11 – 1 Couper, ôter, découper, trancher

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Tara commençait à ne plus compter les maraudes auxquelles elle participait. Ils variaient les distances et les directions par rapport à leur refuge actuel, les missions ne dépassant généralement pas la journée et consistant parfois simplement à récupérer nourriture et matériel dans les lieux désertés. Mais pour le moment, ils évitaient toujours les grandes villes.

Cette fois-ci, mission de reconnaissance dans un village. Deux camions de 30m3 servant au transport des troupes, un troisième pour les gens et le matériel récupérés, et le petit abritant le centre de contrôle, le tout escorté de motards. Elle était en passager sur une des motos, avec Barbe grise pour pilote. Une habitude prise de fonctionner en binôme, tous les deux ayant bien accrochés, et adoptée à l’unanimité. Leur position dans le convoi, en première ligne, relevait aussi de l’expérience, en tenant compte de sa particularité. Yahel n’attendait plus forcément qu’ils soient arrivés sur le lieu de la mission prévue pour se connecter. Comme tous, ils avaient tiré des leçons des erreurs passées.

Elle se tenait prête depuis un moment, et bien lui en prit. A peine arrivés, ralentissant pour s’arrêter, elle mit la main sur un de ses pistolets.

— Attention, ça bouge ! signala-t-elle à son pilote, tout en balayant la scène du regard.

Et à ces mots, une balle ricocha au pied de leur moto. Avant même de descendre de l’engin, elle visa dans la direction du premier tir, fit mouche, alors que d’autres tirs suivaient.

Yahel avait bien repéré sur l’écran les différentes positions d’où provenaient les tirs, et les infos transmises permirent aux compagnons de Tara de gérer cela avec elle en quelques minutes. Et grâce aux gilets pare-balles trouvés quelque temps avant, ils s’en sortirent juste avec quelques hématomes et éraflures.

Elle les appréciait, ces gilets, et ce pour plusieurs raisons. Elle en avait un à sa taille. Par-dessus, elle pouvait aisément porter son harnais dorsal, création offerte par Mahdi pour lui permettre de transporter son bâton dans son dos. Et avec la chaleur, elle ne mettait en dessous qu’un petit haut à bretelle. Avec cet accoutrement, ses bras se retrouvaient libres de leurs mouvements, ce qui était des plus cruciales dans certaines situations.

Le calme revint. Par précaution, ils restèrent sur le qui-vive, mais ne quittèrent pas leur position. Il était frustrant de ne pas savoir qui étaient les gens derrière ces tirs, et pourquoi ils avaient été pris pour cible sans sommation.

Demi-tour, abandon de la mission ? Ou voir plus loin, en petite formation, forcément elle comprise, ou tous ensemble ?

En attendant qu’une décision soit prise, Tara continuait à scruter les environs.

— On avance, mais prudence.

— Ok, répondit-elle à Simon en prenant l’émetteur-récepteur qu’il lui tendait pour le fourrer dans son oreille, condition sine-qua-non de Yahel.

— C’est ça, ou les prochaines fois, tu restes au village ! lui avait-elle assené la première fois qu’elle l’y avait forcé.

— Tu es mon ange-gardien ou ma mère ?

— Pas d’insulte, s’il te plaît. C’est juste que ton ange-gardien a besoin que tu y mettes du tien pour assurer sa mission.

C’est qu’en restant derrière son écran, c’est pour tous qu’elle jouait ce rôle. Et en accord avec les autres membres de cette équipe, c’est Simon qui la remplaça en tant que meneur principal.

Ils laissèrent des collègues en garde autour du camion où étaient Yahel et Mahdi. Quelque centaine de mètre plus loin dans la rue principale, de nouveau du mouvement détecté par l’œil de Tara.

— Les gars, deuxième round, transmit-elle, confirmé en parallèle par Yahel dans l’oreillette.

— J’en ai bien peur.

Il en venait de partout, sortant des maisons et bâtiments, tels des fourmis de leur terrier, les encadrant de chaque côté et de face. A priori plus d’arme à feu visible, mais d’autres attributs. Cela se voyait qu’ils ne venaient pas pour taper la causette.

Tara rangea son pistolet et attrapa son bâton de combat dans son harnais dorsal. De ses compagnons, certains firent de même que Tara, optant pour leur arme de prédilection en combat rapproché.

Simon abaissa le canon de son arme.

— On peut parler ?

Pour toute réponse, leurs hôtes se mirent à courir vers eux, bien décidés à répondre par les coups. Ils étaient nombreux, plus moyen de reculer. Cette fois-ci, elle devrait aussi s’impliquer, quoi qu’en dise Yahel.

Tara appuya sur un bouton. Son bâton s’agrandit. Deux autres commandes et une lame sortit à chaque extrémité. Là, ça ne rigolait plus. Ils étaient déterminés, et elle n’avait encore jamais eu affaire à autant d’adversaires. De toute façon, ses compagnons ayant pour le moment aussi fort à faire, il allait bien falloir se débrouiller. Pas le moment d’avoir des scrupules.

Au début, elle réussit à les tenir à distance grâce à quelques coups bien placés. Couteaux, battes, barres de métal récupérées de diverses sources et autres armes improvisées, à droite, à gauche, revient… Cela allait vite, très vite. Une situation qui lui parut bien plus dangereuse que dans son coffee-shop.

Des tirs derrière, et des cris.

Reste concentrée.

Elle para un coup, un autre, encore un autre, mais elle commençait aussi à en recevoir. Elle frappa, réussit à en planter un mais ne put en éviter un autre qui profita de l’occasion. Il l’atteignit dans le dos avec sa batte. Elle fut projetée en avant sous le choc, le souffle coupé, se rattrapa avec ses mains qui lui évitèrent de finir complètement étalée au sol. Mais la douleur lui avait fait lâcher son bâton.

Merde ! Lève-toi !

Un genou encore à terre, elle n’eut pas le temps de le reprendre, elle dut parer à gauche avec son bras, remerciant le destin d’avoir cette armature de métal. Les vibrations du choc la firent trembler, mais elle tint bon, appréciant l’effet bouclier en plus de la force ajoutée.

L’autre continuait à rester en appuie, essayant de la mettre à terre. Elle serra les dents.

Vite, avant qu’il soit aidé. Bouge ! Bouge !

Elle réussit à saisir son arme de poing avec son autre main et tira.

A peine le temps de se dire un de moins qu’une ombre dans son œil. Et un cliquetis qu’elle n’aima pas.

Elle tourna légèrement la tête et vit qu’elle n’était pas la seule à avoir ressorti son pistolet. Un canon en premier plan, et le regard derrière qui savoure son moment. Les infos de sa caméra implantée étaient bien inutiles pour comprendre dans quel pétrin elle se trouvait. Au moindre geste, elle y passait direct. Une mort rapide, efficace, puisque direct dans le crâne, mais non désirée.

Bon sang, il sort d’où, celui-là !

Yahel assista à toute la scène via l’écran. Cela avait secoué sévère, tellement qu’elle avait fini par envoyer leurs protecteurs en renfort. Surtout que dans l’action, Tara ne pouvait plus visualiser où en étaient les autres. Mais là !

Elle tenta d’appeler :

— Simon !

— C’est bon, j’ai vu !

Tara sentait son cœur battre dans sa poitrine. Tout en fixant cet homme d’un œil mauvais, elle se disait que cet échec lui serait définitif. La leçon à en tirer, qu’elle ne pouvait se vanter, des progrès en termes de repérage et de réactivité, arrivait bien cruellement trop tard. Et pourtant, pas faute d’avoir été prévenue.

Un bruit sourd, puis la froideur des gouttes de sang giclant sur elle…

Pourtant, elle respirait encore. Elle comprit quand elle vit son belligérant s’effondrer.

Pas une défense dans ce village. Non. Une attaque sauvage, telle une meute réagissant à l’approche d’une autre sur son territoire. Vraiment rien d’autre ? Hélas, non. A peine quelques vivres, retrouvés dans la demi-douzaine de maisons encore habitées, où ils s’étaient apparemment tous entassés. Ce ne pouvait être uniquement pour protéger cela que ces hommes et ces femmes les avaient attaqués. Et pourtant, pas une once de désespoir dans leurs yeux. Ayant perdu toute humanité, toute confiance en l’autre, leur premier réflexe a été d’attaquer sans réfléchir, sans sommation, avec juste les quelques armes qu’ils avaient sous la main. Et des armes, ils en possédaient plus que des vivres.

Tara s’en voulait. Ils avaient dû avoir un guetteur qui les a prévenus de leur arrivée. Elle en était persuadée, malgré les autres lui confirmant qu’ils n’avaient retrouvé aucune trace affirmant son intuition. Ils avaient dû tous les tuer, aucun dialogue possible, ne trouvant que rage face à eux. Un mur de haine et de fureur, jusqu’à leur perte.

Il n’y avait aucune joie, aucune satisfaction à avoir tué des gens qui ne croient plus en rien.

De leur côté, juste des blessés, uniquement parce qu’en face ils étaient moins bien préparés. Beaucoup moins bien.

Tuer ou être tué. Cela pouvait être beau, de l’héroïsme s’il y a quelqu’un à sauver. Là, pour sauver sa propre vie… Pire, le sentiment que c’était pour rien, juste de la violence gratuite, le chaos dans toute sa splendeur. La seule saveur qui restait était celle du sang.

Ils les enterrèrent dans un coin du cimetière du village. L’effort ne les calma pas tous.

À peine rentrée, Tara alla à la salle d’entraînement. Le son du fusil dont on ôte la sécurité, le trou noir du canon près de sa tempe. Voilà des motivations. Il fallait qu’elle devienne plus forte, plus habile pour éviter que cela ne se reproduise.

Ce même jour, elle termina son entraînement improvisé seule. Les autres devaient aussi réfléchir à la situation d’aujourd’hui. Avec d’autres caméras créées par Marc, et d’autres communicateurs…

Le lendemain, Mahdi la rejoignit à l’heure habituelle. Elle y était déjà. Ils démarrèrent une séance de combat rapproché au bâton. Soit il avait compris sa détermination, soit les événements lui avaient donnés les mêmes objectifs qu’elle. Car il y alla plus froidement, plus rudement, sans ménagement, suffisamment fort pour la mettre plusieurs fois à terre. Et elle lui en sut gré. C’était exactement ce qu’elle attendait, et l’objectif qu’elle s’était donnée. Et elle s’y donna sérieusement, sans hésitation.

Il avait la force et l’agilité de plusieurs hommes. Dommage que son rôle l’empêche de participer plus souvent au combat.

Chaque fois qu’elle échouait, elle se relevait, essayant de riposter au plus vite. Une fois où elle mit plus de temps à réagir, encore sous le choc et recrue de fatigue, prête à crier grâce, il la poussa dans ses retranchements. Quand elle releva la tête, il pointait le bout de son bâton vers son front.

— Tu veux mourir ?

Cette fois-là, elle n’avait pas lâché son arme. Elle rugit intérieurement, faisant appel à toute sa force, à tout son corps, et elle répondit à l’attaque. Cet entraînement plus proche de la réalité du terrain, c’était ce qu’il lui fallait. Fatigue ou pas, sur le terrain, un ennemi ne lui laissera pas le temps de respirer, ou de se relever, il risque encore moins de s’arrêter pour lui poser la question, lui demander si ça va. Il n’aura aucun scrupule. Elle ne pouvait se permettre de compléter ses compétences uniquement grâce à l’expérience acquise par la force des choses durant les maraudes. Pas quand d’autres comptaient sur elle. Elle devait apprendre à faire avec, à éloigner ses limites.

Elle réussit à le faire reculer. Il sourit, satisfait. Elle aussi.

— C’est bon pour aujourd’hui. Va te reposer. Je te veux en forme demain.

Ils continuèrent à ce rythme les jours suivants. Seule la durée des séances ne variait pas. Pas moins, pas plus. Il y tenait. Elle retournait donc seule le soir pour faire encore quelques exercices.

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