Chapitre 19 : Aaron.

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Ninon était prise de convulsions : son corps entier tremblait, ses yeux étaient devenus opaques, et de la salive coulait le long de son menton. J'ai soutenu sa tête pour éviter qu'elle ne se blesse, mon cœur s'emballant d'angoisse à la vue de cette scène : que lui arrivait-il ? L'idée qu'elle puisse être épileptique ne m'avait jamais effleuré l'esprit, car elle n'en avait jamais parlé. D'un autre côté, pourquoi l'aurait-elle fait ? Je me sentais désemparé, ignorant la marche à suivre dans cette situation. Les crises d'épilepsie étaient totalement inconnues pour moi jusqu'à présent.

Finalement, elle se calma d'elle-même, son corps se détendit, ses muscles se relâchèrent, et ses iris verts refirent surface. Ouf. Elle reprit connaissance, ses yeux croisant les miens, puis ceux des autres soldats qui observaient sa crise.

— Aaron... C'est bien toi ?

— Bien sûr.

En tant que seul Noir du groupe, autrefois avec Lola, dont je n'avais plus de nouvelles, j'étais facilement reconnaissable. Bien que la nuit sombre accentuait mon anxiété, la couleur émeraude de ses yeux transperçait les miens : elle pleurait. Des larmes perlaient le long de ses tempes, toujours allongée dans mes bras. Je la serrai davantage, comme si je voulais la protéger à jamais. Malgré les tensions engendrées par la fatigue, la faim, l'inconfort et la maladie, nous étions plus unis que jamais.

Ninon, plus résiliente que nous tous, n'avait jamais montré de signe de faiblesse depuis notre entrée dans cette forêt. Je soupçonnais que la fièvre et les migraines la tourmentaient, mais elle donnait l'impression d'être en pleine forme. Toujours motivée, cherchant des solutions, ne cédant jamais au désespoir, elle nous rassemblait en un groupe soudé prêt à s'entraider en cas de besoin. Pour la première fois, je la voyais triste, comme si une force surnaturelle l'avait touchée. Mes yeux ne pouvaient se détacher d'elle, de ses lèvres tremblantes et de ses cils mouillés.

Ses larmes continuaient de couler, se mêlant aux gouttes de pluie tombant sur sa peau pâle. Elle les essuya d'un revers de main, se redressa et reprit ses esprits comme si rien ne s'était passé. Comme toujours, elle voulait paraître forte. Elle se racla la gorge, visiblement perturbée par sa convulsion, du moins, je le supposais.

— J’ai eu… comme une sorte de vision.

— Une vision ?

— Oui. De… de rien, en fait.

Elle se raidit, comme si elle allait cracher le morceau, mais qu’elle l’avait ravalé juste à temps. Ses bras se croisèrent devant sa poitrine, ses sourcils se froncèrent, et elle se transforma en un mur impénétrable.

Je voulais démolir ce mur. Je désirais percer ses pensées, découvrir ce qu'elle sous-entendait. Parce qu'il ne s'agissait plus d'elle ou de moi, mais de notre survie. Si elle détenait le moindre indice pour nous guider hors de là, elle devait le partager, aussi difficile que ça puisse être. J'étais intrigué par cette notion de « vision ». Qu'entendait-elle par là ? S'agissait-il d'une vision du futur, de notre mort, à la manière des films ?

— Dis-le-nous, Ninon. ça peut être crucial pour notre évasion.

Elle soupira, probablement agacée parce qu'elle savait que j'avais raison, mais elle ne voulait pas l'admettre.

— De mon passé. J'ai revu mon passé, comme je vous vois. Je ressentais tout : la douleur, la sensation du toucher, l'odeur, tout.

C'était étrange... Une hallucination de son passé ? J'étais perplexe. Et si Ninon était devenue aussi instable que Lola ? Si elle imaginait des choses qui n'étaient pas réelles ? Deviendrait-elle également une menace ?

— C'est la fièvre qui fait ça.

— Non. C'est la forêt. C'est comme si elle savait tout de nous.

C'était désormais certain : Ninon était rendue folle. Nous ne pouvions plus lui faire confiance. J'étais terrifié à l'idée qu'elle puisse devenir agressive. Pourtant, jusqu'à présent, rien ne laissait penser qu'elle allait le devenir. Mais je me méfiais d'elle, comme des autres. La forêt faisait ressortir le côté sombre de notre personnalité, nous mettait en alerte comme si chaque seconde comptait, comme si nous étions en mode survie indéfiniment.

Nous avions décidé de faire une pause pour permettre à Ninon de se reposer et de se remettre de sa vision. Elle était incapable de marcher de toute façon. Nous avions monté le campement pour nous abriter de la pluie, et pendant son sommeil, je m'étais confié à Gauthier pour partager mes inquiétudes et chercher du réconfort.

— Tu ne trouves pas ça étrange, ce que raconte Ninon ? Je veux dire... J'ai du mal à y croire.

— Pourtant, tu l'as bien vue. Elle convulsait, c'était physique.

— Oui, mais...

— On doit la croire. Nous avons déjà perdu le capitaine, Amaury, Lola et Ariane. Nous ne pouvons pas nous permettre d'en perdre d'autres.

Ça me faisait mal de l'admettre, mais Gauthier avait probablement raison. Si nous commencions à nous juger les uns les autres, nous n'avancerions jamais. Cette forêt nous rendait tous fous, nous étions paranoïaques, et elle semblait vouloir nous diviser. Comme si elle était un être vivant à part entière. Pourtant, je restais perplexe face aux dires de Ninon. J'aurais aimé la croire, mais je n'y parvenais pas.

J'étais abattu, désespéré à l'idée que nous arrivions à sortir d'ici en vie. Depuis que nous avions exclu le capitaine et les autres, la culpabilité me rongeait. Même si nous rentrions en France, leur mort pèserait sur ma conscience. Que dirions-nous à nos supérieurs ? Nous devrions mentir, inventer une histoire peu crédible pour expliquer la disparition d'Alphonse Battier. Je me sentais mal. Quoi qu'il advienne, ma vie avait été anéantie depuis que nous avions pénétré cette forêt.

Gauthier dû apercevoir mon mal-être parce qu’il me tapota l’épaule et afficha un sourire naïf.

— On va s’en sortir.

— Et quoi ? On va laisser crever le capitaine et les autres ici ?

— Je sais… Je n’ai pas eu le courage de m’interposer, mais je regrette ce qu’il s’est passé.

— On doit les retrouver.

— Ninon n’acceptera jamais.

— Et alors ? Elle devient folle. Elle ne peut plus nous gérer.

— Je ne suis pas folle.

Une voix aiguë jaillit de nulle part, manquant de me faire sursauter : Ninon. Ayant entendu notre conversation, elle arborait un visage fermé qui donnait l'impression d'être en colère ou, plutôt, vexée.

— Je sais ce que j’ai vu. Et c’était bien réel.

— Et qu’est-ce que tu as vu ?

Elle détourna le regard, gênée par cette question.

— Ça ne te regarde pas.

— Comment veux-tu qu’on te comprenne si tu ne nous dis rien ?

Elle soupira, entraînée par mes propos. Je ne savais pas comment j’avais réussi à la convaincre, mais elle se décida à nous raconter tout ce qu’elle avait vu : des infirmiers dans un hôpital lui infligeaient des électrochocs, dévoilant ainsi son passé sombre. Ses parents l'avaient internée parce qu’elle était lesbienne, sa relation secrète avec Juliette, les tortures qu’elle avait endurées… J'étais autant outré qu'attristé pour elle, réalisant qu'elle avait souffert sans que je n'en aie la moindre idée.

— Je suis désolé…

— Je veux juste que vous me croyiez. J’ai senti leurs mains sur mes tempes. Ils étaient là, en face de moi, comme vous l’êtes actuellement.

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