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A huit heures trente pétantes toute l’équipe est au bureau ; Mia fait signe à sa capitaine et elles s’isolent toutes les deux dans le bureau des auditions en coupant micros et caméras. Lisa a demandé à Louis de lui envoyer un texto « STOP » si quelqu’un s’approche du bureau ou de la table de régie des appareils d’audition. Elle cherche une station radio sur son portable et promène son téléphone à travers la pièce pour détecter par grésillement d’éventuels micros planqués. RAS ! Elles s’installent toutes les deux côte à côte et Mia lui fait son rapport sur BB à voix basse. Il a connu un vrai drame dans sa vie et cela trouble Lisa et la ramène aux pires années de sa vie.

Elle demande à Mia de faire passer le mot discrètement à Thomas et qu’ils se retrouvent tous les quatre ce soir autour d’un dîner pour qu’elle fasse un briefing complet sur BB, elle lui donne l’adresse par texto, c’est elle qui invite, c’est tout près de chez elle, à Rueil-Malmaison.

Cela la trouble car elle se remémore les trois premiers mois après son agression où elle tentait, tant bien que mal, de faire face et de continuer à bosser, en supportant ce binôme avec son agresseur. Lui faisait comme tout cela n’avait pas existé et lui opposait une molle indifférence, lui adressant à peine la parole. Ils partent en opération sur une intervention armée avec l’antigang. Elle est soulagée, son complice ne fait pas partie du groupe de sortie. Elle attend un moment critique sous le feu des braqueurs pris au piège et s’arrange pour l’envoyer devant ; le binôme de l’antigang est en train de tenter une prise par revers des malfrats. Il se retrouve alors au centre d’un triangle de tir, elle tire en l’air pour provoquer une riposte et il est pris dans un tir croisé, touché plusieurs fois, il meurt avant l’arrivée des secours. Elle respire un peu mieux, il a eu sa juste punition. L’enquête de l’IGPN la dédouane, tous les projectiles viennent soit des armes des truands soit de celles de l’antigang ; mais elle est KO debout et se met en maladie. La hiérarchie met tout ce qui lui arrive sur le compte du traumatisme du décès de son équipier et de la pression due aux attentats de novembre. Il lui a fallu six longs mois pour ne plus se laisser submerger par ses émotions et oublier son trauma. A son retour, c’est une Lisa, bosseuse, froide, à la voix sèche et intimidante que ses collègues retrouvent. Elle perd le peu de copains qu’elle avait dans le service mais elle est promue et ne s’arrête pas de prendre du galon.

Peu de temps après son retour, elle va trouver l’autre enfoiré de l’antigang. Il n’a fait que l’éviter après leur saloperie. Il est marié et il a deux enfants, ça doit jouer dans son prétendu sentiment de culpabilité. Elle lui annonce qu’elle a trouvé son adresse et qu’elle a envoyé une lettre à sa femme pour lui dire ce qu’ils lui avaient tous les deux, ce qu’il lui avait dit et fait lui. Elle lui conseille d’en parler à sa femme avant qu’elle ne reçoive la lettre, le choc sera moins rude. Il pâlit devant les conséquences et le séisme que cette lettre va provoquer dans sa vie, lui demande pardon, mais c’est trop tard, la lettre est partie, il a à peine vingt quatre heures pour passer aux aveux auprès de sa famille et ramasser les miettes de sa triste vie de salaud. Elle le quitte là-dessus, les pensées moins lourdes ; soit sa femme le quitte et emmène ses enfants avec elle, soit elle reste mais le méprisera sa vie durant ; dans les deux cas, un enfer quotidien.

Le lendemain matin, devant son café et la chaîne d’info, elle voit défilé le bandeau rouge signalant « info brûlante » et le court communiqué du préfet de police de Paris : -Un officier de l’antigang s’est donné la mort dans la soirée à son domicile après avoir abattu sa femme et ses deux enfants-

Elle a un choc mais très vite relègue toute émotion à l’oubli ; il aura été en toutes circonstances un pauvre type et un sale con, seul responsable de ce triste dénouement.

Elle ne peut confier cela à personne, même pas à Louis, elle n’est pas sûre qu’il comprenne, que quiconque comprenne. C’était bientôt son anniversaire et pour la première fois depuis des années, elle avait l’espoir de partager cela avec quelqu’un qu’elle aimait et qui l’aimait en retour ; rien ne devait gâcher ce petit miracle.

Il était prévu que Mathilde débarque en fin de matinée et en l’attendant, les heures s’étiraient sans réelles avancées et chacun s’occupa sans grande conviction à pousser un peu les autres affaires en cours en puisant dans le carton. Lisa, quant à elle, avait décidé que BB s’occuperait de Mathilde en soirée si celle-ci n’avait rien de mieux à faire de son côté.

- Capitaine Balitran, vous voudrez bien, dès la fin d’après midi, prendre en charge notre collègue de Belgique et l’emmener sur les lieux ; demandez une copie du compte rendu général à Mia, comme cela vous pourrez aussi la briefer et répondre à ses questions, même si nous l’avons tenue informée pas à pas comme nos collègues du Maroc.

- Entendu, chef !

Il est bientôt midi, leur collègue n’est pas encore arrivée, ils décident de commander menus sandwiches comme d’habitude y compris pour elle au cas où ; cette fois ci, BB accepte l’invitation de se joindre à eux et c’est Thomas qui se charge de la commande après un tour de table. A peine a-t-il raccroché qu’une ombre imposante s’encadre dans la porte, c’est Mathilde. En Visio téléphone, on ne pouvait pas imaginer la stature de cette femme ; elle mesurait plus d’un mètre quatre vingt et devait peser ses cent vingt kilos faciles moitié muscle moitié gras, une femme sumo, une force de la nature. Elle se fend d’un grand sourire en saluant tout le monde à la cantonade, accent flamand de rigueur.

- Hé, bien mes chéris ! On rentre chez vous comme dans un moulin ! Le planton en bas, soit c’est un nigaud, soit un érudit qui connaît toutes cartes de police d’Europe ! Je lui ai dit qui j’étais, qui je venais voir et je lui montre ma carte et sésame ouvre toi, je me suis baladée sur les six étages du bâtiment de la, parait-il, plus forte police de notre vieux continent. Va falloir faire quelque chose ! Et elle éclate d’un rire à abattre les murs.

Lisa sourit pour faire bonne figure mais elle est furieuse.

- Bonjour Mathilde, visage impassible et ton sec, contente de vous voir, vous connaissez tout le monde sauf notre collègue Bernard Balitran qui vient de se joindre à l’équipe. C’est lui qui vous chaperonnera et répondra à toutes vos questions, il est parfaitement au courant de l’affaire. A quel hôtel êtes-vous descendue ?

- Je suis chez des amis, je demanderai à BB de me déposer chez eux quand on aura fini.

Toute l’équipe vit le sourire crispé de leur collègue à l’énoncé de ce diminutif ridicule et ils se retenaient tous de rire. L’après-midi des deux, ça allait être quelque chose.

- En attendant, fit Thomas, on te garde à déjeuner ici dans nos bureaux si ça te dit, plateau sandwiches, on a commandé aussi pour toi.

- Merci, cher collègue, je voyais bien qu’en plus d’être mignon, tu étais fort sympa, demain, pour mon dernier jour d’escapade parisienne, et si la capitaine Péron est OK, c’est toi qui me chaperonne.

- Pourquoi pas, dit Lisa, voix neutre

Le planton appelle, le livreur est là, c’est au tour de Louis de régaler, il descend quatre à quatre les escaliers en se marrant et se plante devant l’agent de service.

- Alors, comme ça, Serge, on connaît toutes les cartes de police d’Europe ??

L’autre est éberlué.

- Ca va pas, qu’est ce que tu racontes, Louis !

- Ben oui, la montagne que tu as laissé passer tout à l’heure, tu as reconnu sa carte, tu es sûre que c’est une authentique carte de police belge ?!

Le pauvre gars rougit d’un coup.

- Merde, j’ai fait une connerie ?!

- Non, le rassura Louis, c’est juste qu’elle a charrié la capitaine à ce propos en disant que la baraque était un moulin, alors attends toi à être un peu engueulé par Péron.

- Merde ! répéta l’autre

Les sacs sandwiches en main Louis remonta tranquillement les six étages en pensant à la manière dont Lisa s’était débarrassée de BB et de Mathilde dans le même coup ; elle était diabolique quand elle voulait quelque chose ou ne voulait pas.

Ils s’installent pour déjeuner selon le même rituel face au tableau. Le commissaire fait irruption en coup de vent.

- Bonjour à tous, je viens vous dire, et j’en profite pour saluer notre collègue de Belgique, qu’il faut avancer, le proc’ est sur les dents et me vrille les nerfs. Il veut un débrief’ avec compte rendu écrit pour demain après midi, il sera dans nos locaux vers seize heures, faut que ça bouge, capitaine, sinon il va être infernal.

- Bonjour commissaire ! Malheureusement, on ne peut pas aller plus vite que la musique, ça traîne partout, au labo, à l’IML, tout le monde est débordé. Sinon, si vous l’avez à nouveau, dites lui que nous aussi on attend les docs promis pour la commission rogatoire d’Interpol afin de nous déplacer sur les autres scènes de crime.

- Oui, oui ! Je sais Lisa, mais avec cette saleté de COVID, en plus de la bureaucratie policière, il faut supporter la bureaucratie sanitaire et croyez moi ce n’est pas de la tarte. Ils ont tous perdu la boule et la boussole, moi je vous le dis, ça va laisser des traces ! Mais je vais le secouer un peu, promis !

- Merci commissaire ! Avec Louis, on ira cet après midi faire le siège de la scientifique et de notre bon docteur. Les jeunes continuent d’éplucher les docs ; on a quelques pièces bancaires de Belgique, des reçus de dépôts surtout, on va profiter de la présence de Mathilde pour mieux cerner les établissements et voir ce qu’on peut en tirer. Ensuite, dans l’après midi, Balitran emmène notre collègue sur la scène de crime et lui fait un topo en détails.

- Entendu ! Allez, bon appétit à tous et à demain car je passe le coup de fil au proc’ et après, je rentre, je me sens fatigué, les fins de semaines ne me réussissent pas vraiment.

- Pas de problème, Chef, s’il y a urgence, je sais où vous trouver ; bon appétit à vous aussi

Après le déjeuner, c’est l’effervescence, ils commencent par réexaminer tous les documents et photos avec Mathilde. Pour les photos, c’est chou blanc, elles sont aussi muettes pour elle qu’elles le sont pour eux. Dans les documents bancaires de dépôts, elle met le doigt sur un établissement particulièrement mal vu en Belgique, un établissement financier privé soupçonné de blanchir de l’argent de toutes sortes de fraudes. Elle promet, de retour à Bruges, de faire toutes les recherches là-dessus et aussi de creuser la filière mafia russe au cas où une tête dépasserait des autres à propos d’homicides horrifiques et trafic d’êtres humains y compris le réseau des affaires de sexe dur type snuff-movie et autres dégueulasses joyeusetés. Elle dit à Mia de creuser cette piste si elle a le cœur bien accroché sinon elle lui enverra un compte rendu ciblé de ce qu’elle aura trouvé, si elle trouve quelque chose.

Thomas lui demande si le nom et les coordonnées de la clinique privée russe qui a reçu des fonds des Bachellerie lui a permis de faire des recoupements avec des établissements ou des médecins belges.

- Non ! Je suis désolée, je suis bloquée par les autorisations du procureur qui n’arrive pas ; chez nous, on ne peut rien investiguer avant l’autorisation du procureur royal, sauf ce qui est public ou sur le net.

- Bon ! l’après-midi s’avance et nous, on fait du sur place, aussi je propose qu’on descende tous les quatre au labo puis à l’IML et ensuite vous et Balitran, vous partirez sur la scène de crime. Mia, Thomas, continuez de fouiller sur le net, il faut qu’on trouve quelque chose sur les liens des victimes avec la Russie et le monde médical et/ou le circuit des amateurs de sexe dark.

En fin de journée, et comme prévu, Balitran part avec Mathilde et entre temps, comme le leur a demandé la capitaine, Thomas et Mia sont partis devant vers le restaurant. Lisa a réservé pour dix neuf heures. Elle demande à Louis de la précéder, elle veut dire deux mots de remontrance à Serge, à l’accueil, mais sans témoins, elle ne veut pas le gêner.

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