Chapitre 13 : Amaury.

5 minutes de lecture

Encore secoués par la découverte des cadavres, nous avions décidé de fuir cet endroit sinistre pour nous concentrer sur notre objectif principal : sortir de cet enfer. La mission n'avait plus d'importance ; tous étaient morts, Lydie et Ameline probablement aussi. Rencontrer leurs corps inertes ne m'enthousiasmait guère. Mes pensées dérivèrent vers l'os découvert : et s'il appartenait à l'une d'entre elles ? Ou pire, à d'autres randonneurs perdus dans cette forêt ? Étions-nous pris dans le « triangle des Bermudes guyanais », condamnés à être éternellement égarés. Étions-nous les acteurs involontaires d'un film d'horreur ? J'espérais secrètement à une farce de mauvais goût qui prendrait fin avec l'apparition des caméras. Mais la réalité sans échappatoire me plongeait dans le désespoir.

— On va crever. Comme les flics, paniquai-je.

Une nouvelle vague d’effroi me submergea : mon cœur battait dangereusement, ma respiration était saccadée, mes mains moites et tremblantes. Mon état physique et psychologique se détériorait. J'avais besoin de réconfort, de certitude quant à ma survie, mais personne ne pouvait me l'assurer. Malgré la conscience de l'égoïsme de ma crise d'angoisse alors que tous étaient dans la même galère, je ne parvenais pas à la maîtriser. Mon anxiété, déjà présente, s'était intensifiée dans ces conditions de vie difficiles : manque d'énergie, pluie, faim, fièvre et autres symptômes m'indiquant que j'étais encore en vie. C’était déjà ça. Tant que j’avais mal, j’étais vivant.

Alphonse saisit mes bras, ses yeux verts plongeant dans les miens avec une détermination inhabituelle. Il avait une mine sérieuse, plus sérieuse que jamais.

— Ne dis plus jamais ça. Je refuse que la folie prenne le dessus. Nous devons rester lucides.

— Je n'y arrive pas, Alphonse.

— Force-toi.

Me forcer ? Comment ? J'aurais aimé subsister sain d'esprit et ne pas finir comme ces malheureux policiers, mais c'était impossible. L'atmosphère était oppressante, insurmontable. Je n'y arrivais pas.

Soudain, un son sourd se fit entendre, une tonalité étrange que je connaissais sans parvenir à me rappeler où. C'était comme si une tondeuse avait été mise en marche. Le bruit était constant, de plus en plus puissant, ne me quittant pas.

— Vous entendez ?

Alphonse me relâcha, perplexe face à ma question. Il scrutait les horizons, ses sourcils froncés indiquant qu'il ne percevait aucun son.

— Je n'entends rien.

— Mais si ! Écoutez bien.

Le bruit s'amplifiait, comme s'il se rapprochait de nous.

Tactactac.

Un hélicoptère !

Je levai les yeux vers le ciel dans l'espoir de l'apercevoir, mais la densité des feuillages m'empêchait de distinguer quoi que ce soit. Les arbres étaient trop feuillus. Je pointai ma lampe torche vers le ciel, espérant qu'ils remarqueraient mon signal de détresse. Je ne connaissais pas le code Morse, impossible de transmettre un message. Cependant, une lumière blanche dans une forêt amazonienne attirait naturellement l'attention. Du moins, c'est ce que j'espérais.

Soudain, à travers les feuilles, je le vis : grand, noir, en feu. Il s'écrasait. Comme dans le triangle des Bermudes. Merde, nous étions vraiment pris dans un espace-temps différent de la norme. Mon cœur s'emballa de nouveau : et si c'était la France qui avait envoyé d'autres militaires pour nous retrouver ? Nous devions les aider !

Ignorant les cris d'Alphonse, Lola et Ariane qui hurlaient mon prénom, je me mis à courir. Ça m'était égal : je devais les aider. Les pensées s'étaient effacées, laissant place à un pur instinct. Je filai en direction de l'hélicoptère. Puis le crash secoua le sol, perfora mes tympans et fit exploser mon rythme cardiaque. Priez pour qu'ils soient en vie. J'avais besoin de voir de nouvelles têtes, de leur rapporter nos découvertes.

Je continuai à courir à travers la forêt, les branches me flagellaient, les ronces s'accrochaient à mon uniforme, et la pluie m'aveuglait. Mais peu m'importait : je courais, encore et encore.

Le crépitement du feu, sa chaleur et sa lumière attirèrent mon attention : ils étaient là, juste devant moi. Mes pensées étaient dénuées de réflexion, je me laissais guider par mon instinct. M'approchant d'eux, essoufflé après avoir parcouru deux ou trois kilomètres, je poussai les feuilles et les fleurs entravant ma vision de la scène du crash. L'hélicoptère était en morceaux, entièrement enflammé. Des corps dépassaient, démembrés, en train de brûler. Ils étaient tous morts. Je m'effondrai en larmes, confronté à une nouvelle épreuve. Je n'en pouvais plus. Malgré ma volonté de les secourir, le feu violent m'empêchait de m'approcher d'eux.

Lorsqu'un des corps bougea, ses paupières s'ouvrirent et ses yeux rouges s'illuminèrent devant la lueur des flammes. Oh mon Dieu, pensai-je. C'était une femme, ses cheveux brûlaient comme tout le reste de sa chair, devenant noire puis blanche. Elle devait endurer une souffrance atroce, et pourtant, elle ne criait ni ne pleurait. Elle était simplement là, remuant son bras et me fixant. Levant sa main vers moi, elle me pointa du doigt.

— C’est de ta faute, marmonna-t-elle.

Sous le choc, la bouche grande ouverte, je voulus lui répondre, n'importe quoi, mais ma voix était bloquée comme si j'avais perdu la faculté de parler. Elle répéta la même chose, d'une voix plus intense et menaçante :

— C’est de ta faute !

Mes yeux étaient écarquillés, des larmes coulaient le long de mes joues pour s'écraser sur mon buste, et moi, j'étais planté là, incapable de faire quoi que ce soit pour l'aider. Soudain, un flash me traversa l'esprit : c'était Emma Landry, une ancienne collègue décédée lors d'un crash d'hélicoptère. Impossible. Ça ne pouvait pas être elle. Elle était morte il y a des années, quatre pour être précis. Et pourtant, malgré ses brûlures, elle lui ressemblait comme deux gouttes d'eau.

— Amaury ! Amaury !

Alphonse criait mon prénom. Quand il apparut derrière moi, avec Lola et Ariane, je fus soulagé de ne plus être seul face à cet accident d'hélicoptère.

— Il… Il faut l’aider, bégayai-je.

— Aider qui ? me demanda Alphonse.

Quand je me retournai vers le crash pour lui montrer, il n'y avait plus rien. Que la vaste forêt, embourbée par la pluie. Plus de feu, plus de carcasse métallique, plus de corps.

— Qu’est-ce que… Il y avait un hélicoptère en feu ici !

— Je crois que la forêt nous joue des tours.

Je n'en revenais pas : j'avais halluciné. Pourtant, ça semblait si réel. Je ressentais la chaleur, le tremblement sous mes pieds, le bruit dans mes tympans. Et maintenant, il n'y avait plus rien. Tout s'était anéanti, volatilisé. Comme si ça n'avait jamais existé. Et peut-être était-ce le cas.

— Mais… C'était là.

— Nous n'avons rien vu et entendu, Amaury. C'était dans ta tête.

Je comprenais mieux Killian : lui aussi avait halluciné. Il avait dû voir le visage de sa femme enceinte sur celui de Lola. Il revivait l'accouchement, un traumatisme qui l'avait bouleversé, tout comme je revivais l'accident d'hélicoptère. Surpris, je me retrouvais comme un imbécile sans explication face à ce que je venais de voir.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire hodobema ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0