Chapitre 20 : Gauthier.

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Aaron était perplexe. Un regard interrogateur accompagné de ses yeux noirs traduisait son incertitude face au discours de Ninon. Pour ma part, je croyais en ses paroles. Préférant adhérer à cette vision pour maintenir nos liens, rester unis, et surtout, conserver la confiance. J'étais convaincu que ce qui risquait de nous détruire était l'émergence de tensions au sein du groupe. Ninon ne supportait plus personne, submergée par la fièvre et la vision qui avait modifié sa perception. Elle était devenue agressive, irritable et froide. Malgré mes tentatives occasionnelles de la détendre et de lui montrer que je la croyais, rien n'y faisait : elle me repoussait. Cependant, je ne la détestais pas. Céder à la haine équivaudrait à sombrer dans la folie, à l'instar des autres.

Nous progressions dans la forêt, le bruit des feuilles craquant sous nos pas résonnait dans un silence de mort. Aucun mot n'était échangé. Nous cherchions un objectif sans vraiment savoir à quoi il ressemblait. Nous errions comme des âmes perdues entre deux mondes.

Au bout de trois heures de marche, j'entendis un son étrange, ou plutôt une voix. Aiguë, douce, paniquée, effrayée. « Non, non, non ! », criait-elle. Je fis signe à mes camarades de s'arrêter, mettant fin au vacarme que nos pas provoquaient.

— Vous entendez ?

Concentré, j'examinai les environs sans pouvoir déterminer d'où provenaient ces lamentations. Étaient-elles vraies ? Ou bien s'agissait-il d'illusions similaires à celles de Ninon ? Rien n'était sûr. Cette forêt nous prenait pour des naïfs, et il ne serait pas étonnant qu'une mystérieuse créature utilise une voix humaine pour nous attirer dans ses griffes. La Guyane était si mystique, regorgeant de légendes urbaines que le guide nous avait contées, que je ne pus m'empêcher d'y repenser : peut-être étaient-elles réelles. Peut-être allions-nous périr victimes d'une créature dont personne ne connaissait l'existence.

Ninon me fixa, les oreilles tendues malgré la pluie battante qui tentait d'étouffer le son de cette voix étrangère, mais qui perçait néanmoins.

— Une vision ?

— Non. Moi aussi, je l’entends.

Je me tournai vers Aaron, cherchant une confirmation pour m'assurer que je n'étais pas en train de sombrer dans la folie. Il acquiesça d'un signe de tête : lui aussi entendait. Quelqu'un pleurait. Et ce n'était pas l'un d'entre nous.

Non, non, non.

Ces lamentations continuaient de retourner mon estomac. Nous devions retrouver cette personne et lui porter secours. Peu importe qui elle était.

— Vous pensez que c’est Lola ou Ariane ?

— C’est possible.

Lola possédait une voix plutôt rauque, mais dans le tourbillon des émotions, elle pouvait varier et se radoucir. Mon cœur s'était emballé à une cadence effrénée, stimulé par l'adrénaline : ces cris de détresse étaient assourdissants. Si ça concernait réellement l'une d'entre elles, il était impératif d'agir rapidement. Après tout, elles demeuraient nos collègues. Nous avions entamé la mission avec elles, tissé des liens, partagé des rires...

— Allons-y.

Ninon stoppa net ma progression. J'étais prêt à m'enfoncer dans le cœur de la forêt pour la retrouver, même si ça signifiait me perdre. Cependant, Ninon privilégiait la rationalité.

— Non ! Et si c'était un piège ?

— On ne peut pas rester là sans rien faire, enfin !

— Lola a viré folle. Et si elle avait tué le capitaine, Amaury et Ariane, et qu'elle s'apprêtait à faire de même avec nous ?

— Lola n'est pas folle. Elle s'est défendue.

— Killian était attaché, putain !

— Il l'avait poignardée !

Lilian s'interposa entre nous, nous enjoignant de nous calmer. Oui, nous devions mettre fin à nos querelles. Nous étions déjà bien trop affaiblis, tant physiquement que psychologiquement, pour nous tirer mutuellement dans les pattes. Pourtant, cet état de vulnérabilité était aussi à l'origine de nos conflits : notre patience s'épuisait les uns envers les autres.

Non, non, non.

Mon seul objectif était de sauver cette femme qui pleurait. Rien ne pourrait m'écarter de cette mission.

— Moi, j’y vais.

Je fis un pas en avant, prêt à m'enfoncer dans la forêt lorsque Aaron m'interpella, cherchant une solution qui puisse convenir à tous.

— Attends, Gauthier. Votons.

Un soupir m'échappa face à cette idée, c’était une perte de temps. Mais si ça pouvait persuader certains de me rejoindre, j'étais prêt à jouer le jeu.

— Levez la main ceux qui souhaitent m'accompagner.

J'arborai ma main levée, constatant que j'étais seul. Les regards des autres me fixaient comme si j'étais le monstre de la situation, celui qui les entraînait droit vers le suicide. Puis, Lilian leva sa main, suivi de Mégane, Evrard, Abélard et Edmond. Tous étaient de mon côté, à l'exception de Ninon et Aaron. Je posai mon regard déçu sur Aaron, réalisant que je l'avais surestimé. Il n'était pas aussi altruiste que je l'imaginais. Putain. Nous étions encore des humains, dotés de compassion. Et si ça avait été l'un de nos proches qui se trouvait perdu ici ? Si c'était Lydie ou Ameline ? Je le jugeai du regard, mes yeux plongés dans les siens, exprimant clairement l’amertume qui m'envahissait.

— Allons-y.

Aaron finit par nous rejoindre, peut-être par crainte d'être seul, mais certainement pas parce qu'il souhaitait nous aider à sauver cette femme.

— Et merde, râla Ninon.

Elle fit de même et nous accompagna, car rester isolée ici renvoyait à une condamnation à mort. Elle n'avait pas d'autre choix. Ainsi, nous marchions en direction des pleurs.

Non, non, non.

Les sanglots se firent de plus en plus forts, de plus en plus distincts. Nous nous approchions. Lentement, dangereusement, mais nous avancions. Mon cœur se serrait par la peur : et si Ninon avait raison ? Si je nous avais conduits tout droit vers la mort ?

Au bout de vingt minutes, les gémissements étaient juste à côté de nous. Nous étions tombés sur une femme, brune, aux cheveux crépus, à la peau métissée. Elle était en boule, les bras repliés sur les jambes, adossée à un arbre. Elle portait un uniforme bleu nuit. C'était l'une des policières disparues.

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