22 · Embruns

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« Eldria » ... « Eldria, c'est moi » ...

Où était-elle ? Pourquoi entendait-elle encore une voix ?

« Eldria ».

Cette voix... Dan ? Rêvait-elle de lui, ou était-ce réel ? Impossible, elle avait senti son cœur s’arrêter. Et pourtant... pour quelqu’un qui aurait quitté le monde des vivants, son corps la faisait encore sacrément souffrir.

Avec le même effort que si elle avait dû soulever un rocher de sa taille, elle tenta d'ouvrir les paupières – si elle en disposait, dans cet univers mystérieux, bien sûr. Oui, cela fonctionnait. Elle y voyait flou... mais elle y voyait. Elle était baignée d'une lumière blanche. L’Au-Delà ? Non... Une forme flottait au-dessus d'elle. Un visage.

– D... murmura-t-elle imperceptiblement, comme si elle prononçait ses tout premiers mots. D-Dan.

En réponse, il lui serra ce qu'elle se rappela être sa propre main. La sensation lui fut douce et rassurante. Alors, elle se souvint comment sourire, et le fit.

Sa matière grise se rappela à elle et se mit à tambouriner l’intérieur de son crâne, déformant son sourire en rictus. Elle souffrit. Une paume chaude se posa sur son front, apaisante, et la douleur reflua.

– Dan... tu es là.

Il était revenu. Elle souriait encore, à mesure que les rouages de son corps retrouvaient un fonctionnement à peu près nominal. Elle se sentait rouillée, comme si elle se réveillait dans la peau d'une centenaire. Elle toussa, longuement.

Elle ignorait où elle se trouvait, ne gardant qu’un souvenir très succinct de ce qu’elle faisait avant de s’endormir. Elle se rappelait vaguement la douleur, le froid... le visage inquiet de ses amis, penchés sur elle. Avait-elle rêvé tout cela ?

Elle cligna plusieurs fois des yeux pour faire le point. La vive lumière l’agressa d’abord, puis ses pupilles s’habituèrent. Elle était alitée dans une petite chambre aux murs d’un blanc de neige, chichement décorée. Une fenêtre, grande ouverte, dispensait une brise agréable qui venait lui caresser le visage. Dehors, elle distinguait les mâts de plusieurs navires, leurs pavillons dressés jusqu’au ciel dégagé. Pour la première fois, elle huma à pleins poumons les embruns aux effluves iodées de la mer, qu’elle devinait à l’horizon. Ces inspirations, inédites, la revigorèrent comme autant de bouffées d’énergie pure. Quelle joie de pouvoir respirer à nouveau sans devoir déployer de pénibles efforts.

Revitalisée, elle se reconcentra sur son environnement immédiat, et se redressa avec précaution. Si Dan était de retour, où étaient les autres ? Elle se tourna vers lui et, surprise, se retrouva nez à nez non pas avec son compagnon de cavale des derniers mois, mais avec Jarim, qui la fixait intensément de ses yeux clairs, l’air compatissant.

Elle devrait désormais vivre avec ce premier sentiment, qu’elle ne se pardonna pas d’avoir éprouvé l’espace d’un soupir : la déception. Après avoir cru, un bref instant, que celui à qui elle avait récemment déclaré sa flamme était revenu pour elle, cette joie lui avait été brutalement retirée, la laissant face à cette réalité froide : l’élu de son cœur était parti, pour de bon. Mal éveillée, ses sens lui avaient simplement fait figurer la personne qu’elle désirait peut-être, plus que toute autre, savoir auprès d’elle, à la place de son ami d’enfance, pour qui elle nourrissait pourtant une affection sans borne – et qui, elle devait se l’avouer, dépassait également largement la simple amitié. Elle se ressaisit aussitôt : Jarim ne méritait pas d’être la source de ses déceptions.

– Tu es enfin réveillée, dit-il d’une voix que l’on sentait affectée.

Il ne fit aucune mention du fait qu’elle venait, vraisemblablement, de le confondre avec quelqu’un d’autre. Peut-être n’avait-il tout simplement pas saisi ce qu’elle avait bredouillé... ou peut-être était-il trop accablé pour l’évoquer.

– J'ai eu si peur de te perdre, ajouta-t-il.

Son visage, d’ordinaire jovial et avenant, était ravagé par l’épuisement. Des cernes pourpres lui coulaient jusqu’au milieu des joues, et le blanc de ses yeux avait viré à l’écarlate, comme s’il ne s’était pas reposé depuis des jours... ou comme s’il avait beaucoup pleuré.

– Que... que s’est-il passé ? demanda Eldria en s’éclaircissant la gorge, déboussolée.

Elle avait décidément le chic pour s’évanouir, puis émerger dans des lieux inconnus.

Les mots semblèrent manquer à Jarim, comme s’il n’arrivait pas à ordonner sa pensée. Il tenta tout de même :

– Eh bien... tu...

Sur ces entrefaites, des pas précipités résonnèrent derrière la porte close. Les deux amis n’eurent pas le temps de s’interroger sur la source du vacarme que déjà le battant se déployait dans un vacarme qui fit vibrer les murs. Une véritable furie se rua dans la petite chambre pourtant si paisible. Lélia, en tenue de voyage, les cheveux à demi ébouriffés, ne prit même pas la peine de les saluer. Elle fondit jusqu’au lit et, voyant Eldria éveillée, se jeta dans ses bras, la prenant de court et manquant l’étouffer.

– La Déesse soit louée, tu es saine et sauve !

Elle maintint son étreinte, comme si elles ne s'étaient pas revues depuis des décennies.

– Heu... oui, je vais bien, Lélia. Mais que s’est-il passé pour que vous tiriez des têtes pareilles ?

Lélia la relâcha enfin, un air interrogateur au visage.

– Jarim ne t'a rien dit ?

– Dit quoi ? Je... je viens à peine d'émerger, je ne sais même pas où on est.

Elle plissa le front pour mieux se concentrer.

– La dernière chose dont je me souvienne, c’est... vous deux, à mes côtés. Et... le froid. J’avais très froid.

Son amie lui adressa un sourire à la voix bienveillant et compatissant.

– Tu es tombée gravement malade, après Pic-Ridas. À mesure que nous nous enfoncions dans les montagnes, ton état s'est dégradé. Après quelques jours, tu n'étais pratiquement plus consciente. Un soir...

La jeune femme marqua une pause affligée, comme si l'évocation de ces instants lui coûtait.

– Un soir, tu as cessé de respirer et... ton cœur s'est arrêté de battre. Nous avons cru te perdre.

Jarim se leva précipitamment, et la pudeur le fit se détourner.

– Jarim n’a pas cédé à la panique, reprit Lélia. Il t’a aussitôt prodigué un massage cardiaque. Ton cœur a fini par repartir. C’est... un véritable miracle.

– ... waouh, fit Eldria, n'en revenant pas.

Elle n’avait donc pas rêvé, elle était bel et bien revenue... d’entre les morts ? Par réflexe, elle porta la main à sa poitrine, comme pour vérifier que les battements qui y pulsaient étaient réels.

– Ensuite, il t’a prise dans ses bras et t’a portée jusqu’à Perce-Neige. Vous êtes partis au grand galop, sans vous retourner. Le capitaine a bien protesté, mais je crois que personne, en ce monde, n’aurait pu l’arrêter.

– Finalement, nous n’étions qu’à quelques heures de Radianceval, intervint Jarim, qui leur tournait toujours le dos et paraissait avoir vécu les pires heures de toute son existence. Nous avons chevauché toute la nuit, et avons été accueillis dans cette clinique, il y a un peu moins de quarante-huit heures. On m’a assuré que tu ne risquais plus rien, mais... j’ai bien cru ne plus jamais entendre ta voix.

Son angoisse semblait sincère, et Eldria fut émue de le découvrir si affligé pour elle. Les larmes lui revinrent aux yeux. Elle lui adressa un regard de gratitude et fut prise d’une furieuse envie de le serrer contre elle, pour le consoler et le remercier. Décidément, le froid ne lui réussissait pas !

– Effectivement, confirma Lélia, je suis restée avec le reste des Séléniens, et nous avons fini par sortir des montagnes ce matin. Ils sont à moins d’une heure de route. Le capitaine a consenti à m’accorder un cheval pour que je vous rejoigne en avance, car je ne tenais plus en place... et je crois que cela l’agaçait.

Eldria, qui se sentait désormais beaucoup mieux après ces mésaventures, acheva de se redresser. Elle constata, au passage, qu’elle était en simples sous-vêtements sous la fine couverture qui la recouvrait, mais ne s’en formalisa pas. Après tout, Jarim l'avait déjà observée en petite tenue, et, pour ce qui la concernait, cela ne la gênait pas de se montrer ainsi.

– Les amis, dit-elle, je crois que je vous dois des remerciements. Merci d’avoir pris soin de moi pendant ce voyage. Je suis vraiment désolée de vous avoir imposé tout ça.

Ses deux compagnons lui adressèrent un sourire chaleureux, et elle mesura la chance de les avoir auprès d’elle. Peu de ses connaissances pouvaient se targuer d’être de ses proches, mais Lélia et – bien évidemment – Jarim tenaient une place de choix dans son cœur. Pour parfaire ce tableau, elle aurait aimé savoir Dan et Salini à ses côtés... Au moins, pour cette dernière, elle pouvait encore agir !

– Ne perdons pas plus de temps, lança-t-elle avec un regain d’entrain, s’extrayant de la couverture pour se mettre debout.

Elle avait omis qu'elle n'était peut-être pas tout à fait remise, aussi la tête se mit immédiatement à lui tourner, et elle trébucha. Ce fut par la seule vigilance de celui qui avait toujours été là pour elle depuis sa plus tendre enfance qu'elle ne s'étala pas misérablement sur le plancher grinçant, manquant se blesser : dans un réflexe, Jarim la rattrapa de justesse, et la sensation de ses bras musclés l’enserrant par la taille, à même la peau, lui provoqua une brusque bouffée de chaleur.

– Hé, attention ! la sermonna-t-il en l'aidant à se remettre sur pieds.

– Oups, pardon, je... je suis encore un peu dans les vapes, ça va passer.

Elle remarqua que les oreilles de Jarim avaient rosi. Était-ce la conséquence de cette soudaine proximité ?

Après s'être assuré qu'elle n'allait pas s'évanouir de nouveau, par pudeur encore, il se détourna, feignant de s’intéresser avec un peu trop d’enthousiasme à la table basse. Eldria échangea un sourire connivent avec Lélia et, petit pas par petit pas, s’aidant de l’armature métallique du lit, rejoignit ses vêtements pour se rhabiller lentement. Loin d'être dupe, la jeune archère ne pouvait qu’avoir saisi qu'il existait, entre ces deux-là, un passif tenu secret.

Ayant recouvré assez de force, Eldria leur proposa de ne pas faire de vieux os ici : ils avaient une mission à mener, et jamais ils ne s’étaient trouvés si près du but. Mais avant de quitter la chambre, pendant que Lélia s'engageait dans l'escalier, Eldria retint Jarim par le bras. Le jeune homme se tourna vers elle, un sourcil levé. Sans prévenir, elle se haussa sur la pointe des pieds, se pencha vers lui et déposa, sur sa joue, un unique baiser. Il écarquilla de grands yeux surpris et demeura pantois.

– Merci, fit-elle d'une voix douce, avant d'emboîter le pas à Lélia comme si de rien n'était, le laissant planté là, une main fébrile sur la joue.

C'était une belle matinée de printemps. La dépaysante ville portuaire de Radianceval s'animait au rythme des chants d'oiseaux et du souffle du zéphyr faisant claquer les voiles pourtant repliées des navires mouillant à quai. Les marchands, aux étals bien achalandés, hélaient les passants dans un agréable fumet de poissons frais et de légumes colorés, si bien qu’un étranger, ignorant tout du contexte géopolitique local, aurait pu croire sans peine que la nation du Val-de-Lune se trouvait en pleine période de paix et de prospérité. Seule une maigre garnison, arborant les fanions bleutés du pays, était stationnée aux abords de la ville, au confluant de diverses routes et chemins menant aux terres plus au nord, pour la plupart occupées par Eriarh.

Attendus par Jarim et Eldria – Lélia s’était proposée de convaincre un équipage de les faire traverser vers l’autre continent –, ce fut par l'une de ces routes que finirent par arriver, en nombre, les anciens occupants du camp retranché de Pic-Ridas, abandonné à contrecœur à l'ennemi quelques jours plus tôt. En tête du cortège, le capitaine nouvellement promu avisa aussitôt ses deux compatriotes, partis au galop au cœur des montagnes deux nuits auparavant.

– Mon lieuten... s'emmêla Jarim, tandis que son supérieur approchait, la mine fourbue comme tous les autres, mais l’air digne comme à son habitude. Je veux dire... Capitaine.

– Oris, répondit le gradé avec un regard réprobateur à l'attention de son subalterne, qu'il désignait par son nom de famille. Je vois que notre invitée est remise sur pieds.

– Oui, Capitaine. À ce sujet, je dois vous parler. Je souhaiterais que vous m'autorisiez à l'accom-

– Oris, l'interrompit-il d'une voix autoritaire, pour avoir désobéi aux ordres et abandonné notre détachement, je me vois dans l’obligation de vous relever de vos fonctions, à effet immédiat, pour insubordination et désertion.

Jarim devint livide, et Eldria demeura bouche bée.

– Mais, Capitaine, s’insurgea-t-elle, c’est uniquement ma faute si...

– En conséquence ! la coupa-t-il aussitôt. En conséquence, Oris, je vous libère de toute obligation envers notre compagnie, et je vous ordonne de vous rendre immédiatement au quartier général, par vos propres moyens, pour y être réaffecté.

Contre toute attente, son visage si endurci se détendit subitement. Il adressa un clin d’œil discret au jeune homme et reprit à voix plus basse :

– Et si le chemin vers notre capitale passe par l’Adaï, en compagnie de ton amie... qui suis-je pour m’y opposer ?

Il lui posa une main virile sur l'épaule.

– Tu as été un bon élément pendant tous ces derniers mois, Jarim. Prends soin de toi.

Il salua Eldria d’un signe de tête, puis tourna les talons pour aller se présenter, lui et ses hommes, à leurs camarades sudistes. La procession fut accueillie à bras ouverts, tant il était rare de recevoir des renforts en cette période trouble. En passant devant Jarim, Thorsa le gratifia d'une accolade, le visage rayonnant :

– Revoilà notre héro ! Tu vas me manquer terriblement, mon frère.

Jarim lui rendit son étreinte fraternelle. Thorsa considéra Eldria par-dessus l’épaule de son ami :

– Surtout, prends bien soin de lui. Il a tendance à ne plus savoir où donner de la tête quand il est sous pression... et il ronfle la nuit. Ah, et aussi, il pète au lit.

La remarque, déplacée pour le contexte, arracha un sourire à Eldria :

– Je n’y manquerai pas !... À prendre soin de lui, je veux dire.

Le jeune homme à la tignasse rousse s’éloigna avec le reste de ses camarades, non sans adresser un dernier clin d’œil entendu à Jarim.

– Ah... Thorsa, fit Jarim en observant ses collègues se rassembler plus loin. Toujours un mot pour rire. Il va me manquer, le bougre.

– Tu sais, hésita Eldria, tu... tu ne dois pas te forcer à m’accompagner. Lélia et moi pourrons très bien...

– Tu plaisantes ? Il est absolument hors de question que je te laisse prendre le large sans moi... surtout avec la frayeur que tu nous as faite l’autre soir ! Maintenant que je t’ai retrouvée, je ne te quitte plus.

Eldria lui lança un sourire rayonnant et sentit aussitôt ses pommettes s’empourprer. Elle non plus n’avait guère l’intention de le perdre de vue une seconde fois.

Ils firent leurs adieux à la compagnie, contraints, à contrecœur, de leur confier Perce-Neige – au grand dam d'Eldria, qui avait vécu tellement d'aventures avec l’animal qu’elle dut se retenir de pleurer à chaudes larmes au moment de lui lâcher la bride pour la dernière fois. Il fallait pourtant se rendre à l'évidence : il serait bien trop délicat pour le brave destrier de subir la traversée dans la cale étroite d’un bateau. De plus, une fois sur l’autre continent, le climat désertique décrit par Lélia ne lui serait guère propice, comme la seconde partie de son patronyme le laissait subtilement deviner.

La fin d’après-midi venue, Eldria s’était assise à l’extrémité d’un long ponton de bois, dont les pieux immergés, comme vêtus de mousses et de minuscules coquillages, étaient fouettés par le remous bruyant des vagues sous ses pieds ballants. Perdue dans ses pensées, elle fixait le large tandis que le vent chaud agitait doucement sa chevelure ambrée. C’était la première fois qu’elle contemplait cette infinie étendue bleutée, si verbeusement décrite dans les livres. Ces écrits, pourtant, ne lui rendaient pas un hommage suffisant : tout était si vaste, si mouvementé et pourtant si plat, si assourdissant et à la fois si calme. Qu'importe la direction vers laquelle se portait son regard fasciné, elle ne percevait que la jonction, lointaine et inatteignable, entre le ciel azuré et l'eau, cette dernière cherchant à imiter la robe claire de son opposé. Y avait-il réellement un continent entier au-delà de cette frontière intangible, qui paraissait infranchissable ? Salini se trouvait-elle vraiment dans cette direction ? Jamais, depuis son évasion, elle n’avait été si proche de son amie, et pourtant jamais elle n’avait eu le sentiment d’en être aussi éloignée.

Baissant la tête, elle examina ses mains et remarqua qu’elles tremblaient. Son corps tout entier manifestait encore le contrecoup des épreuves dressées sur sa route. Elle avait failli succomber bêtement, par faiblesse. Juste avant cela, elle avait perdu, pour de bon, le garçon qu’elle aimait. Et encore avant, on l’avait ligotée, malmenée, violentée, violée... Par instants, des images encore vives de cette agression lui cisaillaient l’esprit, comme d'aveuglants éclairs noyant sa pensée. Parfois, c’était le visage blafard de Minnlho, la bouche ensanglantée, qui revenait la hanter. Peut-être était-ce l’effet de ces chocs, mais elle se surprenait à ne pas se souvenir de pans entiers des derniers jours. Ainsi, elle ne se rappelait pas l’issue exacte de leur rencontre avec les Eriarhis, près de Pic-Ridas. Elle ne gardait pas davantage de souvenirs précis des évènements ayant suivi le terrible départ de Dan. C’était comme si son esprit avait appris à se compartimenter, pour la protéger.

Elle sursauta lorsque la voix douce de Lélia l'interpella :

– Tout va bien, Eldria ? Tu sembles pensive.

La jeune femme s’assit à ses côtés, et Eldria opina du chef, avant de reporter son regard au loin, glissant les mains sous ses cuisses pour cacher ses tremblements.

– C’est la première fois que je vois la mer, murmura-t-elle. Je n’arrive pas à croire que je vais la traverser, moi qui pensais ne jamais voyager plus loin que la ville à deux pas de ma ferme.

– C’est moins impressionnant que ça en a l’air, indiqua Lélia. On aura atteint l’Adaï en moins d’une semaine, si les vents nous sont favorables. Le capitaine du navire marchand qui a accepté de nous prendre comme passagers m’a dit que nous lèverions l’ancre ce soir, au crépuscule.

– Très bien, mais comment va-t-on les payer ? Jarim a dépensé le peu d’argent qui nous restait pour la clinique...

Lélia esquissa un sourire en mimant un geste qu’Eldria reconnut sans peine.

– J'ai su me montrer très persuasive, si tu vois ce que je veux dire. Il faut dire que la majorité des hommes acceptent tout et n’importe quoi quand c’est moi qui suis à l’initiative. Figure-toi qu’on aura même une cabine rien que pour nous.

– Lélia ! s’offusqua Eldria, mi-outrée, mi-amusée par la désinvolture de son amie.

Elles partirent en franche rigolade, tandis que la brise marine s’intensifiait. Était-ce là un signe que la navigation serait bonne ?

– Tu t’es enfuie de ta délégation pour me suivre dans ma mission, reprit finalement Eldria. Tu as abandonné les tiens. Ne crains-tu pas de retourner sur les terres de ton peuple ?

– Non. Mon père est influent, mais il comprendra mon envie de liberté lorsqu’il apprendra mon retour.

– Il doit probablement être inquiet, et à ta recherche, tu ne penses pas ?

Lélia retint un rire dédaigneux, empreint d'amertume.

– J'en doute. J'ai dix-sept sœurs, le vieil homme a largement de quoi faire avec.

– Dix-sept ?!

– Oui. De mère différentes, bien sûr. Comme je te l'ai expliqué, les mœurs sont différentes chez nous.

– Et... tu as de bonnes relations avec elles ?

– Cela dépend. De toutes, je suis la seule à avoir reçu une éducation militaire, nous avons donc assez peu de points communs. Certaines sont plus âgées, et d’autres bien plus jeunes. Moi, je suis pile au milieu : j’apparais de ce fait immature aux yeux des unes, et trop adulte aux yeux des autres. J’ai donc toujours eu un tempérament plutôt solitaire.

Contente que sa sauveuse se livre un peu, Eldria posa affectueusement la tempe contre son épaule, le regard perdu dans le lointain.

– Eh bien moi, je suis heureuse que tu sois à mes côtés. Sans toi, nous n’en serions pas là.

Malgré leur proximité parfois prononcée, il n’y avait guère d’ambiguïté romantique entre elles, et ce fut peut-être ce qui donna à Eldria, fille pourtant unique, le sentiment d'avoir trouvé, en Lélia, une grande sœur sur laquelle elle savait pouvoir compter en toute circonstance.

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