Chapitre 3 : Killian.

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Merde alors ! C'étaient les effets personnels de Lydie et Ameline, étrangement pliés comme si elles étaient parties se baigner dans la rivière. L'idée pouvait sembler plausible, rien de trop bizarre, si ce n'est que l'eau marronné, répugnante, donnait l'envie à personne de s'y immerger. Alors, pourquoi auraient-elles disposé leurs vêtements de cette manière ?

Le capitaine s'approcha prudemment, comme si ces vêtements étaient un piège prêt à tous nous tuer, une bombe sur le point d'exploser. Il hésita un instant, sa main virevoltait entre l’envie de les toucher puis se rétractait, même si ça compromettait les éventuelles preuves, ou les laisser en l'état. Nous n'avions aucune idée du protocole à suivre dans ce genre de situation.

Nous le rejoignirent près des morceaux de tissus intacts. Dans les films, c'est à ce moment-là qu'ils prendraient des clichés de la scène de crime pour l'immortaliser. Sauf que nous n'avions aucun appareil photo. Nous avions été envoyés en expédition par désespoir, une sorte de mission suicide, car personne ne s'attendait à ce que nous revenions, tout comme les deux femmes et les policiers. C'était la raison pour laquelle personne n'avait été contraint de venir ; nous étions tous volontaires pour résoudre un problème interne, chercher un sens à notre vie.

Et puis merde. J'avançai à quelques centimètres des vêtements et finis par les toucher brusquement, un débardeur à la main.

— Bonnel, non ! me cria le capitaine.

Trop tard. Oups. De toute façon, nous n'allions pas rester plantés là à attendre que le déluge s'écoule. Qu'avions-nous à risquer ? Au mieux, nous les retrouverions vivantes. Au pire, nous aurions des indices pour comprendre ce qu'il s'était passé. Bref, j'avais déjà mis la main sur le haut, blanc, empreint de l'odeur de transpiration, mais propre, du moins, sans tache de sang.

Je détournai mon regard vers le capitaine qui soupira profondément, roulant des yeux comme s'il était exaspéré et, en même temps, le mal était fait. Il prit le premier vêtement qui lui tomba sous la main dans l'autre pile : un pantalon.

Une ride apparut entre ses sourcils froncés, l'air perplexe. Bon, nous n'allions pas tergiverser sur des vêtements. La conclusion était évidente.

— Elles se sont baignées, annonçai-je.

Le capitaine soupira du nez, signe qu'il me considérait comme un idiot.

— Au vu du courant, ça m'étonnerait. Se baigner là-dedans serait du suicide.

— Alors pourquoi avoir déposé leurs vêtements ici, comme ça ?

— Je n'en sais rien.

Il rangea les habits dans son sac. Pourquoi ? Pensait-il vraiment que nous les récupèrerions vivantes et qu'il pourrait les leur rendre ? Honnêtement, après deux semaines, il y avait peu de chances qu'elles soient encore en vie. Mais soit. L'espoir fait vivre.

Il nous ordonna de poursuivre le long de la rivière Maroni. Nous escomptions les retrouver non loin, si toutefois elles étaient encore en vie. Nous avancions vers le nord, moins épuisés par l'excitation de progresser dans notre mission, et surtout : les rives de la rivière étaient certes envahies de végétation, mais nous pouvions marcher sans risquer de nous casser la gueule.

Après deux kilomètres, nous aperçûmes une forme ronde et noire au loin. Qu'était-ce ? Un animal ? Nous étions sur le qui-vive devant cette chose étrange qui contrastait avec la nature de la forêt : le chant des oiseaux, le vent giflait nos visages, les feuilles s'entrechoquaient, la pluie nous crachait dessus augmentaient mon angoisse de découvrir un morceau de cadavre. En nous approchant lentement. Un sac. Ce nouvel indice amplifierait le mystère de l'affaire Lydie Lecerf et de son amie Ameline Bourseiller.

Le capitaine l'ouvrit et tomba sur deux paires de lunettes de soleil, plusieurs centaines d'euros en espèces : deux billets de cinquante, un billet de vingt et un de dix. Vole-le, pensai-je sans contrôle. Mais je m'abstins de le dire pour ne pas paraître irrespectueux et déplacé. Il continua de fouiller : une bouteille d'eau à moitié vide, ce qui était curieux. Il nous la montra avec un air soucieux, son regard fixé sur nous.

— Pourquoi se séparer de sa seule source d'eau ?

— Et pourquoi n'est-elle pas entièrement vide ?

Je pouvais lire dans ses pensées qu'il trouvait cela étrange, tout comme nous tous. Pour survivre, l'eau est indispensable et celle de la rivière n'est pas potable. Alors à moins qu'elles aient déniché une autre manière de s’hydrater, ça n'avait aucun sens de laisser la bouteille ici.

Il continua de sortir des effets personnels appartenant à Lydie et Ameline, dont deux soutiens-gorges.

— Imaginons que nous nous perdions dans cette immense forêt. La panique nous gagne, nos cœurs s’emballent, on se pisse dessus, qu’est-ce qu’on fait ? On plie nos vêtements et on enlève nos soutiens-gorges ? ironisa-t-il.

Lola arracha les dessous des mains du capitaine, les examinant attentivement avant d'émettre sa première hypothèse :

— Ils ont des baleines. Vous savez à quel point les soutifs avec des baleines sont inconfortables ?

— Assez pour en faire une priorité ?

— Je ne sais pas. Je suppose qu'elles se sont perdues pendant plusieurs jours. En plusieurs jours, on a le temps de se calmer et de réfléchir.

Il haussa les épaules, sceptique, mais en même temps, il n'avait d'autre choix que d'admettre que cette hypothèse était la plus plausible. À ce stade, nous étions prêts à accepter toutes les théories.

Il sortit deux petites boîtes noires : des téléphones. Un Samsung et un Sony. Il les manipula, espérant qu'ils ne soient pas éteints. Ça pourrait en dire long sur leur périple, et je priai intérieurement pour qu'ils s'allument. Mon attention était captivée par le capitaine appuyant sur tous les boutons en même temps, mon cœur battait à toute allure. Allez, allumez-vous.

— Plus de batterie, annonça-t-il.

— Et merde.

— En revanche, ça, ça pourra nous aider, dit-il en sortant un appareil photo du sac.

Il le trifouilla, et bingo ! L'écran s'illumina, nous donnant un espoir éclatant. Nous nous rassemblâmes derrière le capitaine, prêts à explorer les secrets les plus sombres de Lydie et d'Ameline. Les gouttes de pluie rendaient l'écran flou, mais peu importait. Nous allions découvrir la vérité, l'intimité de ces deux étudiantes, et surtout un mystère qui s'épaississait.

Les premières photos, ordinaires, affichaient des selfies d'elles souriantes et heureuses lors de leurs vacances en Guyane. Quelques autres prises sur le sentier de la forêt amazonienne où nous nous trouvions, prouvant qu'elles avaient progressé vers le nord pendant plusieurs heures, comme l'indiquait l'horodatage des photos dans les paramètres. Cependant, un cliché, le numéro 725, semblait effacé, tandis qu’ils étaient numérotés dans l’ordre. Étrange.

— Pourquoi effacer une seule photo ?

— Je n'en sais rien, me répondit le capitaine perplexe. Elles devaient cacher quelque chose.

Aucune nouvelle photo n’avait été prise pendant une semaine. Soudain, l'atmosphère de la forêt changea, devenant lourde et oppressante. La peur me saisit, compressant mes entrailles, et bien que le temps apparût suspendu, le rugissement assourdissant de la rivière en crue fit monter la pression. Les photos étaient sombres, prises de nuit, avec quelques branches d'arbres et des plantes illuminées par le flash. Le capitaine les faisait défiler rapidement, elles ne semblaient jamais s'arrêter, cent, deux cents, trois cents, mille, cinq mille. Elles continuaient d'être capturées dans l'obscurité de la nuit, là où la lune avait l’air d'avoir disparu, et où seule la lumière du flash persistait.

— Combien y en a ? demandai-je en avalant difficilement ma salive.

— Des milliers.

Elles se ressemblaient toutes, le paysage s'affichait sur l'écran, comme si les deux étudiantes avaient utilisé le flash de l'appareil pour tenter de retrouver leur chemin. Sur une photo en particulier, un sac plastique était accroché à une branche, probablement comme un repère.

Le capitaine continuait de les faire défiler quand une photo particulière attira notre attention.

— Merde. C'est bien ce que je pense ?

Personne ne risqua à répondre, le silence devint pesant, comme s'il nous jugeait, comme s'il nous condamnait lentement. Devant cette photo macabre, nous étions sans voix, aucun de nous n'osant exprimer l'horreur palpable. Aucun, sauf Lola, qui finit par rompre le calme persistant dans la forêt.

— Du sang.

La photo montrait les cheveux roux d'Ameline, couverts de sang. Rien de plus, rien de moins. Pas un morceau de chair, ni de vêtements, juste quelques mèches. Rien ne laissait présager qu'elle était en vie. Bien au contraire : tout indiquait qu'elle avait été victime d'un crime atroce.

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