Chapitre 1 : Alphonse

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— Attention !

Ma voix grave brisa le silence oppressant de la forêt : plus un bruit, plus un pas, même les oiseaux semblaient s'être tus une seconde durant. Ou du moins, c'était l'impression qu'ils me donnaient. Peut-être étais-je narcissique de penser qu'un simple mot pouvait faire taire une gigantesque forêt grouillant de vie, mais pendant un instant, j'ai bien cru à un calme aussi pesant que soulageant.

Malgré mon avertissement, Amaury s'effondra sur le sol avec une rapidité déconcertante, comme s'il était attiré magnétiquement vers lui. Son corps avait disparu dans la végétation qui le dévorait tout cru. Où était-il ? Je l'avais à peine quitté du regard une fraction de seconde pour observer où je mettais les pieds quand il s'évapora de la surface de la Terre, si tant est que nous soyons encore sur Terre. Je me le demandais : l'endroit, si atypique avec ses arbres gigantesques d'au moins cinquante mètres, me donnait le vertige (il suffirait que je lève les yeux pour m'écrouler comme Amaury). La canopée était couverte de feuillages, nous étions pris au piège au sein de cette... jungle. Oui, la forêt était comparable à une jungle. Chaque pas était délicatement soigné pour ne pas tomber à terre, mes jambes englouties dans une marée de verdure : des feuilles verdâtres aussi larges que ma tête, des fleurs si diversifiées que mes sens ne parvenaient pas à suivre tout ce qui m'entourait. Des lianes suspendues s'accrochaient à chaque tronc que je croisais, donnant l'impression de cordes pour se pendre.

— Putain de merde !

Amaury me tira de mes pensées : la forêt se révélait aussi dangereuse par les prédateurs qu'elle abritait, que par sa végétation dense. Il se releva, sa chevelure rouge écarlate se démarquait nettement de la palette uniforme de la forêt. J'étais souvent étonné de voir sa nouvelle coupe de cheveux aussi inhabituels que sa personnalité. Amaury Alarie, soldat de première classe, toujours volontaire pour les missions, destiné à évoluer en tant que grand leader.

Son mulet laissait quelques mèches du dessus s'accrocher aux ronces, et, impatient comme il était, il tira brutalement pour les dégager, laissant quelques cheveux agrippés à la plante. Ces dernières années, l'armée était devenue plus tolérante envers notre apparence physique, et Amaury en avait profité pour se raser les côtés tout en maintenant une certaine longueur à l'arrière. Il avait teint ses cheveux en carmin et s'était fait percer les oreilles. C'était pour être unique, prétendait-il. Il l'était déjà avec son extravagance, riant constamment, faisant des blagues immatures et prenant les choses à la légère. Mais cette fois-ci, il semblait bien plus sérieux. Peut-être était-ce l'effet de tomber dans une forêt aussi vaste que la Belgique, avec ses 34000 kilomètres carrés. J'avais l'impression d'être une proie vulnérable et minuscule. D'après Amaury, des jaguars rôdaient dans les parages. J'aurais préféré ne jamais l’apprendre ; maintenant, à chaque craquement de branche, je sursautais de peur que ce soit l'un d'entre eux.

Je me précipitai vers Amaury tout en veillant à chaque enjambée pour éviter de finir comme lui. Chacun de mes pas s'enfonçait dans le sol, comme si je marchais sur du sable, tant la présence omniprésente de la végétation me submergeait. J'étais inquiet qu'il se torde la cheville et qu'il ne puisse pas continuer la mission. J'avais besoin que tous mes soldats soient en pleine forme pour conjurer le sort fatal des policiers. Alors que je relevais Amaury, je repensai à eux : disparus sans laisser de trace dans cette même forêt une semaine auparavant. Plus étrange encore, ils étaient partis à la recherche de deux femmes, également volatilisées. Il semblait que cet endroit cachait des secrets mystérieux que nous risquions de découvrir, mon équipe et moi.

Nous étions treize, nos uniformes vert kaki se fondaient parfaitement avec la nature de cette forêt. J'avais du mal à visualiser mes soldats, à l'exception d'Amaury. Je le remerciais intérieurement pour sa couleur de cheveux : je pouvais le repérer n'importe où, tout en le maudissant pour son manque de discrétion. Mais il avait insisté pour m'accompagner lors de cette mission, tel le réel ami qu'il était.

Courir dans les bois était loin d'être une idée brillante : je faillis m'emmêler les pieds dans la même racine qui l'avait fait chuter. Elle était large, arquée, émergeant du sol sur une dizaine de centimètres, un véritable piège. Heureusement, les yeux d'Amaury fixés sur elle m'avaient mis la puce à l'oreille.

— Ça va, Alarie ? Rien de cassé ?

— Il m’en faudrait plus pour me mettre à terre, plaisanta-t-il.

J'esquissai un sourire soulagé : nous restions treize, pas douze, mais bien treize. Traverser la jungle aurait été insupportable sans Amaury pour canaliser mes nerfs. Sérieusement, qu'est-ce que je faisais là ? Perdu en plein cœur de la forêt amazonienne de Guyane ? Certes, je m'étais porté volontaire, cherchant un sens à ma vie détruite lors d'une mission passée qui avait tourné au cauchemar. Mais être sur place changeait tout : j'avais fait un choix regrettable.

— On va les retrouver, Capitaine, affirma Amaury.

Il avait probablement perçu l’agacement inscrit sur mon visage comme des mots sur une feuille blanche. Je me suis surpris à froncer les sourcils, mes muscles tendus et crispés. J'en avais déjà assez d'explorer les environs, et pourtant, je n'avais qu'une envie : mener cette mission à bien. Sans le savoir, Amaury avait décelé mon inquiétude face à toutes ces personnes évanouies dans la nature. Et si nous aussi disparaissions ? Et s'ils étaient morts ? Et si nous étions destinés à périr d'ici quelques jours, voire quelques heures ? Je n'étais pas prêt à crever ainsi, trop jeune à trente-quatre ans, célibataire, sans enfant. Une existence bien merdique. Je n'avais atteint qu'un seul but : ma carrière. Fier de mon statut de capitaine de l'armée de terre, mais ma métier me détruisait de l'intérieur. Mes missions récurrentes m'empêchaient d'avoir une vie privée, de trouver l'amour, de fonder une famille ou même d'obtenir une stabilité émotionnelle.

— Oui, tu as raison, Amaury.

Le dos bien droit, je repris mes esprits : nous devions retrouver Lydie Lecerf, Ameline Bourseiller, et tous les policiers partis à leur recherche. Pour leurs proches, pour la France, pour nous. Nous ne pouvions pas laisser ce mystère en suspens. La population française devenait folle, baptisant déjà cette forêt « le trek de la mort. » Quant aux médias, nous étions les futurs « disparus de Guyane. » Tout ça était des plus rassurant. Cependant, je faisais confiance à mes soldats, je savais que je pouvais compter sur eux : nous allions les retrouver, vivants.

Mon regard s'était posé sur eux, un par un, commençant par Amaury, qui plongea ses yeux noisette dans les miens. Puis Killian, Lola, Aaron, et tous les autres… Nous pouvions réussir cette mission, nous le devions.

— Très bien, annonçai-je d'un ton assuré. Nous continuons vers le nord, là où se trouve la rivière Maroni. Les disparus avaient sûrement dû créer un bivouac là-bas.

Tous étaient épuisés, exaspérés et démotivés par ce périple, mais dès que j'eus prononcé ces mots, leurs yeux avaient commencé à étinceler, un sourire s'était dessiné sur leurs visages éveillés, et j'entendis même un « Ouais ! » de Killian. J'étais satisfait de moi. En tant que leader, je les avais encouragés, et plus rien ne pouvait nous arrêter.

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