit comme jour, jamais en repos ... l’hyperactivité in utero. Ce bébé-là ne bouge pas, ou plutôt, Ella ne le sent pas bouger ... seulement deux petites fois au cours de cette grossesse infernale.
Trois mois avant le terme de la grossesse, on lui explique les raisons de cette prise de sang hebdomadaire aux résultats incompréhensibles mais visiblement bons : son propre sang a été contaminé par son premier enfant qui est A+ comme son papa mais pas A+ comme sa maman. Car papa et maman n’ont pas les mêmes phénotypes. Donc les lettres n’ont que leur nom de commun mais la composition du sang n’est pas identique.
Elle a donc juste la lettre sanguine de son père biologique (jusque là logique me direz-vous ! Tiens d’ailleurs quel rapport entre la bio et la logique ?! et d'ailleurs qui est ce père ?). C'est le même groupe sanguin que celui de son mari et de son premier enfant aussi. Le schtroumpf qui s’éveille en elle court un risque, qui ne sera connu qu'à la naissance pouvant aller jusqu'à l'enfant mort-né. La palette des possibles est vaste, entre la pleine vie et la vide mort. Ella garde cette crainte au fond d’elle durant trois mois. Finalement 10 ans jour pour jour après la révélation en terrasse, le schtroumpf nait ni bleu, ni jaune, et bien sosie de son aîné, sans l’être vraiment. Le mélange des deux sangs a pris différemment dans cette nouvelle édition de leur progéniture. Mais ils sont frères, issus de mêmes parents biologiques. L’objectif de vie d’Ella est atteint, même s'il faut bien l’avouer, elle en a bavé et chialé pendant de longs mois.
Ella reste donc différente de son mari, de ses enfants, des autres membres de sa famille. Est-ce si important finalement ? D’une certaine manière non car le sang ne se devine pas par le commun des mortels mais oui c’est important, pour elle, pour sa construction intérieure, pour son évolution. Depuis toujours, Ella se sent différente des autres, elle est différente de tous les autres, de ses familles, elle est unique, ovni, impalpable, non cernable ... sauf à qui sait lire en elle. Mais est-ce bien le sang qui la distingue ? Sans les blessures à répétition pour inconsciemment conduire aux opérations ... pour contraindre à la révélation, à sa majorité, sans le chirurgien, aurait-elle su ? un jour ? demain ? quand ? jamais ?
A 30 ans, pourtant, elle a le sentiment d'être enfin comme les autres ... mamans. Maman de deux enfants, heureuse de ses merveilles enfantines. Son ange gardien a veillé à ce qu'Ella ne vive pas de drame, dans ces mois-là.
Merveilles, merveilles qui s'éveillent alors que là encore, personne n’a osé dire que devenir parents de deux mioches mais c’est encore plus de sport qu'avec un seul. Personne en maternité n’a encore eu l’idée de greffer des bras aux mamans pendant les accouchements ? Car franchement du jour au lendemain, vu qu’en plus, on est éjecté de la chambre de la maternité au bout de deux nuits, on se transforme en shiva.
Ella ignore combien de bras imaginaires lui poussent mais elle assure et assume sur tous les fronts au fil des jours qui passent et que ses schtroumpfs passent de grognons à dormeurs, de rieurs à bosseurs, de bébés à ados.
Elle ne les as plus vraiment sur le dos à partir de la période ado et pourtant ses bras continuent de pousser et de s’activer. En refaire un troisième ? Non ça ne sera pas la solution retenue finalement optant pour un investissement différent auprès des autres, dans des associations notamment, bénévole s'entourant d'enfants par centaines.
Annotations