Chapitre 8 : Alphonse.

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Aaron était profondément mal en point : des maux de tête s'infiltraient dans sa boîte crânienne, semblables à des vers grouillant en lui, affirmait-il. Il était persuadé que des nausées et de la fièvre le rendaient fou à mesure que les secondes s'écoulaient. En examinant ses yeux marron, j'avais constaté ses pupilles complètement dilatées. Pour couronner le tout, son corps tremblait comme une feuille morte sur le point de tomber de son arbre. Killian avait confessé ressentir les mêmes symptômes, et moi aussi, j'étais submergé par eux sans oser l'admettre. Je devais demeurer leur source d'espoir, donc je devais faire illusion que tout allait bien dans mon corps.

Il était impératif que nous sortions de cette forêt qui semblait être la cause de ces manifestations étranges s'emparant de nous. Qui pouvait prédire notre destin, malades comme des chiens ? Et si la mort nous guettait ? J'avais ordonné à mes compagnons de persévérer à marcher, en prenant une direction plus ou moins au hasard, car nous ne pouvions plus déterminer où était le nord. Peut-être tournions-nous en rond, mais au moins, nous tentions quelque chose.

Même Aaron avançait, bien qu’à son rythme. Son bras entourait les épaules de Gauthier qui l'aidait à se déplacer, signe de sa volonté de fer. Malgré notre épuisement, nos nerfs à vif et notre paranoïa face à cette jungle qui nous contrôlait, nous continuions à errer d'un endroit à l'autre.

Tout se ressemblait : les fleurs étaient envahissantes où que l'on regarde, les arbres poussaient comme si la gravité changeait constamment, et les lianes menaçaient de nous étrangler tant nous ne distinguions rien. Même avec nos lampes pour nous éclairer, les reliefs provoquaient des ombres qui donnaient à la forêt une allure hantée. Je n'osais pas imaginer l'état de Lydie et d'Ameline qui ne s'éclairaient qu'à l'aide de l'appareil photo. C'était comme vivre un véritable film d'horreur.

— Je crois que… commença Ninon Peltier, ses pas titubant.

Son visage blanc comme neige ressortit dans la lumière de ma lampe. Elle essayait de dire quelque chose, mais sa voix fut coupée par les symptômes qui la dévoraient. Ses cheveux roux bouclés étaient la seule chose qui la rendait encore humaine, ses iris verts étaient entourés du rouge des vaisseaux sanguins éclatés, et ses lèvres viraient au bleu. C'était comme si elle était devenue un vampire.

— Je crois que j’ai choppé le truc d’Aaron.

Il était désormais indéniable que nous allions tous succomber. D'abord moi, suivi d'Aaron, Killian, Ninon, et bien d'autres dont le malaise était évident malgré leur silence. Je me souciais pour eux, car nous ignorions tous ce qui nous rongeait. Je me tournai vers Amaury, cherchant du réconfort, mais surtout inquiet de son état. Il me fit un bref signe de tête, suggérant « Ça va. » Non, ça n'allait pas. Nous avions contracté un virus inconnu dans un lieu inconnu, et même si nous parvenions à rentrer en France, qui pouvait garantir notre survie ? Ajoutant à ça la perspective d'être confinés jusqu'à ce qu'une explication soit trouvée concernant notre état.

Je repris mon calme, cachant mon inquiétude. Il était crucial de donner l'impression que je maîtrisais la situation, même si elle m'échappait totalement.

— Dépêchons-nous de sortir de cet enfer, lançai-je, accélérant le pas malgré les nombreuses ronces qui me meurtrissaient les pieds et les lianes qui fouettaient ma tête. Peu importait la douleur, nous devions sortir de là, et rapidement.

Soudain, un caillou fit trébucher mes pieds, menaçant de me faire chuter. Un grognement involontaire m'échappa, et je fis signe à tous d'être prudent avec ce rocher. En baissant les yeux vers le sol pour mieux examiner ce qui avait failli me blesser, je fus frappé de stupeur. C'était un os.

— Merde. C'est un…

— Un os, compléta Amaury.

D'une taille conséquente, d'environ cinquante centimètres, ses extrémités formaient une silhouette en forme de cœur. C'était la première fois que j'en voyais un de mes propres yeux. J'avais été confronté à des cadavres, de la chair déchiquetée et du sang répandu au point que l'odeur métallique m'envahissait les narines, mais un os, jamais. Ce qui le rendait d'autant plus étrange, c'était qu'il semblait faux. D'une blancheur éclatante, comme s'il s'agissait d'un jouet pour chien. Je me demandai ce qu'un jouet faisait ici, en plein cœur de la forêt amazonienne en Guyane. Il était évident que personne ne se promenait ici, encore moins avec un chien.

— Vous pensez que c’est un vrai ?

Amaury se pencha pour examiner de plus près l'os, finissant par le saisir dans sa main. Malgré mon cri : « Non ! », il s'en moqua et le tint fermement. Il tapota dessus avec deux doigts, produisant un son clair.

— Ça a l'air d'être un vrai, déclara-t-il.

Tous étaient captivés par ce morceau de squelette, négligeant momentanément les symptômes de notre maladie. Nos yeux étaient écarquillés, nos bouches béantes, et un silence glacial s'installa, provoquant des frissons.

— C'est étrange, ajoutai-je. Pourquoi est-il si blanc ? On dirait que…

— Qu'on l'a nettoyé à la javel, oui, affirma Amaury.

La terreur me figea, laissant Ninon s'approcher nonchalamment de l'os. Elle était la seule à ne pas montrer de surprise, comme si rien ne pouvait l'atteindre. Elle haussa les épaules et émit un souffle sarcastique.

— Le soleil. C'est le soleil qui blanchit les os.

— Sauf qu'il est… répondis-je en jetant un coup d'œil à ma montre. Presque midi, et il fait encore nuit.

— Ça veut dire qu'il y a moyen que le soleil se lève à nouveau.

Mes yeux s'élargirent. Elle avait raison. Tout n'était pas perdu. Nous pouvions encore sortir de cet enfer. Il suffisait de découvrir le bon moyen. Même si je doutais que marcher sans but autre que marcher serve à quelque chose, je devais occuper mes soldats en attendant que je trouve la solution. Alors, j'ordonnai de continuer, laissant derrière nous cet os mystérieux.

À treize heures, la faim me tenaillait l'estomac. Je décidai qu'il était temps pour une pause. Cela faisait une heure que je cherchais une manière de sortir de cette forêt sans succès. Je n'avais absolument aucune idée de la solution. Pourtant, il devait bien y en avoir une. J'étais convaincu que nous rentrerions chez nous vivants, d'une manière ou d'une autre, mais il fallait encore la découvrir.

Nous dressâmes un abri pour nous protéger de la pluie persistante : quatre piquets avec une toile par-dessus. J'étais trempé de la tête aux pieds, mes cheveux imbibés d'eau, les gouttes s'écrasant sur mon nez. Nous décidâmes de nous changer : j’enlevai ma veste, tout comme les autres qui se déshabillèrent sans gêne, y compris les femmes. Cependant, au moment de retirer mon tee-shirt, une pudeur m'envahit. C'était comme exposer mon passé sanglant à mes soldats, car sur mon épaule droite se trouvait une cicatrice encore rougeâtre, récente et douloureuse. Seul Amaury était au courant, et à en juger par le regard de pitié qu'il me lançait, je doutais qu'il m'assure que tout irait bien. Malgré tout, je n'ai pas réussi à enlever mon haut devant eux, privilégiant ma fierté au confort.

J'admirai mes soldats, braves, forts, dignes d'une promotion dès notre retour en France. Ils étaient tous découragés, mais continuaient à se battre. Aaron, Killian et Ninon faisaient semblant d'aller bien, alors que la maladie les mettait plus bas que terre. Je me tournai vers Amaury, dont la sueur perla sur son visage : de la fièvre. Il n'osait pas le dire, mais il était aussi fiévreux que les autres, et moi-même.

— Vous avez tous des symptômes, n’est-ce pas ? finis-je par demander.

Un silence pesant s'installa, aucun répondant ne résonna, les regards se détournant, et le mutisme parlait de lui-même : oui, nous étions tous touchés par la maladie. Aucun d'entre nous n'était épargné. Face à cette réalité, je me posai des questions sur la possible mort imminente de l'un d'entre nous. Que ferais-je si ça arrivait ? En étant le premier à avoir présenté des symptômes, il était probable que je sois le premier à succomber. Une tristesse m'envahit, non seulement à l'idée d'abandonner mes soldats, mais aussi parce que je réalisai qu'il fallait que je m'y prépare.

— Alarie, si jamais quelque chose m'arrive, je veux que tu reprennes le commandement de la troupe.

Amaury plongea ses yeux noisette dans les miens, à la limite des larmes. Malgré tout, il inclina la tête en signe d'acquiescement, me procurant un soulagement. Désormais, je pouvais envisager ma fin avec une certaine paix d'esprit.

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