Chapitre 15 : Ariane.

4 minutes de lecture

Alphonse et Amaury étaient aux prises avec des délires qui me troublaient profondément : allais-je aussi en être victime ? Il était fort probable que oui. Pourtant, je me persuadais intérieurement d'être plus forte, plus rationnelle qu’eux, comme si je pouvais échapper au pouvoir de la forêt.

Le capitaine refusait d'évoquer ce qu'il avait vu lors de son hallucination, jugeant ça bien trop personnel et traumatisant à partager. Malgré ça, je restais convaincue que s'ouvrir à ce sujet lui aurait fait du bien. Cependant, il ne le souhaitait pas, même si nous l'avions retrouvé dans un état de terreur, replié sur lui-même, les bras enlaçant ses jambes, les larmes aux yeux. C'était la première fois que je le voyais aussi vulnérable, affaibli par la distorsion de la réalité, de sa réalité. Les hallucinations devaient être d'une puissance exceptionnelle pour le plonger dans cet état, et ça m'effrayait. En fait, la peur de devenir la prochaine victime m'envahissait. À cet instant précis, mon plus grand désir était de sortir de cette forêt hantée.

— Dirigeons-nous vers la rivière. C’est le dernier endroit où nous avons été avant que le soleil ne se couche. Peut-être qu’il se lèvera si on y retourne.

Nous avons marché pendant quatre heures en direction de la rivière Maroni, là où nous avions trouvé le sac de Lydie et Ameline. La pluie continuait de tomber, et le silence qui régnait n'avait rien de naturel. Seules nos voix le brisaient de temps à autre, lorsque nous trouvions la force de nous parler. J'étais convaincue que ces échanges verbaux contribuaient à maintenir notre lucidité. C'était ainsi qu'Alphonse et Amaury n'avaient pas sombré dans la folie : parce que nous étions là pour les ramener à la réalité.

— Vous ne trouvez pas ça bizarre, qu’on tombe malades et qu’on ait ces hallucinations ? Vous ne pensez pas que ça a un rapport avec l’air qu’on respire ?

— Peut-être les champignons, suggéra Lola.

— On n’en a pas mangé.

— Oui, mais ils peuvent libérer, vous savez, des spores.

Il est vrai que la forêt était parsemée de champignons de la taille de ma main. Cependant, je n'avais jamais lu quelque part que les spores pouvaient déclencher des visions visuelles et auditives. Bien que cette jungle défiait toute logique. J'acquiesçai, reconnaissant que Lola avait peut-être raison. Ces champignons étaient peut-être à l'origine de nos dérèglements mentaux.

Je ne supportais plus le silence oppressant qui s'installait dès que nous cessions de parler. Alors, je lançais des sujets de conversation divers pour occuper mon esprit. Mais Alphonse était resté silencieux depuis sa vision, comme si nous l'avions perdu à jamais, du moins, son essence.

Je réfléchissais à mes camarades qui nous avaient exclu du groupe : étaient-ils aussi sujets à des hallucinations ? Ou avaient-ils réussi à trouver un moyen de s'en sortir ? Et s'ils parvenaient à rentrer en France, révéleraient-ils notre situation ? J'étais convaincue qu'ils nous abandonneraient ici, comme les lâches qu'ils étaient. Pas de capitaine, pas de preuve de désobéissance.

— Que pensez-vous qu'il est arrivé aux autres ?

— Ils sont sûrement morts comme les policiers, répondit Lola.

— Tu penses ? Peut-être qu'ils ont trouvé la solution à ce mystère.

— Ils avaient déjà perdu la tête. Ils avaient les nerfs à vif. Il faut un rien pour les pousser à bout.

Elle n'avait pas tort. Quand nous les avions quittés, ils étaient en colère, surmenés, épuisés, déstabilisés. Ninon avait propagé sa tyrannie, et il ne m'étonnerait pas que des récalcitrants se rebellent. De là à s'entre-tuer… Enfin, les policiers l'avaient bien fait, si jamais notre hypothèse sur leur mort était correcte.

Arrivés à la rivière, le fracas de l'eau me prodigua des frissons : je la détestais. J'étais phobique de l'eau, totalement marquée par la peur de me noyer. Le courant de cette rivière était si fort qu'il me donnait le vertige. Je fis mine que tout allait bien alors que j'étais angoissée par notre avenir, ou plutôt notre absence d'avenir.

Alors que nous marchions le long des berges de la rivière, dans l'espoir de trouver une solution à notre situation, j'entendis un bruit étrange : des hurlements étouffés provenant de l'eau, comme si quelqu'un se noyait. Je jetai un coup d'œil vers la rivière : des bulles éclataient à ma droite. M'approchant dangereusement, la peur de tomber à l'eau me nouait l'estomac.

Max.

Je vis le visage de Max déformé par le courant de l'eau. Max se noyait. Je m'arrêtai de marcher, paralysée par la peur. Les yeux écarquillés, le souffle coupé, mon cœur battait la chamade. Ce n'était pas possible. Ça ne pouvait pas être vrai.

Je me tournai vers mes camarades, figés dans leur marche, inquiets pour moi.

— J'ai une hallucination.

— On s'en va, et vite, ordonna Alphonse.

— Je ne peux pas. C'est mon petit frère.

J'étais en pleurs, prête à sauter dans l'eau pour le sauver. Il me manquait tellement. Je me sentais coupable de sa mort, l'ayant tué d'une certaine façon. En 2009, nous nous étions baignés dans une mer malgré le drapeau rouge, sur mon initiative. Les vagues étaient devenues violentes, atteignant un mètre de hauteur et nous engloutissant. Tandis que je riais de tout mon être et m'amusait comme une enfant, mon petit frère avait disparu à jamais dans les abysses de la mer. Il avait huit ans.

Je savais que ça ne pouvait pas être possible, c'était il y a si longtemps. Il aurait la vingtaine aujourd'hui. Pourtant, je ne pouvais m'empêcher de vouloir le sauver, comme une seconde chance qui m'était offerte.

J'allais sauter. Je fis un pas en avant, laissant tomber mon sac par terre, quand quelqu'un attrapa mon poignet. Alphonse.

— Tu ne peux pas le sauver, affirma-t-il.

— Il se noie ! Je dois le sauver !

— Ce n'est pas réel. Il est déjà mort.

Je m'accroupis, mes jambes ne supportant plus mon poids, et m'effondrai en larmes. Une chaleur m'envahit, des bras entourèrent mon buste : Alphonse me réconfortait. Malgré l'horreur de cette forêt, nous avions tissé des liens indescriptibles.

— Tu es forte. Plus forte que cette forêt.

Oui, j'étais forte. J'avais surmonté cette hallucination, les échos des étouffements de mon frère se noyant à mes côtés avaient cessé. Il n'y avait plus que le silence de la forêt.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire hodobema ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0