Chapitre 24 : Ninon.

4 minutes de lecture

Lilian s'était évanoui dans la forêt. J'avais tenté de le suivre sur quelques dizaines de mètres, mais j'avais rapidement perdu sa trace. Plus important encore, je ne voulais pas m'éloigner du groupe resté avec Mégane. J'avais crié son nom pour tenter de le réveiller, de le ramener à la réalité, mais la vision l'avait emporté sur lui.

De retour auprès des autres, épuisée par ma course et désolée de revenir seule, tous me scrutèrent, comme si j'avais la clé de notre salut. Un mouvement de tête signifia que je ne l'avais pas retrouvé. Evrard retenait ses larmes de désespoir, l'idée que nous succomberions tous à nos hallucinations le rongeait.

Maéva, les bras croisés, semblait imperturbable devant notre destin funeste. Elle était la seule à ne pas être émue par la fuite de Lilian, peut-être parce qu'elle ne le connaissait pas ou parce qu'elle considérait ça comme la conséquence de nos propres actes.

— Il va mourir.

— Ne dis pas ça ! On va le retrouver.

— Et comment ? Nous sommes perdus dans cette jungle.

— On trouvera un moyen.

Aaron arborait une mine sombre. Son teint habituellement foncé était devenu grisâtre, des gouttes de sueur dévalaient son front, et il peinait à rester debout, comme s'il risquait de s'évanouir. Sa maladie s'aggravait, et nous étions impuissants. En réalité, j'étais moi aussi malade à en crever. Malgré tout, je tentais de garder la tête haute pour montrer à mes camarades que tout était dans l'esprit, même si la fièvre me terrassait.

Je lui tapotai le dos, un geste d'affection rare entre nous, mais lorsque ses yeux croisèrent les miens, je remarquai ses pupilles dilatées.

— Aaron, c'est dans la tête. Ne te laisse pas avoir.

Je pressentais qu'une vision allait le confronter, mais je ne pouvais prédire sa réaction. Allait-il la surmonter ? Ou bien suivrait-il le chemin de Lilian, fuyant à jamais, ou celui de Mégane, sombrant dans la folie ?

Je posai mes deux paumes sur ses joues, cachant ses fossettes, et plongeai mes yeux dans les siens, mais il était complètement aveuglé.

Son visage se ferma, ses sourcils se froncèrent, ses narines se dilatèrent, et ses lèvres se pincèrent. La colère s'emparait de lui, une facette que je n'avais jamais vue jusqu'à présent.

— C'est faux, murmura-t-il d'une voix tremblante. Vous êtes morts.

— Oui, Aaron. C'est faux. C'est une vision. C'est…

Une douleur lancinante éclata dans mon estomac, comme si une balle venait de me frapper, comme si une lame de couteau transperçait ma chair. Paralysée, mon regard dériva vers la source de ma souffrance : Aaron tenait un couteau planté dans mon ventre. Soudain, la douleur s'intensifia, comme si la percevoir de mes yeux la rendait plus réelle. Aaron venait de me poignarder, et je ne pouvais rien faire.

Mes yeux se mouillèrent, des larmes perlaient sur mes joues, se mêlant à la pluie qui me frappait le visage. Le supplice persista lorsqu'il retira la lame d'un coup sec. Je m'écroulai au sol.

Allongée par terre, ma vision devenant floue, je perçus mes camarades se précipiter vers moi. Cependant, Aaron était devenu incontrôlable : il agrippa son fusil et pointa le canon vers Evrard.

— Vous êtes tous morts !

Bang !

Un tir. Deux tirs. Trois tirs. Il mitrailla Evrard qui s'effondra. Abélard et Edmond accoururent pour le désarmer, mais alors qu'Abélard faisait un premier pas.

Bang !

Un tir. Deux tirs. Trois tirs.

Abélard s'évanouit. L'odeur métallique du sang me monta au nez. Le bruit des balles percutant mes camarades glaça mon être, des frissons parcoururent mes membres. Et je ne pouvais rien faire. La douleur persistait dans mon ventre, m'empêchant de me lever pour les défendre. Démunie. Faible. Minable.

Edmond frappa Aaron d'un coup de poing, tandis que Gauthier restait figé par la peur. Edmond le repoussa en arrière, déclenchant une bagarre. Trop faible pour examiner leurs faits et gestes, tout ce que je percevais provenait de mon ouïe, n'annonçant rien de bon. Des poings s'abattirent sur la chair, le bruit d'une arme qui tomba à terre, et…

Bang !

Un tir. Deux tirs. Trois tirs.

Je n'en pouvais plus. Le froid me submergeait, je perdais trop de sang. Ma fin était imminente, d'une manière aussi banale que cruelle.

J'avais déjà médité sur ma mort. J'imaginais ma disparition au service de la France, tombant sous les balles ennemies après d'interminables heures de torture, subissant coups et supplices. Ou peut-être dans la quiétude de la vieillesse, après trente années dévouées à mon pays, entourée de mes petits-enfants et de mon époux. Mes pensées se tournaient vers ma fille Coralie, que je laissais derrière moi à cause d'Aaron, ce traître. L'idée de la voir devenir une orpheline, privée de sa mère, me déchirait le cœur. Cependant, mes forces m'abandonnaient, et je ne pouvais plus agir.

Je me traînai péniblement sur le sol, cherchant à échapper à la folie meurtrière d'Aaron, mais la faiblesse me gagnait. Je ne pouvais que pleurer sur mon destin, tragique et solitaire.

Un ultime gémissement s'échappa de mon être, et soudain, tout plongea dans l'obscurité.

Je t'aimais, Coralie. À jamais.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire hodobema ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0