Demain tout ira mieux

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Matin gris

Il y a des jours où le soleil n’existe pas.
Pas dehors, ni dedans.
Même les rideaux refusent de respirer.

Chez nous, c’est souvent comme ça.
Le salon dort encore quand je pars à l’école, et quand je reviens, il n’a pas bougé. Un grand drap de silence tendu sur les murs.

Maman dit qu’elle est "fatiguée".
Mais ce n’est pas comme quand on court trop.
C’est une fatigue de tristesse, une fatigue qui s’incruste dans les cheveux et fait qu’on ne se lave plus, qu’on ne mange plus, qu’on ne rit plus. Une fatigue qui colle comme un vieux chewing-gum au fond de l’âme.

Moi, je fais le contraire.
Je deviens un petit soldat de la lumière.
Je fabrique du bruit, je plante des sourires, j’arrose les silences pour qu’ils deviennent moins lourds.
Je deviens le réveil d’une maison endormie, la bougie qu’on oublie d’éteindre et qui éclaire un coin de table.

Parfois je me dis que si j’étais un super-héros, ce serait moi, le garçon-lumière. Je ne vole pas, je ne casse pas de murs, mais j’essaie de faire fondre les tristesses.

Et puis, je fais des listes.
Des listes de choses qui brillent.

  • Les yeux de maman quand elle me regardait avant.
  • Le papier aluminium dans la cuisine.
  • Le bout de mes chaussettes trouées au soleil.
  • Les lucioles dans les rêves que je fais quand je ne dors pas vraiment.
  • Les reflets dans l’eau de vaisselle, quand la mousse fait semblant d’être une galaxie.

Chaque jour, je m'efforce d'en trouver une nouvelle. Une chose qui scintille même un peu. Juste un peu. Même une demi-paillette compte.

Service météo personnel

Le matin, c’est moi qui fais le bruit.
Je marche un peu fort dans le couloir, je tousse comme un vieux monsieur et je fais crisser ma cuillère dans le bol. Pas pour l’embêter. Juste pour prouver que la vie est encore là, même si elle se planque.

Avant, elle descendait pour me dire bonjour.
Maintenant, elle ne quitte plus sa chambre.
Elle dit que la lumière "l’agresse".
Alors j’allume une veilleuse dans le salon. Pas plus. Je mange mes céréales en regardant la fenêtre. Je la devine, derrière les rideaux.

Et dans ma tête, je dis :

- Bonjour, madame lumière. Je ne sais pas ce que vous nous avez fait, mais si vous pouviez repasser nous voir, un jour…"

Et parfois, je crois qu’elle entend. Pas avec ses oreilles.

Elle a laissé tomber son parfum préféré. Il traîne sur la commode, bouchon de travers, odeur fanée. Un jour, j’ai vaporisé un nuage. Juste pour voir si ça l’appelait.

Alors j’ai mis le bouchon droit. Et je lui ai chuchoté que c’était encore beau, même si c’était triste.

Un matin, j’ai même dessiné un soleil sur le miroir de la salle de bain avec un bâton de rouge à lèvres. J’ai écrit : “bonjour maman soleil”. Elle ne l’a pas nettoyé.

Herbiers solaires

On n’a plus de vraies plantes depuis longtemps.
Le ficus a rendu l’âme, puis le cactus. Même la menthe n’a pas tenu.
Je les ai toutes enterées, dans des boîtes de mouchoirs.

Depuis, je découpe des soleils en papier.
Je les colle au mur, je leur donne des prénoms.
Il y a Raymond, Luciole, Félicie, et Gérard.
Gérard est un peu de travers, mais il brille quand même.

J’ai aussi commencé un journal météo de l’appartement.
Je note :

- Mardi : Brouillard, averses de silence au salon. Température : 17 degrés de solitude.
- Mercredi : Éclaircie hypothétique vers 15h, en attente de validation par la direction.
- Jeudi : Rideaux frémissants, promesse fragile d’un rayon.

Et parfois je fais des dessins à côté. Des cartes météo avec des nuages en coton et des gouttes de colle pailletée. Ça colle mal, mais ça brille.

J’ai même mis un thermomètre à côté de la porte, juste pour la déco. Il indique toujours 22°C. C’est notre température, même les jours de tempête.

Un jour j’ai mesuré le temps en sourires : zéro le matin, un demi le midi, un vrai à 18h42. J’ai noté l’heure. C’était important.

Et une autre fois, j’ai donné une météo à chaque pièce : cuisine – morne mais tiède ; chambre – nuit perpétuelle avec éclair d’espoir intermittent.

Lettres en bocaux

L’après-midi, je fais mes devoirs tout seul.
Ensuite, j’écris des lettres au Soleil.
Je les mets dans des bocaux en verre, que je pose sur l’étagère.

Ça fait comme une collection de lucioles sans ailes.

Lettre au Soleil n°11

Cher Soleil,

Je ne t’ai jamais vu, mais j’ai vu des photos de toi.
T’es pas mal. Un peu flashy, mais pas méchant.
Maman disait que tu chauffais la peau, le cœur des gens.
Elle en a besoin.
Si t’as une minute, viens cogner à notre fenêtre.
(C’est la 4e en partant du haut, avec les rideaux en bataille.)

Parfois j’ajoute un dessin dans les bocaux. Un petit bonhomme qui tend les bras, ou une étoile qui cligne de l’œil. Comme si j’essayais d’apprivoiser le ciel.

Je me dis que si un jour,le Soleil m’écrit, ce serait en goutte de lumière, sur un carreau.

Ou peut-être dans un rêve. Ou juste dans le fait qu’elle se lève.

Mémoires en photo

Une fois, j’ai trouvé une photo dans un vieux tiroir.
Maman sur la plage, les bras vers le ciel.
Elle riait si fort que je pouvais l’entendre.
Je l’ai mise sur le frigo. Elle ne l’a pas enlevée.
Mais elle ne la regarde pas non plus.

Monsieur Armand, notre voisin, laisse parfois des madeleines devant la porte.
Il sait, je crois.
Une fois, il m’a dit :

- Les jours de brouillard, on ne voit pas le soleil, mais il est toujours là.

Je l’ai noté dans ma tête, entre "photosynthèse" et "verbe irrégulier".

Un autre jour, il a laissé une plante verte en pot. Pas un mot. Juste là, posée. Je l’ai appelée Espérance. Elle tient encore. Un peu tordue, mais vivante.

Je me suis demandé s’il existait un métier pour les gens comme Armand. Des sortes de livreurs de petits miracles. Des passeurs de lumière.

Et peut-être que moi aussi, un jour, je ferai ce métier.

Mercredi improvisé

Le mercredi après-midi, normalement, c’est notre moment.
Avant, on allait au parc. Elle me poussait sur la balançoire et criait : « Plus haut ! »
Maintenant, on va juste du salon à sa chambre, quand elle arrive à se lever.

Elle sourit, parfois. Mais c’est un sourire sans courant électrique.
Une lumière qui éclaire pas.

Ce mercredi-là, j’ai une idée.
Je prends :

  • une lampe de poche,
  • deux serviettes jaunes,
  • un bâton de pluie,
  • une vieille boîte à musique.

Je pose tout dans sa chambre.
Puis je déclare :

- Bonjour madame. Ici le service météorologique de Clément. Aujourd’hui, grand ciel bleu prévu au-dessus de votre oreiller.

Elle grogne.
Je projette la lampe sur le mur, les serviettes dansent. Une flamme douce.

Je lance la boîte à musique. Le son est rouillé, mais magique.

Température intérieure : 24 degrés d’amour. Nuage de bisous attendu en fin de journée.

Elle rit. Vrai rire. Cassé, court, mais entier.

- T’es bête, murmure-t-elle.
Je sais. Je suis Clément. J’apporte le soleil de secours.

Elle mange avec moi. Me demande mes devoirs.
Elle touche ma joue.
Elle laisse la porte de sa chambre entrouverte.
Et moi, dedans, j’ai une ampoule au cœur qui s’allume.

Ce soir-là, j’ai tout noté dans mon carnet météo :

Mercredi soir : miracle. Apparition partielle de la mère. Éclaircie émotionnelle. Température ressentie : 28 degrés de bonheur.

J’ai même ajouté une page dorée. Un vrai souvenir en papier brillant.

Rideaux entrouverts

Jeudi matin. Un bruit nouveau.
Un souffle. Un chuchotement.
Je sors du lit, traverse le salon sombre.
Mais la porte de la chambre de maman...

Elle est ouverte.
Les rideaux tirés. Juste un peu.
Pas de quoi tout inonder. Juste assez.

Le soleil passe en miettes dorées sur le parquet.

Maman est assise sur le lit. Un sourire. Vrai. Déplié.

Je m’approche, les chaussettes tremblantes.

- Tu sais quoi ? J’ai essayé, dit-elle.

Elle me serre. Fort. Comme pour enfermer la lumière dans ses bras.

Et dehors, même si le ciel est gris, les gouttes tombent en or.
Un faux arc-en-ciel qui fait rêver.

Je regarde le mur.
Le soleil en papier collé a veille — Gérard — reçoit un vrai rayon.
Il brille. Pour de vrai. Je crois que Gérard est heureux.

Je pense que moi aussi.

Dernière lettre

Lettre au Soleil n°13

Cher Soleil,
Peut-être que tu n’es pas juste là-haut.
Je t’ai trouvé dans maman.
Et dans tous les petits éclats qu’on s’envoie.
Demain, il fera clair. Même sans toi.
PS : Merci d’avoir trouvé la fente dans les rideaux. T’es malin.

Bulletin final

Prévision pour demain :
Petites éclaircies dans les yeux.
Température stable autour du cœur.
Possibilité de rires à l’improviste.

Taux de lumière intérieure : en hausse.
Risques de tendresse persistants.
Et peut-être, un jour, une vraie plante en fleurs.
Prévisions étendues : câlins isolés tout au long de la semaine.

Et voilà.

Le noir n’a pas gagné.
Parfois, il suffit d’un enfant pour rallumer une lumière qu’on croyait perdue.

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