Chapitre 4 : Lola.

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Les rayons du soleil se glissaient à travers la canopée. Le capitaine, portant le sac de Lydie et Ameline, nous avait ordonné de persévérer notre marche vers le nord, ignorant la détresse palpable parmi nous, soldats, face à la photo d’Ameline couverte de sang. Un silence étouffant s'était installé à la suite de cette découverte, de longues secondes qui nous rongeaient de l'intérieur. Puis, soudain, il se releva et dit simplement, calmement, mais décevant : « Continuons. » J’attendais davantage de compassion de sa part envers ces femmes qui semblaient avoir enduré un calvaire pendant leur trek. Pouvions-nous au moins prier pour elles ? Espérer qu'elles soient retrouvées vivantes, ainsi que les policiers partis à leur recherche.

Cette forêt dissimulait des secrets que nous comptions bien découvrir… Mais pouvions-nous nous mesurer à une adversaire aussi dangereuse ? Pouvions-nous sortir vivants de cet enfer vert ? J'en doutais. Malgré ça, nous continuions à nous enfoncer dans les profondeurs de la Guyane sans dire un mot, tous silencieux. Sans la vie foisonnante de la forêt, on aurait pu croire que nous étions déjà morts tant le silence nous étreignait. Heureusement, les oiseaux chantaient toujours, la flore ondulait au gré du vent, et la pluie persistait. Nous étions trempés, après une journée entière à marcher sous l'averse. Si j'avais les cheveux attachés, le visage dépourvu de mèches rebelles, je compatirais pour Amaury, dont les siens tombaient devant ses yeux. Son front en était couvert et son dos mouillé par les gouttes d'eau qui pleuraient de ses cheveux. L'assouplissement des règles militaires l'avait autorisé à exhiber une telle coupe, mais je n'avais jamais compris ce qui avait motivé son choix ; aucun autre soldat de ma connaissance n'avait osé. Et je l'admirais pour ça.

Alors que nous nous enfoncions dans la forêt amazonienne, le paysage changeait doucement : les fleurs étaient bien plus abondantes, d'un multicolore qui contrastait avec le vert émeraude de la végétation jusqu'à présent. Elles étaient imposantes, mesurant jusqu'à un mètre de hauteur et cinquante centimètres de largeur, une vision que je n'avais jamais vue auparavant. Les pétales arboraient des teintes de mauve, d'écarlate, de jaune, et d'autres teintes inconnues pour moi. Leur pollen embaumait sur des kilomètres. L'odeur s'insinuait dans mon nez, semblant ne jamais me quitter, mon sens de l'odorat et elle fusionnaient. Les fleurs n'avaient rien en commun, comme si elles avaient été plantées intentionnellement par l'homme : en tout cas, elles n’avaient pas l’air naturelles. La mousse serpentait le long des troncs d'arbre, là où la légende voulait qu'elle pousse vers l’hémisphère nord, ici, elle s'installait dans chaque recoin de la forêt. Et lorsqu'elle n'était pas présente, c’étaient des champignons qui prenaient sa place. Étaient-ils comestibles ? Je n'en avais aucune idée, mais je n'oserais pas les goûter.

Soudain, quelque chose attira mon attention, une menace insidieuse se fondant dans le bruit de nos bottes écrasant la flore.

— Chut !

Tout le monde s'immobilisa, terrifié à la pensée qu'une créature redoutable nous guettât. Dans cette forêt, le danger pouvait surgir de n'importe où. Le capitaine me jeta un regard, puis ferma ses paupières, comme s'il avait saisi l’allusion.

— Vous entendez ? nous demanda-t-il.

Killian rompit le mutisme avec un rire moqueur, nous jugeant idiots d'imaginer des choses. Alors que l'idiot, c'était bien lui. L'atmosphère était crispée, et seul un sourd aurait pu ignorer la tension.

— Qu'est-ce qu'on est censés entendre ?

— Rien, répondis-je. Juste le silence total.

Plus de vent, plus de chants d'oiseaux, plus de bruissement des feuilles, seulement le néant. C'était comme si nous avions pénétré dans une nouvelle dimension temporelle, comme si nous avions quitté la Terre, et ce silence me donnait des frissons.

— Vous trouvez ça normal ? Peut-être qu’un prédateur rôde non loin d'ici ?

— Cela expliquerait le silence des oiseaux. Mais pas l'absence de vent.

Le capitaine avait raison, aucune explication plausible ne pouvait rendre compte de ce mystérieux silence. Killian, quant à lui, avait perdu son sourire narquois pour laisser place à une inquiétude inhabituelle. Il était un imbécile, mais le découvrir dans cet état me touchait, car je ressentais la même angoisse. La terreur s'insinuait en nous, parce que quelque chose n'allait pas dans cette forêt, et la disparition des deux étudiantes et des policiers accentuait l'aspect alarmant de la situation. Et si nous aussi disparaissions ? Si nous ne revoyions jamais nos proches, destinés à rester prisonniers de cet endroit. J'étais pétrifiée, submergée par une peur irrationnelle qui me dévorait.

Nous reprîmes la marche, mais les arbres semblaient se déplacer, adoptant des formes étranges : tordus, déformés, disproportionnés. Nous croisâmes un arbre en forme de S, que nous marquâmes d'une bombe de peinture cyan pour être sûrs de repérer notre chemin. Cependant, après une nouvelle heure de marche vers le nord, c'est-à-dire en ligne droite, nous retrouvâmes le même arbre en S maculé de cyan. Cela n'avait aucun sens.

— Putain, c'est une blague ?

— Ahah ! On dirait bien qu'on est perdus, répondit Killian avec un rire ironique, teinté de peur.

— Ce n'est pas possible. Nous avons marché vers le nord. Nous ne devrions pas être au même endroit qu'il y a une heure !

Alors que la panique commençait à nous envahir, le capitaine nous fixa tour à tour, nous jugeant probablement comme des pleutres s'affolant pour un rien. Il devait sûrement avoir une explication sensée, quelle qu'elle soit, mais pour ma part, j'en étais démunie. En tout cas, il était le seul à rester serein, les mains sur les hanches.

— Calmez-vous ! hurla-t-il en consultant sa montre. Il est moins de dix-huit heures. Il devrait faire jour.

Merde. Un nouveau souci : la nuit était aussi noire qu’à deux heures du matin. Pourtant, à cette période de l'année, au mois d'août, il aurait dû faire encore jour. La chaleur semblait m'envahir, comme si j'étais atteinte de fièvre. Je sortis un thermomètre pour mesurer la température extérieure, pointai vers le paysage et appuyai : 45 degrés. Comment était-ce possible ? La moyenne, en été, en Guyane, était de trente degrés. Même avec le feuillage des arbres nous protégeant, il faisait sacrément chaud. Et cette pluie qui ne cessait de tomber. Je me sentis oppressée, mon cœur compressé, battant à toute vitesse, me voyant déjà aussi morte que Lydie et Ameline.

— Bon, reprit le capitaine. Pas de panique. Nous allons faire une pause pour reprendre nos esprits.

Nous installâmes des tentes, et pour la première fois, j'étais heureuse d'être à l'abri. Je partageais ma tente avec Ariane Dimont, que je connaissais peu, mais avec qui je m'entendais bien. Sa grande taille d'environ un mètre quatre-vingts rendait notre abri inconfortable, mais je pense qu'elle était aussi satisfaite que moi d'être enfin à l'abri de la pluie. Elle sortit un linge de son sac à dos et essuya ses courts cheveux bruns. En fait, elle avait presque la même coupe qu'Amaury, à l'exception qu'elle était plus longue et que les côtés n'étaient pas rasés. Une frange émergea de la serviette, mettant en valeur ses yeux bleus et son visage rond.

Malgré le confort relatif de la tente, je ne pouvais m'empêcher de me soucier pour notre situation : il faisait nuit noire, comme sur les photos prises par l'appareil de Lydie et Ameline, et si le jour ne se levait jamais ? Mon TOC de mordiller la peau autour de mes ongles ressurgit lorsque j'étais anxieuse, et Ariane le remarqua, me réconfortant.

— Ne t'inquiète pas, on va les retrouver.

— Et si on ne s'en sort pas ?

— Nous sommes treize, entraînés pour ce genre de situation. Ne t'inquiète pas.

— Les policiers étaient une vingtaine. Tous disparus.

— Il faut garder la tête froide, sinon, on ne s'en sortira pas.

Elle avait raison. Le meilleur moyen de se perdre dans une forêt aussi vaste que celle-ci était de céder à la panique. Je devais rester rationnelle, sensée et lucide. Nous finirons par nous en sortir. Ariane me le promit, et j'avais confiance en elle.

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