Ella, 47 ans, tatouée

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Mon corps est mon journal et mes tatouages ​​sont mon histoire.
Johnny Depp



Les tatouages, Ella a toujours aimé ça, elle a toujours eu envie d’en avoir sans vraiment savoir quoi faire et où. Et puis un accident de voiture avant ses 40 ans lui apporte la belle occasion. L’accident n’est pas grave, mais elle en sort avec une vilaine cicatrice sur le bras. Elle a l’impression d’être comme l’ado avec ses deux cicatrices parallèles sur les genoux mais là c’est sur le bras. Mais toujours deux lignes presque parallèles. Un signe ? Un message de l’univers ? Certainement mais si vous avez le décodeur, on prend (Ella et moi !).

Son projet de tatouages mature plusieurs mois dans son chaudron qui lui sert de cerveau. Elle le dessine avec ses talents méconnus et peu connus de dessinatrice. Autant dire que son croquis est dans les annales des tatoueurs. Mais il a le métrite d’être sa création pure, son elle propre, regroupant son animal totem, des symboles, des plumes et des éléments en lien avec ses enfants. C’est confus mais ça lui ressemble et c’est l’unique tatouage qu’elle veut donc autant qu’il la représente au mieux. Des années plus tard, la tatoueuse rit encore de son croquis « dégueulasse » (il n’existe pas de mot mieux adapté). Evidemment, la professionnelle l’arrange avec ses talents innés, après avoir compris chaque détail de ce croquis. Mais avant toute chose, Ella préfère faire un test des encres pour éviter toute complication cutanée … étant hypersensible. Le test se fait un mardi soir avec trois points de suspension noir, gris et blanc, apposés à l’intérieur de la cheville. Les quinze jours d’attente de réactions étant passés sans aucune rougeur ni autre, la tatoueuse peut se lancer. Au moment de le faire, elle met en garde Ella que, vu où sont placées ses cicatrices, elle ne le verra pas très bien son tatouage. Nouvel endroit choisi, nouvel endroit embelli (enfin chacun ses goûts mais Ella est heureuse). Et c’est tout naturellement et comme s’en était moqué la tatoueuse, que de ce tatouage, pleins d’autres ont suivi. En 6 mois quasiment, Ella marque son corps à vie avec notamment son chemin de vie dans son dos. Elle est à la moitié de sa vie (en étant optimiste et au regard de l’espérance de vie du moment), donc autant faire comme Michael dans Prison Break et tatouer son plan sur sa peau.

Son tatouage est presque secret car rares sont les personnes qui l’ont vu dans son entièreté et à personne elle n’a expliqué la totalité non plus. Ce sont ses p’tits secrets, ses boosters de vie et ses projets … tous ces éléments qui lui ont sauté au visage tels une révélation en cascade et qu’elle a schématisés sur un croquis encore plus complexe que le tout premier tatouage (qui devait être unique. Méfiez-vous si vous vous faites tatouer aussi !).

Cette cascade est apparue sur une assez courte période à travers ses rencontres hasardeuses notamment mais pas uniquement. C’est aussi à partir du moment où sa deuxième vie a commencé en quittant son mari qu’elle s’est dit qu’il était temps d’avoir un projet au long cours, avec ou sans amant.

Et si elle a tout imaginé avec ces dessins ancrés à l’aiguille, elle n’a nullement envisagé ce sentiment étrange : une fois tatouée, malgré ses projets, Ella se sent totalement accomplie et entière. Comme si jusque là, malgré une vie extrêmement remplie, (et pas que sexuellement et de déceptions amoureuses, elle a mille vies à côté), il lui manquait quelque chose. Elle est reconstruite et reconstituée à mi-chemin. Ce milieu est en plein milieu du dos. Elle sait que c’est maintenant que ça va commencer à tanguer différemment dans sa vie mais pour mener jusqu’à la sérénité.

Ella se sent enfin elle, renouée avec ses entrailles et avec son âme. Et si elle vient à mourir demain, elle aura tout réalisé ce qu’elle pensait avoir comme mission sur Terre. Mais elle sait aussi qu’elle est protégée et que donc elle ne mourra pas demain.

Des mots clés tatoués sur ma peau

En images ou en mots

Des bouffées de mille vies

De furieuses envies

De réelles folies

Des moments clés tatoués aussi

Les étapes de vie que je vis

Les enfants

Les tournants

La sérénité au bout du chemin

Qui me tend la main


Deux ans après l’accomplissement de sa mission de vie avec la totalité de ses tatouages, Ella est devant une gare attendant un taxi.

Chemisier. Gilet épais. Manteau d’hiver. Sac à dos. Voilà en gros ce que son dos porte quand elle est interpellée par un passant qui la surprend à tous points de vue : « Lisez Kilomètre Zéro Madame. Dans 5/10 ans, vous y sera là-haut à boire du thé avec votre meilleure amie. Comme sur votre tatouage. »

Ella ne comprend rien du tout au baratin de ce type qui a plus l’air d’un éberlué que d’un sans-dents mendiant.

Elle monte dans le véhicule. Une fois dans la chambre d’hôtel, elle sort de son sac à dos un livre qu’elle a chipé sur sa pile de livres à lire le matin même. Elle l’ouvre. Et elle comprend vite qu’elle a dans les mains le deuxième titre de Maud Ankaoua, qui a donc d’abord écrit le fameux « Kilomètre Zéro ».

Ella se refait le film de la séquence devant la gare et elle ne peut se résoudre à admettre que le mec est un extraterrestre de la famille de Superman à lire à travers les objets. Car dans le train elle n’avait pas sorti ce livre, ni ne s’est déshabillée pour « montrer » tout ou partie de son tatouage. Et Ella est ultra physionomiste donc non, elle ne connaît pas l’éberlué. Et qui pourrait lui faire une telle farce sauf à savoir son tatouage ? Elle a peu, voire pas couché depuis son tatouage. Elle a rencontré des personnes tordues mais jamais nue, sauf à la piscine.

Donc Superman l’intrigue. Ella est une pro du livre papier mais c’est depuis son lit à l’hôtel, qu’elle achète la version en ligne dudit livre. De bout en bout, ce livre lui fait écho, elle en frissonne presque à certains passages de ses yeux sur les mots de Maud. Tellement l’écho est grand, elle le finit sur la nuit. La laissant perplexe, totalement perplexe sur le lien avec elle, son tatouage, sa meilleure amie mais de laquelle on parle : celle décédée, celle qui vient à peine de se suicider, celle à qui elle parle quasi quotidiennement, celle qu’elle côtoie tous les jours ? Laquelle ? Une autre encore ? Non, elles ne sont pas si nombreuses les vraies amies d’Ella à ce moment-là de sa vie.

Autant vous dire que l’audience du lendemain n’a pas été sa meilleure prestation mais son client a gagné son procès néanmoins.

La lecture de ce livre achevé n’a que conforter les rêves d’Ella. Bien avant ce livre, elle savait que c’est presque là-bas qu’elle finirait sa vie. Elle l’a tatouée en cas de perte de sens, de perte de mémoire, en cas d’interruption prématurée de sa vie. Pourquoi en fait ? Tout simplement l’appel de la montagne et du temple bouddhiste qui correspond à son bien-être. Autant viser l’Himalaya pour être encore plus proche de ses éléments qui la relient à la Terre : la Lune et le Soleil. Ou le Soleil et la Lune, sans aucune préférence pour ces astres qui régentent en partie sa vie. Même si pour le moment elle est à cet instant au milieu de sa vie, au milieu du pont de Pierre.

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