Chapitre 6 : Aaron.

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Durant la nuit, quelqu'un avait sectionné la corde qui constituait notre lien avec le retour en France. J'étais stupéfait par cette nouvelle, qui aurait l'intention de nous nuire ? Nous aspirions tous à rentrer chez nous, épuisés par cette randonnée sans fin, la tempête qui s'abattait sur nos têtes, et la nuit qui persistait sans répit. Il semblait que l’un d’entre nous ne désirait pas retourner en France, pour une raison que j'ignorais. Cependant, ni Gauthier ni moi-même n'étions les coupables. J'étais resté éveillé toute la nuit dans la tente, tourmenté par une insomnie lancinante. Si Gauthier avait quitté la tente, j'aurais certainement vu ou entendu quelque chose.

Ce qui rendait cette situation encore plus étrange, c'était que je n'avais rien entendu pendant cette nuit. Absolument rien, à part le tambourinement des gouttes de pluie sur la toile de ma tente. Aucun bruit de pas sur le bois, aucune fermeture éclair qui s'ouvrait, aucun signe qu'un camarade était sorti. À moins que je ne me sois assoupi sans m'en rendre compte ? Ça semblait improbable. Je savais si j'avais dormi ou non.

Le capitaine affichait une expression troublée, ses sourcils froncés vers moi, comme s'il me suspectait d'avoir perpétré cet acte malveillant. Pourquoi aurais-je fait une telle chose ? Ma vie était bien trop précieuse pour que je sabote notre retour. Ma colère montait, me mordillant la lèvre inférieure pour éviter de répondre à ce connard. Mais très vite, je compris qu’il n’en avait pas après moi spécifiquement et, par conséquent, que j’avais bien fait de me taire.

— Malet, va chercher l'autre bout de la corde aux alentours. Nous t'attendons ici.

Pourquoi moi ? L'idée de me retrouver seul dans cette forêt maudite me répugnait. Et si je me perdais ? Si je ne retrouvais jamais le chemin du retour, si je chutais, et que personne ne retrouvait jamais mon corps pour que mes proches puissent faire leur deuil ?

— Mais…

— Tu as ta boussole pour te retrouver. Et si vraiment tu ne nous retrouves pas, nous crierons pour t'indiquer notre position.

Avais-je vraiment le choix ? Non. La désobéissance envers notre supérieur n'était pas envisageable, d'autant plus que céder à la peur me ferait passer pour un lâche et dès lors que je retournerais en France – si jamais nous y retournerons un jour – je serais viré de l’armée. Je lançai un dernier regard à Gauthier avant de quitter l’escouade, sûrement avec pitié parce que ce dernier proposa de m’accompagner. Je priai intérieurement pour que le capitaine accepte.Un silence oppressant dominait tandis qu'il réfléchissait à sa réponse, mon cœur battait la chamade comme si ma vie dépendait de sa décision. Déjà peu enclin à m'éloigner du groupe, la présence de Gauthier pourrait au moins adoucir cette épreuve.

— Très bien, concéda le capitaine en poussant un soupir.

Yes ! Soudain, je me sentis revigoré à l'idée de partir chercher l'autre extrémité de la corde, n'étant plus seul et ayant en plus mon ami de toujours, Gauthier était un type formidable, quelqu'un de fiable en qui on pouvait avoir confiance, le genre de personne qui n'irait pas couper les cordes en pleine nuit, mettant ainsi tout le groupe en danger.

J'aurais pensé que le capitaine aurait cherché à savoir qui était responsable et aurait probablement accusé l'un d'entre nous. Mais il n'en fit rien. Peut-être pour éviter les tensions au sein du groupe, ce qui semblait plutôt logique. Au lieu de ça, il cherchait une solution, et cette solution était moi.

M'éloignant du groupe, Gauthier à mes côtés, nous avancions à travers la végétation avec nos uniformes kakis et nos cheveux noirs, bien différents d'Amaury. Nous étions discrets. Cependant, avec la profusion de fleurs qui parsemait notre chemin, je me disais qu'Amaury serait peut-être encore plus invisible que nous. Des pétales rouges étaient omniprésents, mais le noir était introuvable.

Alors que je peinais à avancer dans cette forêt, lutant contre les ronces qui s'accrochaient à mon pantalon et les lianes qui m'entravaient les bras et le cou, je vis Gauthier, tout aussi en difficulté que moi.

— Pas trop compliqué ? lui lançai-je.

Il me répondit par un regard amusé, ses yeux bridés se plissant avec un sourire sincère. Nous avions l'air de deux imbéciles incapables de marcher dans de l'herbe.

— Nah !

Je scrutais les environs à la recherche de la corde, cherchant sa couleur rouge vif pour qu'elle ressorte dans ce décor verdoyant. Mais, comme Amaury, elle se fondait dans la nature avec toutes ces fleurs. Approchant ma tête de la végétation, je me demandais comment elle avait pu pousser. Comment avait-elle émergé de la terre sans insectes volants pour disperser le pollen ? Car il était évident qu'il n'y avait aucune créature volante dans l'air. Pas même de moustiques. Si en temps normal, j'aurais été ravi d'un été tropical, humide et chaud sans moustique, dans cette situation, ça me préoccupait d'autant plus.

— Ça pue, tu trouves pas ? fis-je remarquer.

— C'est le pollen.

— Je n'ai jamais senti du pollen aussi fort.

— Vu la quantité de fleurs, ça ne m'étonne pas que ça schlingue autant.

Nous avons cherché partout, parcouru un kilomètre pendant deux heures, mais impossible de retrouver le bout de la corde. Nous allions sûrement nous faire réprimander, pensai-je. Cependant, nous ne pouvions rien y faire. Nous avions soulevé chaque feuille, examiné chaque centimètre de la forêt, mais rien.

Sur le chemin du retour, je me sentais anxieux comme un enfant pris en flagrant délit. Je savais que des reproches m'attendaient, mais je ne pouvais rien faire pour les éviter.

— Tu penses que c'est qui qui a coupé la corde ? demandai-je à Gauthier.

— Killian. C'est le seul à prendre tout ça à la légère.

— Hum.

Je ne savais pas trop quoi en penser. Gauthier avait raison sur l'immaturité de Killian, mais était-ce suffisant pour commettre un tel acte ? Cependant, puisqu'il fallait bien trouver un coupable, je me ralliais à son idée : Killian.

Arrivés devant le capitaine, tous étaient assis par terre, patientant notre retour en silence. J'exprimai l'échec de notre mission d'un signe de tête. Le capitaine souffla du nez, son visage fermé, rendant impossible la lecture de ses pensées. Mais je sentis qu'il était désemparé et irrité, tout comme nous tous.

— Bien, m'irritai-je. Qui est responsable ? Que le coupable se manifeste.

— Ça suffit, m'interrompit le capitaine en se levant. (Imposant de taille, plus grand que nous tous, charismatique et dominant. Face à lui, je me sentis insignifiant.) Nous devons rester unis, sinon nous perdrons la tête.

Il avait raison : chercher le coupable de cet acte odieux ne servirait à rien. Peut-être était-ce une intervention animale ou une simple ronce qui avait sectionné la corde ? Je n'avais pas la réponse à cette énigme, mais je compris que maintenir notre calme était essentiel.

Soudain, le capitaine s'effondra au sol. Son teint pâlit, ses mains tremblèrent, ses paupières peinèrent à s'ouvrir. Il faisait un malaise. Je me précipitai vers lui, suivis par les onze autres soldats. Amaury le soutint en tenant son dos.

— Il a besoin d'eau.

Je sortis rapidement une bouteille d'eau de mon sac et la lui tendis. Le capitaine but quelques gorgées et sembla reprendre ses esprits. Un malaise après seulement une journée de marche ? Cela me surprit, car il était bien plus robuste que ça. Cependant, avec la fatigue, la faim, l'atmosphère tendue, le poids psychologique sur ses épaules, son corps avait peut-être fléchi.

Amaury, particulièrement inquiet, le maintint en le soutenant. Il plongea son regard dans celui du capitaine, ses iris verts ressortant du rouge qui les entourait, comme s'il venait de fondre en larmes ou qu'il n'avait pas dormi depuis 72 heures.

— Vous devez manger, déclara Amaury.

— Ce n'est pas la faim. Je me sens vidé de mon énergie.

— Il faut que vous vous reposiez.

— J'ai passé la nuit à me reposer. Et nous avons attendu Malet et Lavigne pendant trois heures sans bouger. Je vais bien.

Il se releva, déterminé à nous montrer que ce n'était qu'un incident mineur dans le déroulement de notre mission. Cependant, au fond de moi, je savais que c'était bien plus sérieux qu'un simple malaise vagal.

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