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Farouk avait eu l’idée, avec l’aide des gendarmes, de faire appel aux enseignants coraniques itinérants qui allaient dans les douars prêcher la bonne parole et enseigner aux enfants le Coran. Ni lui, ni Hamid n’appréciaient beaucoup ces prétendus enseignants qui n’enseignaient rien et qui faisaient ânonner aux enfants, à coups de bâton et parfois pire, des versets du livre sacré. Mais force était de constater, que dans ces villages perdus où l’école n’avait pas toujours bonne presse ou bien était trop éloignée pour de pauvres gens sans moyens de locomotion, ces enseignants étaient les seuls à tenir un registre à peu près précis des enfants mâles qui figuraient à leurs cours. Leur but était surtout de viser les enfants et donc les parents dilettantes pour les sermonner, et les admonester parfois, sur leur peu de rigueur religieuse. La plupart des parents se prêtaient de bonne grâce à leur demande du fait que durant la journée hebdomadaire de cours coranique, chaque enfant avait droit à un repas chaud et une collation à l’heure du thé et qu’il repartait chez lui avec deux dirhams pour assiduité, pécule que les parents récupéraient aussitôt comme un trésor tant l’argent était difficilement gagné dans ces bleds oubliés de Dieu.

Mais pour l’heure, cela n’avait encore rien donné malgré la pugnacité des gendarmes ruraux à interroger tous les enseignants qui œuvraient dans ces vallées. C’est ce qu’il exposa à Louis, en lui confirmant que la tâche ne serait pas aisée, ces gens répugnant à collaborer avec la police. Sinon, il faudrait réquisitionner leurs registres mais comme l’on travaillait peut-être sur plusieurs années, il faudra aller les récupérer au ministère des habbous, le ministère des affaires religieuses, et avec eux, c’était encore plus compliqué.

Pendant qu’il dialoguait avec Louis, il vit Hamid s’assombrir et il sût pourquoi. Son équipier avait été confronté à ces enseignants des écoles coraniques; petit garçon pauvre des bidonvilles de Casa, sa présence dans le rang de leurs élèves lui assurait le couvert à chaque jour de présence et cinq dirhams de pécule qu’il remettait à sa mère, veuve élevant trois enfants en bas âge. Il avait reçu les coups, les brimades, les punitions sans raison ni cause réelles. Un seul de ces enseignants bornés lui vint en aide et l’inscrivit à l’école publique élémentaire où il se révéla un excellent élève. Cet homme providentiel lui permit aussi d’avoir une maigre bourse d’études et d’accéder au collège et à des études supérieures et, de là, au concours de la police.

Farouk lui sourit avec chaleur car il savait sa souffrance passée ; et lui, qui n’avait connu que la chance d’être bien né dans une famille aisée et aimante, savait qu’il devait redoubler d’attention et d’amitié envers cet homme qu’il aimait. Ils s’étaient connus, jeunes gens remplis d’énergie et du désir de servir, à l’école de police de Casablanca et ne s’étaient plus quittés sauf l’année de stage en France de Farouk. Ils avaient souffert d’être séparés, ne se revoyant qu’en de très rares occasions lors de retours au pays de l’un et d’une seule et unique escapade en France de l’autre. Ils étaient prêts à donner leur vie l’un pour l’autre.

Après deux ou trois phrases de politesse de part et d’autre, ils raccrochèrent.

Les deux policiers avaient pris leur quartier à Taroudant, grande ville la plus proche du théâtre de leurs investigations et avaient privilégié la discrétion d’une maison d’hôte tenue par des expatriés français à l’hôtel recommandé par le chef de la police locale, le commissaire Messaoud. Ce dernier s’était montré irrité de se voir quasiment écarté de l’enquête par la nomination des deux flics de Casablanca. A leur retour du bled, et sous prétexte de leur faciliter le travail et les déplacements, il les avait flanqués d’une jeune lieutenante du commissariat principal, au physique doux et rond mais au regard coupant et à la parole rare et tranchante. Elle tâcha de leur imposer un certain hôtel bar restaurant sur la place principale de la ville et les deux hommes comprirent que la clientèle était certainement composée, pour une bonne moitié au moins, de flics en civil qui les épieraient et iraient faire leur rapport au commissaire Messaoud. Ils déclinèrent poliment prétextant avoir déjà réservé avant leur départ de Casa. Ils ne pouvaient pas ouvertement mépriser leurs homologues locaux et se devait à une politesse de bon aloi ; aussi, ils acceptèrent l’invitation à dîner du commissaire et sa lieutenante. Rendez-vous fût pris pour vingt heures trente sur la grande place de la ville.

Une fois à la maison d’hôtes, ils savourèrent la beauté du lieu, ses jardins et sa magnifique piscine. Leurs chambres étaient contigües, telles qu’ils l’avaient demandé et leurs hôtes avaient fait installer, à sa requête, un bureau supplémentaire dans la chambre de Farouk, pour étaler tout ce qui concernait l’affaire et leurs deux PC. Il était encore tôt et les deux hommes décidèrent, après une douche rapide, d’aller profiter du bassin de nage. Après plusieurs longueurs d’un crawl vigoureux, les deux hommes sortirent de l’eau bienfaisante, leurs deux corps pareillement minces et musclés luisant dans le début de crépuscule. Il était dix neuf heures quand ils regagnèrent leurs chambres, dix neuf heures quinze quand Hamid douché rejoignit, entièrement nu, Farouk, tout aussi nu, déjà installé sur le lit, l’embrassa avec douceur et volupté, dix neuf heures vingt quand ils firent l’amour avec fougue. A vingt heures quinze, ils étaient dans leur voiture, élégamment mis, Farouk au volant, en route pour la corvée du dîner.

- Allons nous emmerder pour deux bonnes heures, déclama en riant Farouk devant le visage rembruni d’Hamid qui ne goutait guère les salamalecs quel qu’ils soient. Cela décrispa un peu son compagnon qui lui mit sa main sur le genou dans une pression douce.

Mathilde de son côté n’apporta rien de nouveau au capitaine Persaud ; elle fulminait plutôt car elle piétinait dans son enquête, toute la bureaucratie policière de Belgique avait, semble t-il, décidé de lui mener la vie dure. Pas encore d’autorisation pour les caméras routières en dehors de son périmètre d’intervention, la maison était sous scellé par ordre du procureur et interdiction d’y remettre les pieds tant que le labo n’avait pas livré ses conclusions. Bref, elle piaffait et demanda à Louis si elle ne pourrait pas faire un saut chez eux dans les jours qui viennent car, pour l’instant, cela ne servait à rien qu’ils fassent de leur côté le déplacement à Bruges puisque tout y était figé.

- On a l’impression ici, mon cher, que ça va durer une éternité alors si ta chef de groupe veut bien, je me joindrais bien à vous pour un jour ou deux.

- Ok ! Je lui en fais part, elle fera suivre au commissaire mais ça ne devrait pas poser de problème. Tu rencontreras toute l’équipe que tu as déjà eu plus ou moins au téléphone et nous avons un nouveau collègue en renfort.

- Très bien ! Salut ! Tiens-moi au courant très vite !

- Salut aussi et à très bientôt.

Les deux jeunes étaient déjà partis ainsi que Balitran, il était presque vingt heures, il se mit en route, Lisa devait déjà être chez lui avec ses affaires ; il avait le cœur léger à cette idée.

Lisa venait d’arriver à l’appartement, Louis n’allait plus tarder, il était vingt heures. Elle avait rencontré devant l’ascenseur, le couple du quatrième étage, la soixante, métis tous les deux, très élégants. L’homme offrit en souriant de l’aider à caser ses trois valises dans l’ascenseur sous le regard bienveillant de sa femme.

- Vous vous installez ? Demanda t-elle très gentiment

- Oui au sixième, chez mon ami !

- Ah, oui ! dit-elle en souriant plus largement encore, un charmant garçon.

Elle ne sût pourquoi, Lisa rougit en souriant aussi au couple. Ils la laissèrent au quatrième en la saluant et elle grimpa jusqu’au sixième. Une fois derrière la porte, elle abandonna ses valises dans l’entrée, ne sachant où Louis voudrait qu’elle range ses affaires, alla prendre une chemise dans son tiroir et fila sous la douche. Elle s’attarde avec délice sous l’eau bien chaude, oubliant l’automne parisien gris et morne, cette sale affaire et toutes ses craintes sur son avenir. Elle n’avait pas vu le temps passer sous le jet bienfaisant quand elle entendit du bruit, puis la porte de la salle de bains et, soulagée la voix de Louis :

- Pas un geste ma belle, j’arrive ! déclara t-il en riant et en écartant le rideau de douche pour l’admirer ; tu es rouge comme une écrevisse, depuis combien de temps tu mijotes là, sous l’eau chaude ?

Il est nu et il rit encore en la buvant des yeux, elle rougit encore mais ça ne se voit pas. Il l’embrasse, la caresse, l’embrasse encore, elle gémit de plaisir, lui rend ses baisers.

- Tu avais laissé la porte ouverte, ce n’est pas prudent, lui murmure t-il dans le cou, je ne veux pas que n’importe qui d’autre que moi te voit nue ; et il sourit. Je sors, je me sèche et je me mets au dîner, prends ton temps et après on tâchera de caser le contenu de tes valises dans mes placards, d’accord ?!

Elle l’embrasse, elle n’aurait pu rêver de meilleur amant, ami, compagnon. Elle met l’eau un peu plus fraîche et s’attarde encore un peu sous la douche puis elle se sèche et enfile la chemise de Louis. Dans le séjour, lui parvient le fumet du repas, ça sent bon les épices, elle le rejoint dans la cuisine ; lui, en short et torse nu, s’affaire.

- Hummm ! Ca sent divinement bon !

- Poulet tandoori et riz créole puis salade de fruits pour le dessert. Un petit chablis pour accompagner tout ça ! Qu’en dis –tu ma très belle ?!

- J’en dis que tu es un magicien et que je meurs de faim

- Encore dix petites minutes et tout est prêt ; si tu veux, ouvre les placards et les commodes et mets tes affaires où bon te semble, tu es chez toi.

Elle traîne ses valises vers la chambre de Louis et la chambre d’ami et range ses vêtements au milieu des siens. Retour vers le séjour :

- C’est fait ! Clame t-elle.

- C’est prêt !

Ils dînent en discutant avec entrain de tout et de rien, Il lui raconte sa vie, sa famille, là bas, en Guyanne, lui dit qu’il l’emmènera en pirogue le long du fleuve Maroni et dans la jungle admirer des fleurs sauvages et se saouler de la vue et des bruissements des oiseaux de jungle. Elle dit d’accord, elle rit de bonheur. Elle lui raconte une enfance et une adolescence ordinaire mais heureuse en Province jusqu’à la mort accidentelle de son père et la tristesse qui envahit la maison ; mais la vie qui continue, ses études, son envie de réussir.

Ils boivent leur café sur la banquette, elle met ses jambes sur les siennes et se renverse sur les coussins à demi allongée. Il caresse le creux de ses genoux, juste là, à la naissance des fuseaux des muscles de ses cuisses, l’embrasse, remonte lentement pour un baiser très intime qui la fait frissonner. Il lui fait l’amour avec dévotion et passion. Elle est heureuse, lui aussi et totalement mordus l’un et l’autre.

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