16 · Le brigand et la Sélénienne
– Jarim, Thorsa, allez fouiller ces deux maisons, ordonna le lieutenant. Nous, on continue. Rendez-vous ici dans trente minutes pour un compte-rendu.
– Compris.
Accroupi, Jarim observa le détachement de ses camarades se fondre dans les fourrés, en direction du petit hameau isolé dans les hauteurs, que leur chef de section avait décidé de fouiller pour y déceler toute trace d’une activité ennemie. Ils n’étaient qu’un modeste groupe de neuf jeunes hommes – onze avec son camarade Thorsa et lui-même –, des garçons d’à peu près son âge, en mission de reconnaissance depuis une dizaine de jours dans cette région escarpée du Val-de-Lune, à deux jours de marche de leur camp de base, où s’était retranchée leur section de combat... ou du moins ce qu’il en restait.
Aujourd’hui, cela faisait tout juste dix-neuf mois que Jarim avait quitté la ferme de Soufflechamps pour grossir les rangs des Séléniens en âge de se battre, et l’on pouvait dire que rien ne s’était déroulé comme prévu. Très vite, lui et les siens avaient compris que l’ennemi leur était largement supérieur en nombre, en plus d’être bien mieux entraîné que l’armée du Val-de-Lune, composée pour l’essentiel de civils inexpérimentés dans le maniement des armes. Au fil des batailles, Eriarh leur avait infligé des pertes si lourdes qu’ils avaient dû reculer, cédant chaque jour plus de terrain à l’adversaire, abandonnant d’abord des villages, puis des villes entières. En quelques semaines à peine, l’envahisseur avait conquis une grande partie des territoires du nord, contraignant les défenseurs à refluer lentement vers le sud.
C’était dans cette débâcle, au fil des défaites successives, que Jarim avait été séparé de la plupart de ses compagnons de Soufflechamps. Daris, Yorden, Kelrin, Troj, Aran... et tant d’autres. Plus les mois passaient, plus les revers s’enchaînaient, et plus s’amenuisait l’espoir de les revoir vivants. Lui-même n’avait dû sa propre survie qu’à sa modeste maîtrise de l’arc acquise dans l’enfance, et, il le savait, surtout à la chance. Il avait dû se battre, tuer même, et cela l’avait changé à jamais. Endurci par la force des événements, il n’avançait plus que mû par la volonté de survivre, coûte que coûte, pour revoir et protéger celles qu’il aimait plus que tout, et vers qui allaient, jour après jour, toutes ses pensées. Sa mère, bien sûr... et Eldria.
Toutes deux étaient restées en arrière, à Soufflechamps. Étaient-elles encore en sécurité ? Eriarh avait besoin des exploitations agricoles de la moitié nord du pays pour nourrir ses troupes, il n’était donc pas dans son intérêt de malmener les civils. Pourtant, comme tous ses camarades, Jarim avait entendu des on-dit, des rumeurs – certaines rassurantes, d’autres... beaucoup moins. Dès que l’occasion se présenterait, dès que les conditions seraient remplies pour repousser l’ennemi, il s’était juré de libérer les habitants de sa ferme du joug de l’oppresseur. Mais pour l’heure, le devoir l’appelait.
– Je fouille la maison du fond, proposa Thorsa à voix basse, tandis qu’ils s’avançaient prudemment vers l’entrée de ce hameau inconnu, en territoire conquis par l’ennemi.
– D’accord, approuva Jarim. Moi, je prends celle-ci. En cas de problème, on applique le code.
Leur mission consistait à patrouiller discrètement dans les alentours afin de rassembler des vivres et, en toile de fond, de porter assistance à la population sélénienne sous occupation. Heureusement, Eriarh s’aventurait rarement dans ces coins reculés et faiblement peuplés, préférant tenir les grandes villes. De fait, le petit bourg paraissait paisible, voire désert. Il n’en fallait pas moins rester prudents et privilégier une approche rapide et discrète.
Jarim trouva sans mal l’entrée de la vieille bâtisse, verrouillée sans grande surprise. Il brisa donc le carreau d’une fenêtre, espérant que le vent couvrirait le bruit, puis se glissa à l’intérieur. La maison, propre, ne semblait pas avoir été vandalisée. Il en fit rapidement le tour pour s’assurer qu’elle était bel et bien inoccupée, puis investit ce qui tenait lieu de garde-manger, encore partiellement garni. Les propriétaires, pressés, n’avaient probablement pas emporté toutes leurs provisions avant un départ manifestement précipité vers des contrées plus sûres.
Il décrocha quelques pièces de viande séchée qu’il glissa dans sa besace. Il prit aussi tout le sel qu’il put trouver, denrée précieuse pour conserver les aliments. Enfin, il s’accroupit pour ouvrir un placard dans un recoin de la pièce. La stupeur le saisit net devant son contenu : des tomates, fraîches, par dizaines. Ainsi conservées, cela ne pouvait signifier qu’une chose...
– Qui es-tu ? entendit-il derrière lui. Tourne-toi tout doucement.
Jarim se redressa lentement, leva instinctivement les mains, puis s’exécuta. Une femme, presque de sa taille, se tenait face à lui, un long couteau pointé dans sa direction. Ses cheveux châtain clair lui cascadaient jusqu’aux hanches, et son regard, noir et résolu, le transperçait comme si elle était prête à le planter à la moindre incartade. De sa silhouette athlétique émanait une détermination sans faille, ce qui s’entendait aisément, dans le contexte, pour une femme de son âge – sans doute un peu moins de trente ans.
Elle toisa Jarim de haut en bas, son regard méfiant s’attardant sur son bassin.
– Jette ton épée, ordonna-t-elle sèchement, sans abaisser sa lame.
Jarim obtempéra, songeant que, si elle avait voulu le tuer, elle en aurait eu tout le loisir lorsqu’il lui tournait le dos.
– Tu n’es pas Eriarhi, n’est-ce pas ? demanda-t-elle en s’approchant prudemment pour éloigner du pied l’arme au sol. Ils sont bien plus bruyants quand ils se perdent par ici. Si tu n’avais pas cassé ce carreau, je ne t’aurais probablement pas entendu.
– Je suis de l’armée du Val-de-Lune, répondit Jarim, comprenant qu’il avait affaire à une compatriote isolée.
Il s’efforça de garder un ton calme malgré la lame à quelques centimètres de sa poitrine, se maudissant d’avoir laissé au camp son plastron en cuir sur lequel figurait l’emblème de leur nation. De son point de vue à elle, il avait tout l’air d’un bandit.
– Nous pensions cet endroit déserté depuis longtemps. Nous cherchons des vivres, ajouta-t-il pour se justifier.
– Voyez-vous ça.
Elle s’approcha encore, et Jarim dut reculer d’un pas.
– Enlève ta tunique, exigea-t-elle sans autre forme de procès.
Jarim parut surpris, et elle s’expliqua aussitôt :
– Qu’est-ce que tu crois ? sourit-elle en coin. Ce n’est pas pour me rincer l’œil. Les trouffions d’Eriarh ont tous un tatouage avec leur matricule sur l’épaule gauche.
Jarim le savait, aussi saisit-il cette occasion de prouver sa bonne foi.
– Très bien, commenta la jeune femme après qu’il eut déboutonné tunique et chemise et lui eut montré son épaule. Pas mal du tout.
Elle daigna enfin poser son couteau. Jarim ne sut pas ce qu’elle trouvait pas mal du tout, mais n’en tint pas compte, préférant s’excuser :
– Désolé d’être entré par effraction. Le hameau paraissait désert, si j’avais su qu’il y avait encore quelqu’un...
– Oh, ce n’est pas si grave, éluda-t-elle d’une voix soudainement plus chaleureuse. Comme je le disais, quelques patrouilles eriarhies ont déjà fureté dans les parages, mais elles sont si bruyantes que j’ai toujours le temps de me cacher. Et puis... ajouta-t-elle en jetant un coup d’œil au torse exposé de Jarim, je ne suis pas contre un peu de compagnie, de temps à autre.
N'étant pas certain de saisir l’allusion, Jarim enchaîna :
– Vous êtes seule, ici ?
– Oui. Mon père, mes frères et les autres hommes sont partis se battre il y a plus d’un an déjà. Le peu de femmes et de vieillards qui restaient ont rejoint le sud peu après l’invasion. Mais moi, je refuse d’abandonner cette maison. Après tout, il faut bien que quelqu’un reste... au cas où les nôtres reviendraient.
Jarim eut une nouvelle pensée pour Soufflechamps. Eldria avait-elle fui, elle aussi ? Ou bien patientait-elle, seule, recluse, dans l’espoir de le voir revenir, lui ou les autres ? À plusieurs reprises, il avait pressé son groupe de mener une expédition vers le nord, jusqu’à la ferme... mais c’était à plusieurs jours de marche, et ses supérieurs lui avaient rétorqué – sans doute à raison – que ce serait du suicide sans contre-offensive massive de l’état-major. Mais plus les mois passaient, moins il semblait possible pour le Val-de-Lune de renverser le rapport de force.
La Sélénienne, résistante malgré elle, lui donna les noms de ses frères et de son père. Jarim ne les avait jamais entendus, et ne put la renseigner sur ce qu’il était advenu d’eux. Lorsqu’il lui proposa de l’accompagner, lui et son groupe, jusqu’aux derniers bastions de civils séléniens au sud, la jeune femme refusa net, préférant demeurer là, seule, à attendre les siens. Malgré ses protestations – il ne voulait pas la priver de vivres –, elle insista pour céder une partie de ses réserves afin de participer à l’effort de guerre.
– Ce sera bien plus utile à des hommes vaillants tels que toi, plutôt que de pourrir ici, dit-elle avec un clin d’œil. D’ailleurs, j’ai plus de réserves par ici...
Sur ses mots, elle fit volte-face et se pencha en avant pour ouvrir un rangement en contrebas. Jarim ignorait si elle s’en était rendu compte, mais ce faisant, à la faveur de la courteur manifeste de sa jupe, elle lui offrit une vue imprenable sur ses jambes interminables et – pire encore – sur le bas de ses fesses. Il sentit ses oreilles chauffer en constatant qu’elle ne portait rien dessous, mais se garda de toute remarque, de peur de paraître impoli. Il se contenta de détourner pudiquement le regard... après avoir trop longuement contemplé ce qu’il n’aurait jamais dû voir.
– Où est-ce que j’ai bien pu les ranger ? dit-elle d’une voix étouffée, la tête plongée dans un placard profond.
Toujours dans la même position, elle recula pour atteindre un autre compartiment. Jarim, à l’étroit dans ce réduit exigu, ne put empêcher les cuisses nues de la jeune femme d’effleurer les siennes.
– Hem... fit-il pour signaler son inconfort.
Mais elle ne s’en soucia pas. Au contraire, elle se cambra davantage, ne lui cachant plus grand-chose de son fessier ferme, prêt à jaillir à tout instant de sous l’étoffe, si bien que Jarim ne savait plus où se mettre ni ce qu’il devait faire. À ce stade, il paraissait inconcevable qu’elle n’eût rien remarqué.
– Ah ! Voilà !
Elle tira enfin de sous un plan de travail une caisse débordant de concombres et en saisit un d’un geste... pour le moins équivoque.
– J’adore les concombres, dit-elle en se retournant enfin. Je suis sûre que l’armée saura les apprécier autant que moi je les apprécie.
Sur ces mots, elle pourlécha sensuellement la pointe de l’innocent fruit oblong.
– Ah ah... très bien ! s’empourpra Jarim, embarrassé. Je crois que j’ai tout ce qu’il me faut, je... je ferais mieux de vous laisser !
Il commença à reboutonner sa chemise et fit un pas de côté maladroit, renversant au passage divers ustensiles.
– Oups, je suis vraiment désolé, s’excusa-t-il, manquant de trébucher. Je... je m’en vais.
Le regardant s’éloigner, étonnée et étrangement déçue, elle lança à mi-voix :
– Mais, je croyais que... Quel âge as-tu ? Dix-neuf ? Peut-être vingt ans ? Je m’attendais à ce que tu aies envie de... enfin, je veux dire...
Étonnamment, à son tour, elle paraissait gênée. Elle ne l’était pourtant guère autant que Jarim qui, ne sachant comment gérer cette situation inédite, avait choisi la fuite.
– Oh, et puis merde ! lâcha-t-elle soudain en s’élançant vers lui. Tu es entré chez moi par effraction, tu me dois bien ça.
Jarim se figea lorsqu’elle se jeta à son cou et entreprit, contre toute attente... de l’embrasser. Les pupilles grandes ouvertes, terrassé, il ne sut s’il devait la repousser ou, au contraire, répondre à cet élan. L’image de ses hanches et de sa jupe trop courte s’imposa à lui, et son cœur s’emballa.
La jeune femme, collée tout contre son torse encore à demi dénudé, le plaqua contre le mur avec une force qu’il ne lui soupçonnait pas. Ses mains, pressées, se perdirent sur ses abdominaux taillés, comme si elle n’avait pas pu se retenir de les toucher avec les doigts plutôt qu’avec les yeux. Puis, ne perdant pas de temps, elle en glissa une sous sa ceinture... dans un endroit où Jarim n’avait encore jamais été touché. Elle n’eut aucune difficulté à en extraire son pénis effarouché, affublé de ses quelques poils hirsutes, figé dans une érection incomplète depuis que la téméraire Sélénienne s’était ostensiblement frottée contre l’avant de ses cuisses.
– Eh bien, tu ne perds pas de temps... souffla-t-elle, un sourire aux lèvres. Tant mieux.
Et tandis qu’il n’avait rien demandé, elle s’employa à le masturber vigoureusement, si bien que Jarim dut s’agripper aux poignées d’une armoire derrière pour ne pas perdre pied avec la réalité, tant il avait l’impression d’avoir plongé tout entier dans un rêve invraisemblable. La journée s’annonçait pourtant des plus banales, et voilà qu’une inconnue, aussi surprenante que séduisante, renversait son univers en un instant.
Jusqu’où irait-elle... ? Elle s’abaissa, et – ses sens devaient le tromper – elle approcha ses lèvres pulpeuses de sa turgescente intimité.
– Je... je ne crois pas que ce soit une... bonne idée, balbutia-t-il, tentant de reprendre contenance.
Pris de court, c’était probablement la bonne chose à faire que d’essayer de mettre un terme à cette dangereuse escalade. Certes, toutes ces longues années à se contenter de son poignet pour toute compagnie intime lui pesaient – d’autant qu’à son âge, il se gardait ben de partager son manque d’expérience avec ses camarades. Certes, il s’était souvent imaginé un moment semblable, mais là, tout allait si vite... trop vite peut-être. En avait-il vraiment envie ? Était-il prêt ?
– Ton corps hurle le contraire, répliqua-t-elle, malicieuse, ses doigts glissant sur son érection comme pour signer une évidence. Tout laisse à penser que tu n’attends que ça... je me trompe ?
À son assurance répondirent la confusion et l’aveu silencieux de Jarim. Sure d’elle, elle le prit en bouche. Il leva les yeux au plafond tandis que ses jambes menaçaient de se dérober. La sensation, neuve, le traversa d’un trait, le coupa du reste du monde. Elle avait entièrement raison : son esprit était peut-être réticent, mais son corps, lui, réclamait davantage. Elle avait envie de lui et, il devait se rendre à l’évidence, il avait envie d’elle. En cet instant suspendu, comment pourrait-il en être autrement ?
Il sentit distinctement les lèvres de la jeune femme venir englober entièrement son gland boursoufflé de désir, puis progresser lentement le long de sa peau tendue. Le coup de grâce fut rendu lorsqu’il sentit l’extrémité douce et tiède de sa langue venir lui flatter sa zone la plus sensible, dans le sillon de son prépuce retranché. En l’espace d’un souffle, son sexe rougeoyant se gonfla au maximum de son potentiel. Jamais il n’avait rien ressenti de tel.
Non contente de le recouvrir de sa bouche chaude et moite, elle accolait désormais sa main sur la base de sa verge, continuant de lui caresser la peau. Cette valse génitale à peine entamée, Jarim se sentit déjà submergé. Il voulut se retenir, rugir pour la prévenir... mais c’était en vain. Devenu spectateur de ses sens, il ne put empêcher, honteux, l’inévitable marée qui emporta ses dernières résistances et se déversa sur la langue habile de son inespérée première amante.
– Je... je suis désolé ! parvint-il à bafouiller d’une voix tremblante.
– Déjà ?! s’étonna-t-elle en reculant, la surprise peinte sur ses lèvres. Ah non hein... Moi aussi, j’ai le droit d’en profiter... depuis le temps que j’attends ça !
Sans plus de cérémonie, elle le goba encore avec obstination. Pourtant, malgré ses efforts renouvelés, la vigueur de Jarim déclinait déjà, comme si toute sève l’avait quitté. Il n’était pas remis de sa félicité, mais elle insista un moment encore.
– Bon ! abdiqua-t-elle finalement en se redressant d’un bond, la commissure des lèvres scintillant dans la clarté du matin. Aux grands maux...
Elle le saisit par les épaules et, sans difficulté, le poussa jusqu’au séjour jouxtant le garde-manger, l’obligeant à s’étendre sur la moquette moelleuse. Cette traction tira Jarim de sa torpeur et le ramena au présent. Il avait l’impression d’émerger d’un songe ; pourtant, le rêve persistait, se matérialisant sous ses prunelles écarquillées : d’un geste pressé, la belle inconnue déboutonnait sa tunique. L’habit voltigea, révélant une poitrine généreuse, de celles qui nourrissent tous les fantasmes... et Jarim ne faisait pas exception.
N'en ayant apparemment pas fini, comme un présent divin qui se déballerait tout seul, elle fit ensuite glisser sa courte jupe le long de ses jambes élancées, réservant à cette étoffe, qui semblait faire obstacle à ses desseins lubriques, le même sort qu’à son homologue. Jarim ne s’y était pas trompé : dessous, plus rien ne voilait ses charmes. Pour la première fois, il contempla la féminité à nu, dans sa splendeur première. Le temps se figea, alors qu’il avait le sentiment de revivre ce moment dans la grange, avec Eldria, un an et demi plus tôt. Mais, cette fois, la silhouette qui se dessinait sous ses yeux ne cachait plus rien, et affichait clairement son intention d’aller plus loin.
Jarim promena d’abord son regard sur ses deux seins, proéminents, fièrement portés en avant, gonflés d’un désir proclamé. Puis, malgré cette soif insatiable de les admirer encore, il courut, aimanté, vers le secret de son ventre, où l’ombre élégante d’un jardin l’attirait comme une promesse. Subjugué, une énergie neuve l’envahit. L’effet fut immédiat... mais si son corps se réarmait déjà, son visage, lui, prenait la teinte des tomates aperçues plus tôt. Comment en étaient-ils arrivés là ?
Satisfaite de l’émoi qu’elle suscitait, celle dont il ignorait jusqu’au prénom s’apprêta à accomplir ce que Jarim redoutait... autant qu’il le désirait ardemment. En un battement de cils, elle fut sur lui, guidant d’une main sûre l’éveil retrouvé de son partenaire étendu. Seule et unique maîtresse de ce ballet improvisé, elle le dressa à l’orée de sa propre matrice et, s’abandonnant à un soupir libérateur, elle s’abaissa lentement.
L’effet sur les sens de Jarim fut foudroyant. Il avait cru avoir touché le ciel... on venait de lui ouvrir le cosmos. Son gland, encore pulsant de vie, s’insinua en elle avec une aisance infinie. C’était comme si tout un univers de chaleur et de douceur l’enveloppait jusqu’au vertige. D’abord posée, puis plus vive, la cadence qu’elle imposa prit possession de son corps, ses paumes fiévreuses s’ancrant à son torse que sa chemise déboutonnée laissait apparent. Ses paupières se fermèrent, sa bouche s’entrouvrit... et chaque fois qu’elle se laissait aller contre lui, un cri bref, net, jaillissait de sa gorge.
Jarim se laissa guider, novice heureux, dans cette découverte qui effaçait le reste du monde. Il en était persuadé, s’il n’avait pas déjà cédé un instant plus tôt, il se serait déjà largement abandonné... en elle. Mais contre toute attente, il tenait bon. Pour l’heure, seules les limitations physiques de son corps l’empêchaient de recommencer. Il avait toutefois l’intuition grandissante que ce répit ne durerait pas. Cela sembla d’ailleurs être du goût de celle qui continuait de se trémousser sur lui, soupirant, gémissant à tue-tête. Jamais Jarim n’aurait cru qu’une fille puisse se montrer si entreprenante !
De là où il était, étendu de tout son long sur un sol duveteux, il s’enivrait de la danse affolée de sa poitrine ronde, aux pointes marbrées, qui rebondissait tout près de son visage, indépendamment du reste du corps de sa propriétaire. Alors, avec l’audace que donne l’instinct, il devint acteur à son tour, posant ses mains hésitantes sur ces courbes offertes. Elle serra ses doigts des siens, l’encourageant à emplir ses paumes de cette douceur ferme qui lui semblait un miracle.
Elle poursuivit cette chevauchée pendant un temps qui sembla se dérober. Secondes ou minutes... qu’importait. Son être entier était accaparé par la sensation de plaisir qui émanait de son bas-ventre, loin de tout ce que l’onanisme avait jamais pu lui offrir. Tout se réduisait à ce va-et-vient, à ce fil tendu entre la retenue et l’abandon. S’il en avait été capable, il aurait ralenti la cadence, contrôlant l’afflux de désir qui croissait en lui... mais sa pourvoyeuse de plaisir paraissait insatiable, inarrêtable.
Puis, mû par une force nouvelle le poussant à une initiative dont il ne se serait jamais rêvé capable, d’un bloc, avec fougue, il se redressa et sans interrompre leur étreinte, il permuta les rôles. D’abord surprise, elle se laissa retourner, un gloussement ravi aux lèvres, heureuse de lui céder les rênes.
– T’arrête surtout pas ! haleta-t-elle, cramponnée à son cou.
Il n’en avait pas l’intention. Elle s’étendit, jambes ouvertes, enveloppant ses cuisses à lui. D’un geste habile témoignant d’une certaine expérience, elle parvint à rabattre le pantalon de Jarim jusque sur ces mollets. Il avait oublié qu’il était encore presque tout habillé. Son puissant fessier désormais à l’air libre, contracté par l’effort, elle le lui empoigna fermement, comme pour l’inciter à la besogner plus énergiquement encore.
C’était à son tour, désormais, de pratiquer l’acte d’amour pour la toute première fois. Jamais, jamais il n’aurait cru s’y abandonner comme ça, si facilement, au hasard d’une rencontre fortuite, ici et maintenant. Le Jarim habituel se serait probablement posé tout un tas de questions. Le Jarim habituel songerait certainement à Eldria, à la guerre, à leur tentative avortée de concrétiser leur amour. Tentative avortée... par sa faute à lui. Lui en voulait-elle encore, après tout ce temps ? Après ces longs mois d’éloignement... pensait-elle encore à lui ? Ils s’étaient avoué leur attirance mutuelle, s’étaient embrassés, mais, depuis tout ce temps... pouvaient-ils encore seulement se considérer comme... ensemble ?
Était-il en train... de la tromper ?
Fort heureusement, il n’était plus vraiment lui-même, mais plutôt un Jarim désincarné, happé dans le maelstrom de la tentation et du plaisir ; il devrait s’arranger avec sa conscience plus tard.
La sensation de s’insérer de toute sa virilité sur les rives de celle qu’il dominait éclipsait tout le reste, et l’envahit telle une ondée lui parcourant les veines. Ce fut presque comme renoncer à son pucelage une seconde fois ce jour, en l’espace de quelques minutes. En réponse à cette mesure qu’il avait trouvée dans cette position nouvelle, la sublime Sélénienne poussa une longue et vibrante plainte, qu’il perçut, viscérale, comme une invitation à continuer. Il s’y employa, contractant ses abdominaux creusés pour la marteler de son bassin puissant et conquérant. En même temps, Son visage vint se perdre contre la chaleur de ses seins, dont la peau écarlate avait gardé trace de ses mains, offerts à lui telles deux rutilantes offrandes. Ses propres gémissements, rauques, méconnaissables, se mêlèrent à ceux, plus clairs, de celle qu’il venait pourtant de rencontrer, comme deux voix qui se cherchent et se trouvent.
Pourtant, il le savait et le redoutait comme un couperet... arriverait bientôt le temps de l’extase et, à son terme, celui de l’insupportable retour à la réalité. Il eut beau ralentir le rythme, se concentrer, se retenir... c’en était trop. Il la sentait venir, inéluctable, la crête où tout bascule. Il allait pouvoir l’honorer une fois encore, peut-être deux, mais après, il ne répondrait plus de rien.
Son corps tout entier se crispa alors qu’il s’insérait tout au fond de ce refuge qui l’avait si bien accueilli. Il recula ensuite, préparant son ultime assaut, celui où il se relâcherait, qui le propulserait sans doute dans une dimension de volupté et d’euphorie absolue. Mais au dernier instant, sa partenaire, comme douée de prémonition, ondula des hanches, le déviant hors d’elle. Son sexe, humide, brûlant, chargé, reparut à l’air libre. C’était trop tard...
Le monde chancela. Sa semence chaude fut propulsée, par une force invisible, jusqu’au menton de la jeune femme. Le reste – qu’il avait secrété par il ne savait quel miracle – jaillit par vagues successives, de son buste dressé jusque sur son ventre tressaillant. Jarim rugit sans s’en rendre compte. La félicité qui le gagna fut si vive, si extrême, que pendant le temps d’un souffle, il oublia son nom, son prénom... et même Eldria.
Qu’avait-il fait ?

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