Chapitre 16 : Amaury.

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J'étais profondément perturbé par la vision d'Emma qui avait envahi tous mes sens. La réalité de son absence me frappait bien plus fort que je ne l'aurais imaginé. Malgré les affirmations réconfortantes d'Alphonse – « Ce n'est pas de ta faute. Tu n'y es pour rien » – je me sentais coupable de sa disparition. Ironiquement, c'était moi qui avais insisté pour qu'elle me suive dans cette mission. Au bord des larmes, inconsolable, même si mes camarades avaient également eu leurs propres hallucinations, je m'inquiétais davantage pour moi-même que pour eux. Mon égoïsme était incontrôlable.

Le visage déçu, Alphonse, dont les yeux verts étaient eux aussi entourés de vaisseaux sanguins éclatés, percevait ma détresse. Nous étions tous traumatisés, en pleurs, semblables à des enfants réprimandés par leurs parents. Cette forêt se transformait en un véritable enfer, une boucle de nos pires cauchemars, impossible à interrompre. Peut-être était-ce ça, la mort.

— Tu penses à elle ?

— Elle me manque.

— C’est normal.

Il me tapota l'épaule, offrant un réconfort silencieux qui touchait profondément. Alphonse avait toujours été présent pour moi, dans les moments les plus sombres, même ici. Il était une personne bienveillante qui ne méritait pas le poids de son passé, hanté par la culpabilité de la mort des seize soldats français en Afghanistan. Le syndrome du survivant le dévorait encore aujourd'hui.

Soudain, une réalisation m'interpella : merde. Je compris le lien qui nous unissait tous, la raison pour laquelle la forêt générait ces hallucinations. Comme si j'avais percé le mystère qui régnait en maître.

— Putain. Les gars, je viens de comprendre. On est tous liés... Liés par nos remords du passé.

Nous avons interrompu notre marche pour nous concentrer sur la conversation. Lola me regardait avec terreur, consciente qu'elle serait la prochaine à faire face à ses démons, et que personne ne pourrait la sauver.

— Qu'est-ce que tu veux dire ?

— On se sent tous coupables de la mort de quelqu'un. Moi, d'Emma. Alphonse, des autres soldats. Ariane, de son frère. Même Killian ! De sa femme. Nous avons tous un passé qui nous ronge. Et j'ai l'impression que cette forêt essaie de nous le faire comprendre.

— Pff. N'importe quoi !

Je n'avais aucune idée du passé de Lola, mais j'étais persuadé qu'elle devait nous en parler pour surmonter sa future hallucination. C'était la seule façon de préserver notre lucidité.

— Lola. Raconte-nous ton passé !

— Jamais de la vie, tu m’entends.

— On ne pourra pas t’aider si tu nous le racontes pas.

— Je n’ai pas besoin de votre aide.

Elle pouvait se montrer incroyablement obstinée, adoptant une attitude qui laissait entendre qu'elle était supérieure à nous, prête à triompher des esprits surnaturels de cette forêt. Son comportement m'irritait profondément ; nous avions laissé de côté nos camarades pour elle, nous avions pris des risques considérables en la défendant, alors que nous aurions pu l'abandonner à son sort ici.

Tout à coup, son regard errait, scrutant les environs comme si un prédateur nous épiait dans le feuillage. Instinctivement, je suivis la direction de ses yeux, mais ne vis rien. Pourquoi était-elle si alerte ? Un frisson la traversa, son corps tout entier trembla, son visage se crispa, ses muscles se tendirent, et ses veines ressortirent.

Elle hallucinait.

— Lola, reprends-toi, ce n'est pas réel ! tentai-je de la ramener à la réalité.

Ses pupilles se dilatèrent, comme si elle était plongée dans l'obscurité. Bien que je ne connaisse pas son passé, je savais qu'il était tout aussi traumatisant que le nôtre. Elle hurla, son cri résonnait dans le silence de la forêt. Impuissant, je me demandais comment la raisonner.

Son regard noir et menaçant se posa sur moi, elle grimaça comme si elle me tenait rigueur de quelque chose, puis se jeta sur moi. Avant que je puisse comprendre ce qui se passait, je fus projeté au sol. La douleur irradia dans mon dos, comme si un nerf avait été touché, électrifiant tout mon corps.

Lola était au-dessus de moi, m'enserrant de ses jambes, et m’étranglait fermement de ses mains. Sa force était surhumaine, et malgré mes efforts pour les maîtriser, ses mains autour de mon cou coupaient net mon souffle. Je me débattis, tentant de respirer, mais ma vision se troubla, mes oreilles bourdonnèrent, mes membres tremblèrent. La suffocation me guettait, et l’affolement s'emparait de moi.

Apercevant Alphonse, visiblement paniqué, pointer son arme en direction de Lola ou de moi, je criai :

— Tire !

— Et si je te touchais !

Les secondes s'écoulaient, une minute peut-être. Combien de temps avant que je ne perde connaissance ? Ma vision se brouilla, puis s'obscurcit. Merde. Il fallait que je trouve une solution.

Plaçant mes mains sur son visage, je tapotai pour localiser ses yeux et enfonçai mes pouces. Elle relâcha son emprise sur mon cou, me permettant de respirer à nouveau. Je toussotai, mais n'avais pas le temps de récupérer.

Elle allait me tuer.

La repoussant sur le côté pour me dégager, elle se releva à une vitesse surprenante, bien plus rapide que moi. Un coup de pied dans l'estomac me fit chuter, la douleur m'envahit alors que je m'effondrais au sol.

— Lola ! hurla Alphonse. Réveille-toi ! Putain !

Elle se précipita à nouveau vers moi alors que j'étais étendu au sol, prête à m'étrangler une seconde fois. Nous étions impuissants face à elle. Au fond de moi, je comprenais qu'elle était totalement assujettie à son hallucination, voyant vraisemblablement un agresseur sur mon visage, incapable de maîtriser ses actions. Mais à cet instant précis, je la putain de détestais.

Un son sourd de tirs éclata dans la forêt : Alphonse venait de tirer. Lola s'immobilisa un instant, face à moi, à une cinquantaine de centimètres.

— Je suis désolé, s'excusa Alphonse.

Lola ferma les yeux, probablement submergée par la douleur. Cependant, elle ne s'effondra pas. Elle restait là, figée, sans bouger. Alphonse lui avait transpercé la jambe droite, une tache de sang perçant le tissu kaki de son pantalon, s'écoulant le long de sa botte pour se mêler à la verdure de la forêt. Comment pouvait-elle encore se tenir debout ? Était-ce l'adrénaline qui la maintenait ainsi ? Je n'en avais aucune foutue idée. Tout ce dont j'étais sûr, c'était qu'elle était là, paralysée.

Elle rouvrit ses paupières, ses iris se confondaient avec ses pupilles dilatées, tout noir. Elle bougea à nouveau, récupérant son arme accrochée à son épaule. L'adrénaline me submergea également, car elle s'apprêtait à me fusiller. Son canon était dirigé vers moi : c'était elle ou moi.

Alphonse n'aurait jamais le courage de la tuer.

J'allais mourir exécuté.

Ma vie défila devant mes yeux : mes parents, mon berger allemand nommé Plume, Alphonse, Emma. Une sensation indescriptible m'envahissait, une terreur profonde, car elle signifiait mes derniers instants dans cette vie. Tétanisé, incapable de bouger le moindre membre, je n'eus même pas le temps de pleurer qu'un vacarme me transperça les tympans : quelqu'un avait ouvert le feu.

Un coup.

Deux coups.

Trois coups.

Une dizaine.

Le bruit des douilles vides tombant au sol me fit frissonner. Lola s'effondra.

Je me retournai, Alphonse tout aussi figé, son arme en main.

Mon regard se posa sur Ariane, c'était elle. Elle venait d'abattre Lola.

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