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Le silence s’installe entre eux, elle ferme les yeux de fatigue, lui se détend à l’autre bout du canapé, étale ses longues jambes, étire ses bras. Regarde sa montre. vingt minutes que le jeune est parti. Soupire. Bruit de moteur, le revoilà.

- Jambon beurre fromage pour tous ! clame t-il en entrant. Coca chargé et un éclair chocolat pour la cheffe; bière et double ration sandwiches pour nous autres!

Louis saute sur ses jambes. Un bruit, clac ? Il se rapproche d’elle sur le canapé, elle se redresse sur ses coussins, il s’assoit. Un bruit, plus ténu, clac ? Thomas se jette à l’autre bout du canapé. Un bruit, sec, clac !

- Merci Thomas! Elle prend son sac et pioche son coca, boit plusieurs gorgées de sa canette sans respirer. Ca la retape.

Ils mangent tous les trois en silence et rapidement. Entre le coca et l’éclair au chocolat, elle a sa ration de sucre pour la semaine ; mais ça lui a fait du bien. Elle regarde de biais son équipier, presque allongé, nonchalant, en train de s’en griller une. L’odeur du tabac blond lui fait envie, elle se retient, cinq ans d’abstinence, elle tient le coup. Lui aussi lui fait envie, elle se retiendra aussi ; ne pas tout mélanger.

- Thomas ! Levez vous en premier, d’un coup !

Le jeune la regarde sans comprendre. « Allez ! Exécution ». La voix redevenue sèche et le visage impassible. Il s’exécute. Clac !

- A vous Louis !

Il sait où elle veut en venir, il a remarqué aussi les drôles de petits bruits. Avant qu’elle ne le dise, il se rassoit. Clac !

Elle se lève et commence à enlever les coussins. « Allez, enlevez tout ! » Ils dénudent entièrement le sofa et ils tapent sur le socle, les planchettes du fond semblent disjointes, grosièrement assemblées; ça sonne creux.

- Thomas ! Prenez des photos ! Louis, arrachez les planches d’assise !

C’est du bon matos malgré tout, bien cloué, il va y laisser ses ongles ; il fonce à la voiture du bleu et revient avec le démonte pneu. En quelques coups de leviers, le fond cède par morceaux. Le bleu s’y met et arrache tout ce qu’il peut. L’assise est éventrée et ils n’en croient pas leurs yeux : Des liasses et des liasses de billets de cinq cents et deux cents euros. Bien rangées et alignées dans ce coffre improbable. Il y en a pour une petite fortune.

- Thomas, les photos, sur tous les angles ! On appellera les techniciens après ! On retourne tout ! On se dépêche, il faut qu’on soit de retour au service avant dix sept heures pour le debrief avec Mia et le grand chef avec tout ce qu’on aura trouvé. On dérangera le proc’ en soirée, ça lui fera les pieds !

Ils s’attellent à la tâche avec frénésie, examinent tous les fonds de meubles, les retournent, ouvrent les sommiers, les matelas dans les chambres, les canapés et grands fauteuils du salon. A première vue, pas d’autre coffre fort improvisé. Les techniciens trouveront peut-être quelque chose à leur deuxième passage. Ils font une petite pause assis sur les marches du magnifique escalier en marbre.

- Louis ! On retourne finir la bibliothèque ! Thomas, qu’est ce que ça a donné les caméras en bas sur le boulevard ?

- Rien sur cette portion de rue dans le domaine public mais une bijouterie en face a deux caméras dont une tournée vers la rue. Le gars devait récupérer les enregistrements auprès de la société de surveillance, les images leur parviennent directement et ils traitent s’il y a lieu.

- Bon ! Vous descendez me récupérer ça en vitesse, vérifiez que nous avons les enregistrements des quinze derniers jours et vous nous rejoignez à la bibliothèque.

Le bleu part en courant. Elle le regarde deux à trois secondes ; c’est une bonne recrue. Elle se dirige rapidement vers la bibliothèque. Louis lui emboîte le pas tout aussi rapidement et se tient très près derrière elle, trop près !

- Ca va beaucoup mieux, on dirait, lui souffle t-il.

Elle sent son haleine de tabac blond, ça la remue un peu. Elle avance d’un pas, il suit.

- C’est vous qui montez à l’échelle, Lisa ? Toujours à voix basse.

Pas d’odeur d’après rasage, ni de parfum, juste un léger effluve de savon. Elle apprécie, elle n’aime pas que les gens se parfument.

Elle fait trois pas et s’accroche à l’échelle, grimpe les barreaux au niveau des étagères encore chargées de livres, il est juste derrière, en dessous et fait coulisser l’escabeau vers une rangée. Il trouve qu’elle sent bon ; pas de parfum, juste l’odeur de son shampoing et celle légère de sa sueur collée à sa peau après son petit malaise.

- Attendez ! revenez dans l’autre sens ! Doucement ! Là ! Stop ! Je sens de l’air, il y a de l’air qui passe à travers les rayonnages.

Elle prend un livre et le met en travers pour servir de repère.

- Maintenant, repartez de l’autre côté doucement. Stop ! Un autre livre en travers. Allez-y doucement ! Stop ! un autre livre.

Elle redescend très vite, excitée par sa trouvaille. Ils reculent et évaluent la largeur marquée par les repères. Environ soixante dix centimètre.

- Vite Louis ! On descend tous les livres de ce secteur et on fait un tas bien séparé, on les traitera après.

Ils s’activent comme des fous. Tous les livres sont au sol en cinq minutes à peine.

- Prenez le pied de biche et démolissez moi le fond !

Il se déchaîne sur le panneau et fait tomber de larges morceaux de bois. Derrière c’est un trou noir avec un mince filet d’air. Le vide s’arrête à environ cinquante centimètres du sol.

- Louis, que voyez-vous en haut ? Ici, au niveau du sol, rien ! Un trou noir !

- Rien non plus, chef ! Je vais aller prendre la torche dans votre voiture. Il saute d’un bond en bas de l’échelle et atterrit quasiment à ses pieds, son visage à vingt centimètres du sien. Donnez-moi vos clefs !

Elle recule d’un bon pas, visage froid, ton sec : « C’est ouvert ! » Il lui sourit et s’élance au dehors, revient presque aussi vite la torche en main.

- Allons-y, dit-il et, d’autorité, il passe devant éclairant l’ouverture au niveau du sol.

La lumière dévoile une volée descendante de marches en pierres sous une arche style gothique renaissance. Le mince filet d’air froid se précise et semble bien venir des profondeurs de la maison.

- Attendez, dit-elle. Je préviens Thomas pour qu’il nous retrouve.

Elle passe un bref appel, il est sur messagerie, lui laisse les consignes et s’engouffre à la suite de son équipier. Ils ont dû descendre une trentaine de marches et se retrouvent dans une obscurité épaisse hors le champ de leur petite torche. Sous leurs pieds, un sol dur, de la pierre, il fait glacial, ils ressentent encore davantage le filet d’air froid qui semble arriver de toutes parts et les enrouler dans un courant humide et poisseux.

- On part sur la gauche, dit Louis, il faut qu’on trouve un mur et peut-être un interrupteur. S’il n’y rien de ce côté-là, on revient sur nos pas et on tente l’autre côté. On ne sait pas où on met les pieds, alors tenez mon ceinturon fermement et ne me lâchez sous aucun prétexte, d’accord ?!

- OK ! Et sa voix est un peu cassée par l’appréhension. Elle accroche son ceinturon avec une main et, malgré la situation, elle est un peu troublée. Et ça lui plaît.

Ils avancent lentement en tâtant précautionneusement le mur. Ils ont fait au moins trente pas, pas moins de vingt mètres donc, et rien, pas d’interrupteur et pas d’obstacles non plus ; combien mesure ce sous sol ?!

- On revient sur nos pas, dit Louis, on va faire l’autre côté. Qu’est ce qu’il fout, Thomas ? Vous lui avez dit de prendre une torche ?

- Oui !

Il se retourne et ils se retrouvent quasiment face à face, sa main à elle toujours crochetée dans son ceinturon. La situation ne s’y prête pas, trop angoissante, trop glauque ; sinon, il lui aurait volontiers volé un baiser léger quitte à se faire gifler. Il se met dans le bon sens et ils reprennent leur progression dans l’autre sens, arrivent aux escaliers et collent au mur de droite, avancent doucement. Louis s’arrête.

- J’ai quelque chose, un panneau, on dirait des modules de protection électrique ; je cherche l’interrupteur général ou le disjoncteur.

Il éclaire le panneau, c’est bel et bien un tableau d’installation électrique, très bien équipé, plusieurs lignes et raccordements, trouve le disjoncteur général et relève le poussoir. Ils sont brutalement aveuglés par des rampes de projecteurs ultra puissants. Lorsque leurs yeux s’acclimatent enfin, ils sont devant une vision de l’enfer.

Les murs et le plafond entièrement peints en noir sont recouverts de dessins morbides de corps lacérés, déchiquetés, tronçonnés, violentés, brûlés dans des mises en scène d’une violence inouïe et d’une seule couleur : Rouge. Des lettres et des signes également dans une langue inconnue. Laura manque de hurler quand elle réalise que tous les corps dessinés sont ceux d’enfants ou de jeunes adolescents. Et toujours ce courant d’air froid, glacial.

- Louis, qu’est ce que…Merde ! Quelle horreur ! Bafouille t-elle. Elle tient toujours son ceinturon.

Ils font le tour de la pièce du regard, à peu près cinquante mètres carrés. Il prend doucement sa main, la détache de son ceinturon et lui sourit gentiment.

- C’est une putain de caverne de l’enfer !

Ils restent près du mur car ils ne veulent pas saloper la scène. Elle tremble, sa main tremble mais elle sort son téléphone et prend des photos, des murs, du plafond, de la grande table au milieu de la pièce avec des reliefs de repas et des couverts, des matelas sales entassés un peu partout, des portants avec des cintres, pas ou plus de vêtements.

Elle réfléchit : Est-ce que les incendiaires assassins connaissaient cet antre du diable ? Probable que non, ils y auraient mis le feu aussi. Mais venaient-ils pour ça ?

Il réfléchit aussi : Le courant d’air froid pour alimenter en oxygène les occupants de ce banquet de l’horreur. Le disjoncteur général du sous sol coupé donc l’alimentation part du tableau de la maison ? Ou un autre tableau bien planqué ? Qui a fait l’installation ?

Ils entendent des pas derrière eux et la voix de Thomas : « Chef ! Mille excuses pour le temps long mais ce con de bijout…Oooh ! Putain ! Putain ! C’est quoi ça ?! Et cette odeur ?! ça sent la barbaque crue, c’est une horreur ! Y a une carcasse quelque part ?! Oooh, putain ! Je remonte, je crois que je vais gerber ! »

Elle entend le jeune qui se vide dans l’escalier, elle vient de comprendre. Visage fermé, ton sec.

- On remonte aussi, Louis ! Et fissa ! Attention, le bleu a vomi sur les marches ; faites une photo qu’on isole son truc du reste.

- OK, j’appelle dare-dare les techniciens et tout ce que le labo compte comme pointures, il doit y avoir des dizaines et des dizaines de traces en tous genres. Putain !!

- Thomas ! Ca va ?! Appelez l’OP de liaison et dites lui d’envoyer de toute urgence une équipe pour surveiller et sécuriser les lieux. J’appelle le commissaire. Dès que tout ce petit monde sera là, on prend ce qu’on a déjà récolté et on file au bureau pour le débriefe.

Elle appelle son supérieur, il devine à son ton que la chose est grave, elle lui fait un bref résumé de tout. « Ils ont repeint la pièce avec des scènes d’une rare violence et d’une cruauté intolérable pratiquées sur des enfants, et tout ça avec du sang. On attendra que le labo confirme ou infirme si c’est du sang humain ou animal. »

Il sent qu’elle est perturbée, il sait que sous sa carapace inviolable de flic à toute épreuve il y a une femme avec un grand cœur et une sincère empathie pour les autres.

- Ca va, vous ? Lisa, prenez une demi heure pour aller décompresser avec votre équipe autour d’un café ou autre chose au bistrot le plus proche dès qu’il y aura eu le relais sur place, d’accord ?!

- Pas le temps, ça va. On doit faire le point avec Mia et les infos qu’elle a glanées et vous faire passer les premiers éléments avant de donner tout ça au proc’.

- Il peut attendre, vous savez.

- Je sais ! Je comptais l’appeler sur les coups de vingt heures ou vingt et une heures voir vingt deux si les premiers nouveaux éléments des techniciens tardent un peu.

- Il rit. « Au moins, vous ne perdez pas de vue vos priorités.

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