Chapitre 5 : Amaury.

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Suite à toutes ces révélations – les vêtements, les photos, le temps qui paraissait s'être figé – un tourbillon de questions envahissait mon esprit, auxquelles il semblait peu probable que je trouve des réponses. Inquiet, tout comme mes compagnons, malgré le confort relatif de la tente, le sommeil me fuyait. D'abord, en tenant compte de ce calme excessivement silencieux qui me procurait des frissons à chaque pensée, puis à cause de tout le reste. La perspective de la mort me terrifiait, je me sentais trop jeune, trop attaché à la vie. Pourtant, cette pensée obsédante ne me quittait plus : nous allions mourir, un jour ou l'autre, comme tous ceux qui s'étaient aventurés dans cette forêt. Je n'avais plus d'espoir de retrouver Lydie, Ameline et les policiers en vie. Tôt ou tard, nous découvririons leurs cadavres en décomposition, et nos propres corps les rejoindraient bientôt.

Couché à côté d'Alphonse, qui ne voulait pas rester seul, tout comme moi et les onze autres soldats, je me tournai vers lui alors que le sommeil refusait de venir. Il était aussi éveillé que moi, ses grands yeux verts visibles grâce à une lampe que nous avions allumée pour éviter l'obscurité (au cas où il y aurait un problème). La lumière se reflétait sur ses mèches blondes qui descendaient sur son front, plus courtes que les miennes mais assez longues pour atteindre ses sourcils.

Alphonse était un homme imposant, tant physiquement que par son aura, respecté de tous, un modèle pour nous. Encore une fois, il avait affirmé son statut de leader en conservant son calme alors que nous étions tous en panique. Je me demandais comment il pouvait rester si serein dans une situation pareille : la mort était imminente, mais il parlait comme s'il avait encore espoir en notre survie. C'était mignon, naïf et ridicule, mais mignon.

Tandis que je l'observais, je me questionnai sur son parcours qui l'avait mené jusqu'ici. Pourquoi s'était-il porté volontaire ? Et pourquoi l'avais-je suivi ? Mes pensées dérivèrent vers notre temps à l'armée. Devant la télévision, avec d'autres soldats comme Aaron et Gauthier – inséparables tous les deux – captivés par les informations. Nous venions d'apprendre que la vingtaine de policiers avait disparu au même endroit que Lydie et Ameline. J'étais sous le choc, bouche bée, comme tous ceux devant leur écran à ce moment-là. C'était un flash spécial, et rapidement, toutes les chaînes en parlaient. Elles surnommaient la forêt amazonienne de Guyane le « Triangle des Bermudes guyanais. » J'avais dit à Alphonse à quel point c'était un scandale pour la France et que nous devrions y aller. Mais je plaisantais, évidemment. Jamais je n'aurais cru me trouver dans cet endroit un jour. Pourtant, Alphonse l'avait pris au sérieux : « C'est une bonne idée », avait-il répondu. Il avait alors lancé un appel : tout volontaire pour partir en Guyane serait le bienvenu. Et il m'avait presque supplié de l'accompagner : « Il faut qu'on les retrouve, Amaury. C'est notre devoir. Pour la France. » J'avais répliqué, déterminé : « Tu ne trouves pas qu'on en a assez fait pour la France ? », « Justement », m'avait-il répondu. Malgré ma réticence, je n'avais pas su refuser. La France n'était qu'un prétexte pour accepter cette mission. En réalité, Alphonse et moi-même avions des choses à régler avec notre passé. Partir en Guyane était comme chercher notre identité et nous retrouver.

Je continuai de le fixer, perturbé par ce silence de mort, perdu dans mes pensées, quand il m'interpella sur mon comportement :

— Veux-tu bien arrêter de me fixer ?

Je détournai les yeux, pris au dépourvu d'avoir été surpris. En même temps, je n'avais pas vraiment fait preuve de discrétion. Je sentis la chaleur monter à mes joues, les colorant de rouge. Heureusement, c'était Alphonse. J'étais à l'aise en sa présence, et il savait que je ne pensais à rien d'autre qu'à son inquiétude pour lui.

— Tu n'as pas pris de repas ce soir, lui dis-je, préoccupé par son état.

Il n'avait rien mangé de la journée, et moi non plus. Les autres soldats avaient probablement grignoté quelque chose dans leurs tentes, chacun ayant apporté de quoi se nourrir dans son sac. J'avais peur qu'il finisse par se sentir mal, car marcher dans cette jungle était une épreuve physique. Et franchement, nous n'avions besoin de rien de tout ça.

— Je n'ai pas faim.

— Force-toi.

Je me redressai, éprouvant une douleur lancinante dans le dos, car nous dormions à même le sol. J'en profitai pour m'étirer un moment, mes bras longeant la largeur étroite de la tente. Je n'étais pas grand, mais elle était encore plus petite. Finalement, je sortis une barre de céréales de mon sac, aux noisettes et aux amandes, et la lui lançai. Elle atterrit sur son ventre, mais il ne bougea pas. J'en pris une deuxième que j'ouvris pour la déguster. Elle était délicieuse. Un bref instant de satisfaction dans cette journée infernale. En me voyant, Alphonse fit un effort : il commença à manger la sienne.

— Tu penses qu'elles sont mortes ? demandai-je tout en croquant dans ma barre de céréales.

— Je n'espère pas.

— Que faisons-nous s'ils sont tous morts ?

— Eh bien, on rentre chez nous.

— Et si nous n'y parvenons pas ? Si nous restons bloqués dans cette forêt ?

Il ne répondit pas et me tourna le dos. Je compris qu'il se posait les mêmes questions que moi, mais il n'osait pas l'admettre. Son rôle de leader l'obligeait à cacher ses inquiétudes. Il devait demeurer optimiste et nous encourager, même s'il doutait au fond de lui.

Je finis par m'assoupir, ou plutôt, perdis connaissance. Je n'avais aucun souvenir de ma somnolence, c'était comme si j'avais été plongé dans l'inconscience pendant plusieurs heures. Enfin, pas tout à fait. Parce que j'avais rêvé, du moins cauchemardé. Des réminiscences d'un passé traumatisant me réveillèrent en sursaut, le front couvert de gouttes de sueur.

Dès que mes paupières se soulevèrent, quelques instants furent nécessaires pour que je reprenne mes esprits et identifie l'endroit où je me trouvais : était-ce un rêve ou bien la réalité ? Ah oui, c'est ça, nous étions égarés au cœur d'une forêt en Guyane. Je constatai l'absence d'Alphonse, et sortant précipitamment de la tente, le cœur battant la chamade, je le découvris à l'extérieur.

La nuit régnait toujours, laissant supposer que mon sommeil n'avait pas été long. Il devait être environ trois ou quatre heures du matin, mais sans montre à portée de main, aucune certitude. Rejoignant Alphonse, qui avait l’air perturbé par quelque chose d'invisible, comme s'il avait eu une vision surnaturelle, je posai ma main sur son épaule pour le ramener à la réalité. Aucune réaction de sa part. Il devait y avoir quelque chose de sérieux. Scrutant les alentours, je me demandai si nous avions été attaqués pendant la nuit, mais tout semblait intact, aucune tente endommagée.

— Qu'est-ce qui se passe, Alphonse ?

— Il est... Il est sept heures du matin.

Merde. Je compris immédiatement la situation : il faisait nuit à sept heures du matin, ce qui était impossible. Le soleil aurait dû se lever à 6h25, et il était déjà 7h18. Cela signifiait que le soleil n'était pas apparu depuis que nous avions atteint cette partie de la forêt. Comment ça pouvait-il être possible ? Les fleurs qui nous entouraient depuis que nous avions trouvé le sac de Lydie et Ameline devaient avoir un lien avec ça. Rien n'avait de sens, et la pluie incessante m’étouffait. Je sentais une crise d'angoisse monter en moi, mon cœur prêt à exploser, ma respiration saccadée, incapables de prononcer un mot, les larmes aux yeux. Ça n'allait vraiment pas.

Alphonse posa ses mains sur mes bras pour me maintenir debout, alors que mes jambes faiblissaient.

— Tout va bien se passer, Alarie, je te le promets.

— On va crever. Personne ne nous retrouvera jamais.

— Je t'interdis de penser ça.

Je me concentrai sur ma respiration pour me calmer, essayant de reprendre le contrôle. Un, deux, trois, inspire. Un, deux, trois, expire. Mon cœur ralentit, mes doigts tremblants se resserrèrent, et ma vision trouble récupéra sa netteté. Bien. Très bien. Nous n'avions pas le choix, il fallait sortir de cette forêt. Peu importe les disparus, je voulais retrouver ma famille, la France, mon chez-moi.

Je me dirigeai vers la corde nouée à un arbre près de ma tente, reconnaissant qu'Alphonse avait eu la bonne idée de la prévoir en cas de perte.

— C'est la solution ! m'écriai-je joyeusement.

Mes paroles réveillèrent les onze autres soldats qui sortirent de leurs abris, le regard fixé sur moi. Nous repliâmes nos tentes et emballâmes nos affaires. Je commençai la marche, la corde frottant contre ma paume, Alphonse me suivant de près, tout aussi déterminé à rentrer chez lui que moi. Nous abandonnâmes notre mission pour notre survie, et tous acquiescèrent à ce choix. Entre la végétation envahissante, le silence des animaux, la pluie incessante, la nuit persistante, nous n'avions aucune envie de disparaître à jamais.

Cependant, après cinquante mètres, la corde devint molle. Étrange. Les deux extrémités attachées à un arbre, aucune raison qu'elle soit si lâche. En l’examinant, je réalisai qu'elle était coupée en deux. Quelqu'un avait délibérément saboté notre chemin, nous privant de tout espoir de retrouver notre route.

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