Chapitre 12 : Ariane.

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La maladie nous engloutissait : tous dans un état lamentable. Avancer était aussi pénible qu'un marathon de cinquante kilomètres, mais nous persistions, n'ayant d'autre choix. Les nausées étaient la partie la plus insupportable ; l'odeur du pollen devenait intolérable, et chaque pas dans cette forêt était une épreuve à surmonter pour ne pas vider mon estomac. Mon ventre se tordait de faim, mais je ne pouvais rien avaler de peur de tout régurgiter. Un simple bol de riz aurait été bienvenu, mais la pluie nous privait de la possibilité de faire du feu pour le cuire. Nous avions donc décidé de renoncer au repas, trop malades pour manger de toute façon.

Un silence de mort régnait alors que nous avancions, aucun de nous n'osait prononcer un mot, trop affaibli pour discuter. Seul le bruit de l’averse remplissait l'air, un son devenu insupportable pour moi. Après presque trois jours perdus dans cette forêt, la nuit et la pluie était un enfer sur Terre, si tant est que nous soyons toujours sur Terre. J'avais l'impression d'être piégée dans un univers parallèle, incapable de retrouver nos familles. Je pensais aux cosmonautes, isolés dans l'espace : comment faisaient-ils pour rester calmes ? Je levai les yeux vers le ciel, sans étoile visible. La lune, grosse et orange, fournissait la seule lumière pour cette forêt maudite. Mais à part elle, tout était plongé dans une obscurité profonde. Comme dans l'espace.

Je n'en pouvais plus de marcher, épuisée et psychologiquement meurtrie. Mon souffle était saccadé, mon œsophage brûlait, mes entrailles se contractaient, et l'envie de vomir était irrépressible. Alphonse me vit au bout du rouleau, bien qu'il soit dans le même état que moi : pâle, trempé de pluie et de sueur, sa respiration haletante et ses paupières lourdes peinaient à rester ouvertes.

— Courage. On peut le faire.

Oui, nous le pouvions. Peut-être. Ou peut-être allions-nous succomber à la fatigue, comme Lydie, Ameline, et les vingt policiers envoyés ici. Je n'avais plus d'espoir de les retrouver, encore moins en vie. J'avais cessé d'y penser, du moins jusqu'à maintenant. Qu'étaient-ils devenus ? Avaient-ils ressenti les mêmes symptômes que nous ? Ou avions-nous simplement contracté un virus contagieux par pur hasard ? Ça m’étonnait quand même. Cette forêt était la cause de notre maladie, j'en étais sûre. Je ne savais pas comment, mais j'étais convaincue de cela, au moins.

Alors que je méditais sur le sort de ceux qui avaient disparu dans les méandres de la nature guyanaise, Lola renifla de manière exagérée, tel un chien qui aurait déniché une truffe dans la terre.

— Vous sentez quelque chose ?

Je fis de même, élargissant mes narines dans l'espoir de capter autre chose que le parfum des fleurs : une odeur nauséabonde me frappa. Ou plus précisément, une puanteur de pourriture. C'était la première fois en trois jours qu'une senteur autre que celle des fleurs nous assaillait, et elle était indéniablement présente : ça sentait mauvais.

— Ça sent… la mort.

— Vous pensez que… Lola n'osa pas terminer sa phrase, effrayée par la réalité qui se profilait.

Alphonse interrompit sa marche, nous enjoignit de faire de même, tout en se concentrant profondément : il scrutait les alentours comme si un danger était imminent, comme si la Faucheuse nous attendait. Mon cœur battait la chamade, prêt à s'emballer tant la peur m'envahissait. La mort était proche, ça ne faisait plus aucun doute.

Nous continuâmes à avancer pendant une heure, tournant en rond pour localiser la source de cette puanteur. Finalement, l'odeur s'intensifia, indiquant que nous n'étions pas loin de cadavres. Restait à déterminer s'il s'agissait d'animaux ou d'êtres humains.

L'adrénaline de la situation fit momentanément abstraction de la maladie qui nous rongeait, ne laissant qu'un seul objectif devant nous : découvrir d'où provenait cette pestilence.

Bien que je me sois préparée au pire, je n'étais néanmoins pas prête à affronter la réalité de ce sur quoi nous allions tomber : des cadavres humains.

Face à cette vision macabre, je ne pus réprimer mon dégoût : je gerbai le maigre contenu de mon estomac, ressentant une violente torsion dans mes entrailles. Les yeux rivés au sol, je refusais d’admirer ces vies volées, ces existences brisées. Mes pensées allaient aux familles, qui resteraient à jamais dans l'ignorance, sans jamais pouvoir ramener leurs proches perdus dans cette sombre forêt.

Amaury se boucha le nez, sur le point de vomir lui aussi. Lola, quant à elle, détourna le regard, évitant de fixer les cadavres. Seul Alphonse semblait insensible à leur présence, comme s'il était coutumier de ce spectacle. Il s'approcha d'eux à pas hésitants, comme craignant qu'ils soient encore vivants et prêts à l'attaquer.

— Ce sont… dit-il en déglutissant. Ce sont les policiers.

Je le suivis et me dirigeai avec précaution vers les cadavres sans vie, aux teints livides, dépourvus de toute trace de couleur, même leurs lèvres avaient viré au bleu. Leurs uniformes, bien que maculés de sang, arboraient toujours le bleu nuit avec un imposant « Police » à l'arrière, pour ceux qui étaient étendus sur le ventre.

— Merde. Ils sont tous morts.

La plupart de leurs visages étaient mutilés, méconnaissables. On aurait dit qu'ils s'étaient entre-déchirés, engagés dans un combat à mort. Leurs poings étaient couverts de griffures et de sang. Oui, c'était ça. Ils s'étaient massacrés comme s'ils avaient perdu la raison. Tout comme nous. Killian avait failli assassiner Lola, et elle l'avait tué en retour. Il ne serait pas surprenant que nous finissions comme eux après un jour de plus coincés dans cette forêt. L'inquiétude pour mes camarades, pour nous, m'envahissait : et si nous nous entre-tuions comme eux ? Heureusement, grâce à Alphonse, nous conservions une certaine lucidité. Mais les soldats qui nous avaient bannis du groupe semblaient déjà s'en prendre les uns aux autres. Je ne serais pas étonnée de trouver leurs cadavres d'ici demain.

Amaury s'agenouilla devant l'un des policiers, ignorant la puanteur qui nous entourait. « Hum… » marmonna-t-il, laissant planer un mystère que je ne parvenais pas à comprendre. Il frotta ses doigts sur ses lèvres, profondément songeur face au corps inerte devant lui.

— Vous avez remarqué ? Il n'y a ni vers, ni rien.

C'était vrai. Je n'y avais pas pensé, mais leur décomposition semblait inhabituelle : en fait, elle était inexistante. Je me remémorai les moustiques qui n'avaient pas survolé cette forêt depuis la tombée de la nuit malgré l'humidité ambiante. Aucun insecte n'était présent ici, même avec des cadavres au sol. C'était étrange et terrifiant à la fois.

— Vous pensez qu’ils sont morts y a longtemps ?

Amaury manipula le bras du cadavre en face de lui, évitant de toucher directement sa peau.

— Il est tout rigide. Je ne suis pas expert, mais ça fait un bon moment.

Nous fîment une minute de silence, une prière avare de paroles pour ces âmes perdues. Cette minute parut être la plus longue de ma vie. Seul le bruit des gouttes frappant les feuilles brisait le silence pesant que nous avions instauré. Mes pensées étaient monopolisées par ma survie, reléguant mes nausées au second plan : il était hors de question que je termine comme eux.

Point positif : ils ne semblaient pas avoir été tués par une force surnaturelle ou par un jaguar. Les fantômes n’existaient pas, du moins c'était l'impression. Et pour corroborer notre hypothèse, aucun signe de vie animale dans cette partie de la forêt.

Cependant, un point négatif demeurait : ils avaient été consumés par la folie au point de s'entre-tuer. La crainte de suivre leur destin me hantait, de sombrer dans la démence jusqu'à en perdre la vie. Malgré ma confiance en Alphonse, Amaury et Lola, la terreur persistait à l'idée qu'ils puissent succomber à la folie et finir par me tuer.

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