Chapitre 26 : Maéva.

6 minutes de lecture

Le son du tir percutant le crâne d'Aaron me fit sursauter. J'avais été témoin d'un massacre au-delà de toute imagination, regrettant profondément cette expérience. J'aurais préféré fermer les yeux, rester aveugle face à cette scène, et me perdre dans de diverses pensées. Cependant, je devais maintenir en vue la menace désormais éteinte : Aaron. Depuis qu'il avait tiré sur Evrard, et provoqué un vacarme assourdissant, j'avais couru derrière un arbre pour me cacher. La présence d'autres militaires, probablement le capitaine et les traîtres dont Ninon m'avait parlé, m'avait surprise. Ninon... La vision de son cadavre au sol me dévastait, elle qui m'avait tant soutenue. Cependant, ma propre survie demeurait ma priorité : il fallait avancer.

Un craquement de branche sous mon pied attira l'attention d'Alphonse, son arme pointée dans ma direction. Terrifiée à l'idée qu'il puisse tirer, sachant qu'il ne me connaissait pas et que nous étions tous sur les nerfs, je levai les bras.

— Je suis innocente ! affirmai-je.

Gauthier interrompit ses pleurs et me lança un regard. Il était dans un état déplorable, les yeux gonflés de larmes, le visage enflé, le nez coulant. Il avait perdu son ami proche, et je savais combien cela faisait mal. J'avais moi-même perdu Lucie dans cette forêt. Lucie, ma conjointe rencontrée au travail, toutes deux policières. Venir ici avec elle ne m'effrayait pas, car je me sentais invincible à ses côtés. Mais la forêt avait eu raison d'elle, la faisant sombrer dans la folie. Lucie avait tenté de tuer Bastien, mais il s'était débattu. Elle était maintenant morte. Un soupir s'échappa de mes pensées, revivant son tragique destin.

— Maéva ! cria Gauthier, surpris de me voir en vie.

Moi aussi, j'étais étonnée. Ma survie était due à ma lâcheté, à ma fuite répétée. Le capitaine leva les sourcils, stupéfait que Gauthier me connaisse. Certes, je n'avais rien d'une soldate, étant simplement une policière, mais notre objectif commun demeurait : survivre à cette forêt.

— Qui êtes-vous ?

— Maéva Chapuis. Je fais partie des policiers envoyés ici pour retrouver Lydie Lecerf et Ameline Bourseiller.

— Vous êtes... vivante ? Comment c’est-il possible ? Nous avons vu les corps des autres policiers. Comment avez-vous survécu ?

— J'ai fui.

Il exprima ses regrets par une mine désolée, et j'acceptai sa compassion. J'étais tout aussi navrée, pour mes collègues et les siens. Cette forêt avait pris beaucoup de vies, et notre sortie était loin d'être assurée.

— Nous devons trouver un moyen de sortir de cette forêt avant qu'une prochaine hallucination ne nous affecte.

— D'accord, mais comment ? Putain, ça fait des jours qu'on tourne en rond ici.

— On pourrait... hésita Ariane, parler de notre passé chacun. Pour qu'on puisse s'entraider lors de nos visions. Par exemple, moi, j'ai vu mon frère se noyer sous mes yeux. À cause de moi. Le drapeau était rouge, mais j'ai quand même insisté pour qu'on aille se baigner. Tout est de ma faute.

Ariane avait les larmes aux yeux, se retenant de fondre en sanglots, mais je pouvais percevoir l'émotion dans son regard.

Je m'approchai d'elle et lui fis une caresse sur le bras.

— Tu n'y es pour rien.

— Si. J'ai... J'ai menti à mes parents. Je me suis dépêchée de me sécher, de me changer et je leur ai fait croire qu'il avait été kidnappé par un homme pendant notre balade. Je n'ai jamais assumé que c'était de ma faute s'il était mort.

— Tu étais jeune. Tu as réagi comme tu as pu pour te protéger. Je comprends.

Je lui fis une étreinte, la serrant fort contre moi comme si nous vivions nos derniers instants. Elle pleurait dans mon épaule, je l'entendais renifler et gémir.

— Ça te ronge. Mais maintenant, tu n'as plus à t'en faire. Nous sommes là et nous comprenons.

— Je regrette tellement...

Un silence continua cette discussion, nous étions tous bouleversés et pourtant, ça nous soulageait d'entendre ça. C'était comme rectifier une erreur du passé et nous permettait d'avancer vers le futur… Mais oui ! C'était ça !

— J'ai une idée ! Est-ce que la forêt n'essaierait pas de nous faire passer un message ? Ça me fait penser à cette citation : « As above, so it is below. That which has been, will return again. As in heaven, so on earth. », un extrait d'Isis Unveiled de Helena Petrovna Blavatsky.

Alphonse me regarda, perplexe, un sourcil levé.

— Qu'est-ce que ça signifie ?

— On pourrait traduire ça comme : « En haut comme en bas. Ce qui a été, reviendra. Au Paradis comme sur Terre. » Ce qui signifie qu'on doit accepter notre passé pour avancer vers notre futur. Vous comprenez ? C'est une sorte de test, une métaphore !

— Tu penses que la forêt est assez intelligente pour penser à ça ?

— Ce n'est plus une forêt. C'est l'enfer. Et on n'a rien à perdre à tenter. Raconte-nous ton passé.

Il soupira, déconcerté par cette idée. Mais il n'avait pas le choix, parce que c'était soit essayer ça, soit périr dans cet endroit. Alphonse chercha ses mots, hésitant à avouer ses chagrins. C’était dur. Si bien qu’il en avait les larmes aux yeux.

— Très bien. En 2010, j'ai été déployé sur le terrain en Afghanistan. Des alliés français ont perdu la vie au cours de cette guerre, sous mes yeux, et cela à cause de mon incapacité à agir, paralysé par la peur de tirer. J'aurais dû périr également, mais étrangement, j'ai survécu. Les raisons m'échappent. Je me sens... Argh.

— Nous sommes là, et nous comprenons, dis-je en posant ma paume sur son cœur. Amaury, à toi.

Amaury ne réfléchit pas et se lança. Malgré tout, sa voix tremblante marquait sa peine : il n’avait pas besoin de pleurer pour percevoir la tristesse qu’il ressentait.

— En 2019, j'ai insisté pour que ma copine, Emma, m'accompagne en mission. Notre hélicoptère défaillant s'est écrasé, et elle a perdu la vie sur le coup. C'est de ma faute. Si je n'avais pas insisté, elle serait encore en vie.

— Nous sommes là, et nous comprenons, ajoutai-je en répétant le geste. Gauthier ?

Gauthier était encore bouleversé par la mort d’Aaron, les larmes coulaient le long de ses joues, du mucus sortait de ses narines, il reniflait à rythme régulier, et il bafouilla. Toutefois, il réussit à raconter son histoire :

— Mon père maltraitait ma mère jusqu'au jour où il l'a frappée trop violemment. Elle en est décédée. Et moi, témoin de cette violence, je n'ai rien fait.

Mon cœur était comprimé, chamboulée par toutes ces révélations, et au mien qui tordait mes entrailles.

— Nous sommes là, et nous comprenons. Quant à moi… Ma mère abusait de moi quand j'avais huit ans. Je n'ai jamais dénoncé ses actes. Elle a reproduit ces comportements destructeurs avec ma petite sœur, à cause de mon silence.

Ariane avança vers moi et posa sa main sur ma poitrine.

— Nous sommes là, et nous comprenons.

Les sanglots cessèrent, tous allaient mieux, comme apaisés du plus profond de notre être. Nous étions guéris autant physiquement que psychologiquement : la fièvre diminuait, les nausées disparaissaient, les vertiges ne se montraient plus. Mon rythme cardiaque avait retrouvé sa cadence habituelle. Je pris une profonde inspiration, puis j’expirai comme si toute ma souffrance s’était évanouie avec mon expiration.

Un calme absolu succéda à cette conversation, personne n'osant rompre le silence, chacun espérant un miracle. Soudain, la pluie cessa, les chants d'oiseaux résonnèrent entre les arbres, et les feuilles s'entrechoquèrent sous l'effet du vent.

— Vous entendez ?

— Oui ! s'exclama Alphonse. Putain, oui ! La forêt reprend vie !

La nuit noire s'éclaira pour laisser place à un lever de soleil orange vif, magnifique, splendide, sublime. Je n'avais jamais été aussi émerveillée par un tel événement. Après des semaines plongées dans l'obscurité, retrouver la lumière du soleil était synonyme de renaissance. Nous reprenions vie, arborant un large sourire, les yeux grands ouverts pour contempler la beauté du paysage. Oui, c'était un nouveau départ.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire hodobema ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0