Chapitre 22 : Maéva.

5 minutes de lecture

Les visions de haine persistaient dans mon esprit : mes collègues s'entre-tuant jusqu'à la mort. Le sang. Partout. Sur leurs mains. Sur leurs visages. L'odeur de fer me montait au nez. Le tumulte des corps s'effondrant dans la boue. La pluie battante qui s'écoulait le long des feuillages. La nuit noire. Et moi, paralysée par la peur. Mon collègue Sylvain bataillait avec Louis, le frappant sans relâche au visage jusqu'à ce que Louis ne se relève plus. Il l'avait assassiné. Il secouait sa main, les doigts probablement cassés par la violence dont il avait fait preuve. Mais ça ne l'arrêtait pas. Il me fixait de ses yeux menaçants, les pupilles dilatées. Un sourire satisfait se dessinait sur son visage. Puis il me chargeait, tandis que je contemplais tous mes collègues périr un à un. Il me bousculait, et je m'effondrais au sol. Il m'étranglait. Je ne pouvais plus respirer. Mon souffle coupé. Ma vue devenait floue. Je suffoquais. Je mourais. Dix secondes. Trente secondes. Une minute. Ma vie défilait devant mes yeux pleurants. Je me débattais, mais rien ne l'arrêtait. Je criais, mais ça ne suffisait pas. Je le suppliais, mais il ne m'entendait plus. Les autres, quant à eux, m'ignoraient, trop occupés à tuer. J'attrapais un caillou non loin de ma main. J'y mettais toutes mes forces, décuplées par l'adrénaline, et je frappais Sylvain en plein dans sa tempe droite. Il me relâchait. Je me relevais et je courais. Je courais. Je courais. Je courais. Je me prenais des branches d'arbres dans la figure. Mes pieds s'emmêlaient dans des ronces, sur le point de me faire tomber. La pluie me giflait. Mais je courais. Je m'enfonçais dans la forêt. Seule. Perdue. Vivante.

— Maéva ?

La voix de Ninon me ramena à la réalité, les images de la perte de mes camarades cédant la place à l'obscurité de la nuit. Pourtant, elles continuaient de me hanter. Depuis des heures, des jours, je ne savais plus, elles tournaient en boucle. C'était comme revivre un enfer qui ne me quittait jamais. Peut-être était-ce ça, l'enfer : revivre la même scène traumatisante chaque jour, sans fin.

— Pardon. Qu'est-ce qu'il y a ?

— C'était quoi, tes visions ?

Hum. Je n'osai pas lui relater mon passé sombre : après tout, c'était une inconnue. Mais pour survivre ici, il valait mieux que je leur fasse confiance. Cependant, j'hésitai. C'était difficile à dire, je ne savais pas par où commencer, ni comment lui expliquer. Je me tus.

Face à mon silence, elle reprit la parole et me raconta les siennes :

— Moi, je vois des infirmiers. À quinze ans, j’ai été enfermée en hôpital pour une thérapie de conversion. Mes visions… C’était… Je ressentais physiquement les électrochocs, comme si c’était réel. Tu comprends ?

Je ne pouvais que comprendre. J'avais déjà fait l'expérience de ces hallucinations déconcertantes, éprouvant chaque détail. Tous mes sens étaient en alerte, et mon instinct de survie se manifestait plus intensément. C'était comme une paralysie du sommeil, une conviction trompeuse d'être éveillé, terrifié et incapable de bouger, pris au piège dans des illusions.

Avec Ninon, je me sentis en confiance, peut-être parce que c’était une femme, bien que la raison m'échappât. Néanmoins, je désirais me confier à elle, espérant qu'elle pourrait me sortir de l'emprise d'une hallucination aveuglante.

— Oui. Je... Je voyais ma mère pendant ces hallucinations. Elle abusait de moi quand j'avais huit ans. Je pouvais sentir son souffle et son toucher. Son odeur d’alcool.

— Je suis désolée.

C'était la réponse standard à mon histoire, mais Ninon semblait sincère, sa peine trahissait son regard. Nous étions liées par cette forêt, par un destin tragique qui nous attendait.

Elle me fixa, hésitant à parler, puis finit par soupirer. Que voulait-elle savoir ? Je percevais une interrogation derrière ses yeux, mais la réponse l'effrayait. Elle osa finalement poser la question :

— As-tu eu plusieurs visions ?

— Oh oui. Avant que vous n'arriviez, je ne pouvais plus discerner le réel du faux. La réalité s'était entremêlée à mes hallucinations.

— Je refuse d'avoir une de ces visions.

— Tu ne peux pas y échapper... Par contre, tu peux essayer de les contrôler. En gros, si tu parviens à maintenir ta stabilité mentale, tu peux te convaincre qu'elles sont fausses.

— Oui, mais... C'est comme revivre ses traumatismes. C'est horrible.

— La forêt le sait. C'est son dessein.

Soudain, un hurlement me fit sursauter. Une femme. Mégane. Je me tournai vers elle : elle criait comme si son heure dernière avait sonné. Elle hallucinait. Je le compris immédiatement, car mes collègues policiers avaient réagi de la même manière. Et j'eus la conviction que Mégane allait devenir tout aussi violente qu'eux.

— Elle hallucine ! Il faut la calmer, et vite !

Ninon ne perdit pas de temps et se précipita vers Mégane. Elle lui saisit les mains, fixant intensément ses yeux. Les pupilles de Mégane étaient dilatées : son hallucination la rendait aveugle à la réalité. Elle était déconnectée du monde tangible, et la ramener à la raison s'annonçait comme un défi ardu.

Pendant que je me préparais mentalement à m'éloigner du groupe, prête à retrouver la solitude, Ninon s'approcha de Mégane et posa doucement ses mains sur ses joues. Mégane sursauta au contact de la peau de Ninon contre la sienne. Cette dernière avait l'avantage de connaître intimement la vie de son amie, lui permettant de deviner sa vision et ainsi de l'aider à s'en libérer.

— Elle doit voir ses parents. Enfin, leur tueur, nous adressait-elle.

Elle se concentra sur Mégane, nous reléguant temporairement au second plan.

— Mégane, écoute-moi. Tes parents sont morts. Ils n'existent plus. C'est une illusion dans ta tête. Leur meurtrier est derrière les barreaux, loin d'ici. Reviens parmi nous, je t'en prie.

Mégane la repoussa violemment. À en juger par les paroles de Ninon, elle devait voir le visage du meurtrier de ses parents à la place de Ninon, tout comme j'avais vu ma mère au lieu de celui de ma collègue et conjointe Lucie. Ninon manqua de basculer en arrière, mais elle se rattrapa de justesse.

— Merde.

Sur le moment, le sens de sa grossièreté m'échappa, mais lorsque Mégane se mit à saisir son arme pendue à son épaule, la compréhension me frappa : elle n'était plus en danger, mais le danger. Elle s'apprêtait à nous fusiller en croyant que nous étions les meurtriers de ses parents, et nous étions impuissants face à cette menace imminente. Heureusement, les réflexes de Ninon prirent le dessus. Elle se précipita vers Mégane et la projeta au sol pour la neutraliser. Tenant fermement ses poignets contre le sol, Ninon agissait avec détermination, tandis que j'observais la scène, passive, démunie quant à la façon d'intervenir. De son côté, Lilian se hâta de désarmer Mégane, repoussant son fusil d'un coup de pied pour l'éloigner d'elle.

Mégane avait sombré dans l'instabilité totale : grognements, cris, coups, gémissements. Elle ressemblait à une bête enragée, dépourvue de tout contrôle, dévorée par la maladie. Ça me donna des frissons, et en même temps, une profonde empathie pour sa détresse. Elle suscitait la compassion.

Ninon nous enjoignit de lui apporter une corde, et Lilian s'exécuta avec angoisse. Ses mains tremblantes paraissaient désorientées, comme s'il peinait à trouver l'ouverture de son sac. Après des secondes qui semblaient des heures, il réussit à la trouver et la lui lança pour que Ninon puisse ligoter Mégane. Malgré les liens qui la maintenaient comme un rôti, Mégane ne revenait toujours pas à la réalité. Elle était éternellement perdue dans son illusion.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire hodobema ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0