Hôtel particulier

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Quittant La Fausse Note, il leur fallait traverser le grand pont de la ville pour rejoindre le quartier historique. Tristan n’était pas familier de ce quartier qu’il percevait comme bourgeois, au vu des devantures de boutiques luxueuses et d'élégantes façades d’habitations. Dès le début, Charlotte avait perçu un changement dans son attitude, devenue soudainement plus réservée. Elle se souvenait aussi de son regard étonné et distant, la première fois où ils étaient arrivés à destination, devant un splendide hôtel particulier. Rassure-toi, je n’occupe qu’un petit appartement au deuxième étage, lui avait-elle dit alors, pour le mettre à l’aise.

La porte d’entrée sécurisée à codes, le grand escalier étincelant et le lustre imposant du hall impressionnaient ce soir encore le jeune homme. La grande différence était qu’à présent, il savait s’en amuser, mimant un illustre homme du siècle dernier, en complet noir et chapeau haute forme, canne à la main, gravissant les marches, au bras de son épouse. Jouant le jeu, Charlotte ne manqua pas de pouffer. Une fois la porte de l’appartement refermée, Tristan arrêta aussitôt ses pitreries, et se laissa tomber nonchalamment sur une petite causeuse de couleur pourpre. Il invita son amie à le rejoindre, l’intimant de ne pas le laisser seul. Il la vit dérouler sa longue écharpe et suspendre son manteau, avant de se blottir dans ses bras.

— Vous ne retirez pas votre manteau, monsieur de Vicomte ? dit-elle amusée.

— Non, ma chère, il fait trop froid dans votre logis. Je vous suggère en revanche de nous glisser nus sous la couette moelleuse de votre lit pour nous réchauffer.

Elle rit de bon cœur, avant de se précipiter, non pas en direction du lit, mais vers la kitchenette, où elle fit chauffer de l’eau dans une casserole, en prévision d’un plat de spaghettis.

— Regardez dans le frigo et sortez-moi le jambon de Parme ainsi que le parmesan, s’il vous plaît, dit-elle en surveillant du coin de l'œil sa réaction.

Tristan fit mine d’être chagriné, avant de répondre à sa demande, en posant d’un geste théâtral, les ingrédients demandés sur la table.

— Puis-je vous proposer ce vin, my dear lady ? demanda-t-il en lui soumettant la bouteille, tel un sommelier.

— Faites, faites, mon ami, à vrai dire, je l’avais choisi pour l’occasion. Le repas sera servi dans exactement sept minutes !

— Nous avons donc le temps de nous distraire durant ces sept longues minutes, ne croyez-vous pas ?

— Je vois que Monsieur le Vicomte, ne perd pas le nord, alors, ne perdons pas de temps !

Le vin débouché, ils se jetèrent sur le lit, dans un élan plein de tendresse, avant d’échanger de longs baisers.

*

Lorsqu’il se réveilla au milieu de la nuit, Tristan n’avait aucune idée de l’heure. Il entendait la respiration légère de Charlotte qui dormait paisiblement. Il avait une terrible envie de la serrer dans ses bras et de lui avouer combien leur rencontre était importante pour lui, mais évidemment, il préféra ne pas la réveiller. Il resta les yeux ouverts dans l’obscurité, et repensa à la soirée qu’il venait de passer. Il aimait la simplicité de ce qu’ils partageaient, autant leurs conversations que leurs rapports intimes. Cela le bouleversait plus que ce qu’il ne l’avait imaginé au départ. C’était seulement leur quatrième rendez-vous en un mois, et déjà, il avait le sentiment de s’attacher. Être avec Charlotte était une véritable bulle hors du temps. Un havre de respiration incomparable. C’était exactement ce dont il avait besoin. Il ne put s’empêcher de faire la comparaison avec sa précédente petite amie, Marianne. Tous deux s’étaient connus au lycée. Arrivés à la faculté, ils avaient emménagé ensemble. D’un tempérament de feu, elle avait décidé de tout, et lui s’était laissé guider. Si au départ, cela lui avait convenu, la situation était devenue au fil des semaines étouffante pour lui. Surtout lorsqu’il avait commencé à travailler au Microsillon les samedis précédant les fêtes de fin d’année. C’était à cette période qu'il avait réalisé que sa vie était en train de lui échapper.

L’hiver qui avait suivi avait été pour lui un vrai moment de remise en question. Il s’était confié à son meilleur ami, Paul, qu’il connaissait depuis le début du lycée. Celui-ci l’avait soutenu dans son chemin de vie. Une chose était sûre aujourd’hui, à l’âge de dix-neuf ans, il avait profondément changé. Il avait arrêté ses études de lettres pour entrer pleinement dans la vie active. Il en était devenu fier, surtout aux yeux de son père, qui avait fini par voir en lui un jeune homme responsable. Il avait également rencontré de nouvelles personnes, avec qui il s’était lié d’amitié au fil des mois. Si Paul continuait de compter énormément pour lui, Tristan s’était aussi attaché à Lucas, rencontré par son intermédiaire. Âgé de vingt-quatre ans, ce dernier était serveur au Petit Marcel, café au-dessous duquel il avait son studio. Il aimait sa bonne humeur et sa bienveillance. Sa sensibilité et sa pudeur l’avaient touché. Il se souviendrait toujours de l’été dernier où des sentiments profonds, mais confus les avaient animés réciproquement. Il en était ressorti une amitié qu’il savait sincère et espérait durable.

Lucas et Paul étaient les premiers et les seuls à qui il avait annoncé sa rencontre avec Charlotte. Ils s’en étaient réjouis et étaient impatients qu’il la leur présente. Tristan leur avait répondu qu’il le ferait très bientôt. Pourtant, au fond de lui, il n’était pas certain de le vouloir. S’il le faisait, c’était comme si la magie de leurs moments passés tous les deux allait s’arrêter. Cela faisait-il de lui un égoïste ? Il ne put répondre à cette question, car le sommeil le rattrapa brutalement.

*

Le lendemain matin, Tristan quitta Charlotte à regret. Profitant de sa compagnie jusqu’au bout, il dut se dépêcher pour être à l’heure à l’ouverture du Microsillon. Malgré la beauté des reflets du soleil sur le manteau blanc recouvrant la ville, il dut faire attention où il mettait les pieds, car les troitoirs étaient par endroits, encore très glissants. À peine avait-il franchi la porte du magasin que le téléphone se mit à sonner. Il ne put s’empêcher de jurer avant de répondre dans la précipitation. Il sentit que ce samedi de décembre allait être, comme les deux prochains avant Noël, une journée intense. Il vit passer devant la vitrine, son nouvel employé, qui arriva essoufflé, mais avec un visage rayonnant. Il savait qu’il pouvait déjà compter sur Patrick, ce qui lui remonta immédiatement le moral.

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