Chapitre 21 : Ninon.

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J'avais commis une erreur. Grâce à Gauthier, nous avions croisé le chemin d'une âme aussi égarée que la nôtre au cœur de cette forêt. Je me sentais monstrueuse d'avoir ignoré ses lamentations, terrorisée par la vision éphémère qui avait envahi mon esprit. La peur m’inondait, celle de la forêt, de la mort, de tout. À l'écoute de ces pleurs, je craignais qu'ils nous conduisent inexorablement vers notre fin. Heureusement, ou peut-être malheureusement, je n'étais pas certaine, il ne s'agissait que d'une policière.

Elle avait la tête enfouie dans ses bras, continuant à crier « Non, non, non ! » sans jamais relever les yeux vers nous. La terreur de cet endroit l'avait totalement paralysée. Je ne pouvais qu'imaginer la souffrance qu'elle endurait. Une semaine enfermée dans cette forêt, dans l'obscurité, sous la pluie, seule. Sa détresse suscitait ma curiosité : avait-elle aussi connu une vision ? Où étaient ses collègues ? Pourquoi était-elle isolée ? Elle avait tant à partager, mais pour l'instant, elle s'interdisait de nous faire face.

M'agenouillant devant elle, je posai ma main sur son avant-bras, tentant d'apporter réconfort. Elle sursauta comme si j'étais un monstre prêt à l'engloutir, malgré ma douceur. Tremblante de peur, elle refusait de regarder dans notre direction.

— Ça va aller. Nous sommes des militaires envoyés pour vous retrouver. Et… tentai-je de la rassurer.

Elle leva des yeux rougis par les larmes vers moi, exprimant une tristesse et une résignation que je n'avais jamais vues. Son teint basané paraissait presque gris, son corps frêle et maigre flottant dans son uniforme. Elle semblait avoir été abandonnée, laissée à son sort.

Réagissant rapidement, je sortis une barre de céréales de mon sac et lui offris comme un geste réconfortant, signifiant que nous étions là pour la sauver. Elle resta immobile et hésitait à la prendre. Je compris qu'elle pensait que notre intention était malveillante, que mon geste dissimulait un danger mortel. Alors, je lui souris chaleureusement et prononçai des paroles apaisantes.

— Nous ne te voulons aucun mal. Prends-la.

Avec une main tremblante, elle attrapa la barre de céréales. Son regard exprimait la peur persistante, mais elle la dévora en trois bouchées, comme si c'était la première fois qu'elle ingérait quelque chose. J'extirpai une bouteille d'eau de mon sac et lui tendis. Elle n’en fit qu’une gorgée.

— Comment te sens-tu ?

— Bien.

Elle s'était apaisée, ses larmes continuaient de couler, mais sa respiration avait retrouvé un rythme normal. Sa voix était un baume pour mes oreilles, douce et délicate, empreinte de peur mais également d'une certaine assurance. Il était évident qu'elle conservait une lucidité précieuse ; peut-être détenait-elle plus d'informations sur cette forêt que nous ne pouvions l'imaginer.

— Qui êtes-vous ? me demanda-t-elle.

La question me prit au dépourvu, c'était plutôt à nous de la poser.

— Je m’appelle Ninon Peltier, soldate pour l’armée de terre. Voici Mégane, Aaron, Gauthier, Lilian, Evrard, Abélard et Edmond. Nous sommes tous des soldats envoyés ici pour vous retrouver.

— C’est bien réel ?

— Oui, nous sommes réels.

Son visage se ferma, ses muscles se tendirent, son regard devint froid, et des frissons parcourent mes bras.

— Alors vous allez mourir.

— Pardon ?

— Tout le monde meurt ici.

Je ne savais pas ce qu’elle insinuait, mais mes pensées se dirigèrent vers Killian : il était mort. Peut-être que le capitaine et les autres l'étaient aussi. Aaron et Gauthier arboraient des expressions sombres, tout comme moi. Cette policière semblait détenir des informations cruciales, et ça n'annonçait rien de bon.

— Comment vous vous appelez ?

— Maéva Chapuis. Je suis la seule survivante parmi la vingtaine de policiers envoyée ici.

Le choc me figea, sans voix. Comment vingt flics avaient-ils pu périr ? Qu'était-il arrivé ? Des questions tourbillonnaient dans ma tête, mais aucune ne franchit mes lèvres. L'image des agents de police morts dans la forêt me provoqua des nausées, mais je résistai devant Maéva.

Gauthier brisa le silence oppressant qui nous enveloppait.

— Que s’est-il passé ?

— Fous. Ils sont tous devenus fous. Avez-vous eu des hallucinations sur votre passé ?

Aucun de nous n'osa répliquer. La réponse était évidente pour nous, pour Maéva aussi, plongeant notre esprit dans le désespoir.

— Alors vous allez devenir fous aussi, déclara-t-elle avec certitude.

— Expliquez-nous, s’il vous plaît. Je vous en prie.

Elle soupira, visiblement agacée de devoir revivre ses traumatismes.

— Je ne sais pas depuis combien de temps je suis ici, j’ai perdu toute notion du temps. Nous sommes arrivés ici déterminés à retrouver Lydie Lecerf et Ameline Bourseiller. Mais rapidement, la nuit est tombée pour ne jamais se relever. Nous avons été pris de fièvre, de nausées, de migraines, et ainsi de suite. Puis les hallucinations sur notre passé ont commencé. Nous n'arrivions plus à distinguer l'illusion de la réalité. Mes collègues sont devenus fous. Ils se sont entre-tués. Les images restent gravées dans ma mémoire. Elles ne me quitteront jamais.

— C’est ce que t’as eu, Ninon ? acquit-il avec inquiétude.

Je fis signe de la tête, craignant qu'ils ne décident de me ligoter comme ils l'avaient fait avec Killian.

Maéva me fixa intensément, ses yeux gorgés d'eau étaient écarquillés et empreints de terreur.

— Allez-vous-en ! Laissez-moi seule !

Elle se débattit, me repoussant avec une force impressionnante. Je tombai en arrière, sur les fesses, me hâtant de me relever pour ne pas la laisser s'échapper.

— Attends ! Nous n’allons pas te tuer ! Il est hors de question qu'un de nous meurt ici.

— Vous ne pourrez pas vous en empêcher.

— J'ai surmonté ma vision. Je savais qu'elle ne pouvait pas être vraie et qu'elle n'était pas la réalité.

— Comment est-ce possible ?

— Je… Je n'en sais rien, balbutiai-je. Je le savais, c’est tout.

— Et les autres ?

— Ils n'ont pas eu d'hallucinations.

Elle était perplexe, nous examinant un par un, mais finit par se calmer. Elle haussa les épaules et répondit simplement « Très bien. » avant d'accepter de nous suivre. J'étais soulagée, nous avions au moins sauvé une personne, grâce à Gauthier. À cause de moi, elle aurait probablement péri de soif avant demain. Je priais de tout mon être pour qu'elle ait tort, et que nous ne sombrions pas dans la folie comme les policiers.

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