Chapitre 7 : Killian.

6 minutes de lecture

Une migraine transperçait les centres réflexes de mon cerveau, m'empêchant de penser à quoi que ce soit. À chaque mouvement de mon orteil, ma tête était martelée par une douleur intense. Et lorsque je la laissais immobile, sans bouger le moindre petit doigt, elle explosait comme si une bombe y avait été placée. Je ne savais pas si c'était le manque de sommeil qui me rendait malade de cette manière, ou si la forêt y était pour quelque chose, mais une chose était certaine : ce n'était pas normal.

La chaleur était accablante, bien au-delà des 45 degrés de l'extérieur. C'était comme si je brûlais de l'intérieur, aspergé d'essence et une allumette grattée. La transpiration dégoulinait de tout mon être, de ma raie des fesses jusqu'à mes jambes, en passant par mon front, ma moustache, mes aisselles, et en fait, tout mon corps. Pourtant, par moments, j'étais frigorifié comme si la température avait chuté subitement de cinquante degrés. Je tremblais de tout mon corps, mais je faisais mine d'aller bien devant mes camarades. Je ne voulais pas qu'ils s'inquiètent, qu'ils me voient faible et vulnérable. Ou pire encore, que cela leur donne une raison de m'abandonner dans cette forêt : trop encombrant à transporter.

Nous avions repris la marche, suivant les directives du capitaine qui, lui aussi, ne semblait pas être au meilleur de sa forme. Il titubait comme s'il avait bu dix pintes de bière, sa respiration était saccadée et puissante : il avait du mal à inspirer de l'air. L'atmosphère était pesante, donnant la sensation que le ciel s'écrasait sur nos têtes.

Si nous étions tous affaiblis par une nuit agitée et la journée précédente à avancer au cœur de la forêt, j'avais l'impression qu'une force surnaturelle m'avait dérobé toute ma vivacité. Je comprenais maintenant ce que le capitaine voulait dire quand il parlait de se sentir « vidé de toute énergie », car c'était exactement ce que je ressentais. Étais-je le seul ? Je l'ignorais, puisque tous faisaient bonne figure.

Soudain, le capitaine émit un grognement, en colère pour une raison qui m'échappait. Il s'immobilisa net, comme si le temps s'était suspendu et que nous étions bloqués dans une dimension différente de celle de la Terre.

— Ma boussole déconne. Donnez-moi la vôtre.

Je jaillis la mienne de ma poche et, alors que j'allais la lui remettre, je vis l'aiguille zigzaguer dans tous les sens, comme si le nord changeait de place à chaque seconde.

— La mienne aussi.

Rapidement, chacun sortit sa boussole, et le constat était unanime : aucune ne fonctionnait. Peut-être était-ce dû au magnétisme du sol, ou à quelque autre phénomène inexpliqué. Honnêtement, je n'en avais aucune idée. La seule certitude que j'avais était que nous étions plongés jusqu'au cou dans la merde.

La colère du capitaine monta en flèche à mesure que nos boussoles montraient des signes de dysfonctionnement. Sa voix grave devint rauque, son ton s'éleva, et son visage se crispa.

— Vous plaisantez ? Aucune ne marche ? Aucune, aucune ?

— Aucune, capitaine.

Entre les boussoles défaillantes et la corde coupée, il devenait difficile de conserver l'espoir de rentrer chez soi un jour. Des doutes sérieux commencèrent à s'installer quant à notre survie. Serai-je encore en vie demain ? Comment allions-nous mourir ? La peur me gagna, mes poings se serrèrent devant l'angoisse de rencontrer la faucheuse trop tôt. Je n'étais pas prêt à mourir, mais ma maladie qui ravageait mon corps n'était pas du même avis. Je me sentais mal, j'avais besoin de m'asseoir, mais je résistais devant mon capitaine pour ne pas le décevoir. Malgré sa faiblesse physique, il détenait un mental d'acier, un modèle que je voulais suivre.

— Bon, passez-moi la carte, ordonna le capitaine.

Il avait dit « vous », mais en réalité, il voulait dire « Killian. » C'était moi qui possédais la carte, moi qui avais cette responsabilité, moi qui allais me faire démonter la gueule parce que je ne la trouvais pas dans mon foutu sac. Je fouillai chaque recoin, vidai entièrement mon sac en jetant tous mes objets de survie au sol : pas de carte. J'étais persuadé de l'avoir laissée dans la poche intérieure, mais elle n'y était pas.

Tous les regards étaient rivés sur ma détresse, et cette migraine, cette fièvre qui me déstabilisait. Je perdais la tête, peut-être l'avais-je rangée ailleurs ? L'avais-je donnée à quelqu'un ? Non, j'étais le gardien de la carte. Mais elle n'était putain de pas là. Après dix minutes de recherche, épuisé, les pieds tapotant au sol, les soupirs créant une pression supplémentaire, je levai péniblement les yeux vers le capitaine et haussai les épaules, incapable de formuler des mots.

— Tu te fous de ma gueule ? m'agressa-t-il.

— Je ne sais pas ce qu'il s'est passé. Elle était là.

— Tu l'as jetée ?

— Non !

— Alors pourquoi n'est-elle pas dans ton sac ?

— Je n'en sais rien... marmonnai-je.

Il scruta les visages des soldats, leur ordonnant de fouiller leurs sacs, « au cas où ». Mais rien. Personne ne le possédait. Il chercha dans son propre sac, toujours rien. Putain de merde, nous avions perdu la carte. J'avais perdu la carte. Aucune chance de nous en sortir sans boussole ni carte. Nous étions condamnés dans cette forêt infernale.

— Alarie, Dimont, Lavigne, Bonnel, et tous les autres. Que pensez-vous que Bonnel ait foutu de cette putain de carte ?

Mes poils se dressèrent à l'entente de mon nom, prononcé de manière si agressive. Aucun d’eux n'osa répondre, tous abattus et désorientés. Au plus bas. Nous allions mourir, et c'était de ma faute, mais je le jurais, je n'y étais pour rien.

— Allez Killian, finit par dire Amaury. Avoue que tu as perdu la carte, on ne t'en voudra pas.

— Il l’a jeté, ouais, ajouta Lola. Depuis le début, tu prends cette mission comme une blague. Je ne sais pas ce qui t’a poussé à venir, mais ce n’est plus drôle. Rends-nous la carte.

Être accablé à tort et jugé atteignait mon ego. Oui, j’étais un imbécile, mais de là à mettre en danger tout le groupe, jamais je n’aurais pris ce risque. Et pourtant, personne ne me croyait. Tous m'accusaient d'avoir délibérément jeté la carte pour une raison obscure.

— T’es trop con, continua Lola. On va tous crever à cause de toi ! Tu t’en rends compte.

Je me sentis attaqué, surtout par Lola qui persévérait à lancer des accusations à mon sujet. La colère m'envahit, incapable de résister à la tentation de lui faire fermer la gueule. Peut-être était-ce la maladie qui me faisait perdre pied, ou simplement mon impatience, mais je n'en pouvais plus.

— Ferme ta grande gueule, Lola.

— Excuse-moi ? Pour qui tu te prends ?

Elle s'approcha dangereusement de moi, me tint tête. Malgré sa taille inférieure à la mienne, elle émanait une menace avec son regard noir qui étincelait dans ses iris marron. Elle semblait parée à en découdre, et me poussa violemment en arrière. Je me rattrapai, manquant de tomber. Je n'aurais aucun scrupule à frapper une femme, surtout Lola. J'aurais pu lui tirer ses tresses pour la maîtriser. Facile. Cependant, le capitaine s'interposa et nous éloigna l'un de l'autre alors que mes poings étaient déjà prêts à s'abattre sur elle.

— Ça suffit. J’ai dit quoi tout à l’heure ? Nous devons rester soudés.

Mes yeux dérivèrent vers Aaron, son teint habituellement mat devint gris, comme s’il n’était plus qu’un cadavre debout : un mort-vivant. Sa peau était couverte de gouttes, de transpiration ou de pluie, je n’en savais rien. Mais il avait l’air mal en point lui aussi. Lola suivit mon regard et la seconde d’après, Aaron vomit le peu qu’il avait dans ses entrailles. Le capitaine fonça vers lui, lui tapota le dos et s’assura qu’il allait bien.

— Ça va, ça va. J’ai juste… des nausées.

— Tu es tout tremblant. Tu es sûr que tu peux continuer ?

— Oui !

De toute manière, qu’aurions-nous fait s'il avait répondu non ? L'abandonner ici pour qu'il meure ? Nous n'avions pas d'autre choix que de supporter la maladie et d'avancer à l'aveugle. Malgré tout, je ne pouvais m'empêcher de penser que cette forêt avait un pouvoir dévastateur sur nous. Elle nous rendait fiévreux, nauséeux, et plus encore. Cette histoire n'annonçait rien de bon.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire hodobema ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0