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ANNE DEFORCE

COMPAGNE de PRINCESSE Aurore

Invitation au MARIAGE

de

PRINCE Aurélien et COMPAGNON Adrien

Veuillez trouver ci-joint les instructions pour se rendre au Manoir Excellence.

L’invitation avait été soigneusement gardée dans un tiroir pendant un mois. L’idée d’être invité dans un événement si intime était pour Anne une sorte de réussite. Anne avait reçu un message de sa partenaire la veille de son départ pour le Manoir Excellence — une sublime demeure qu’elle n’avait vu qu’une seule fois — lui demandant d’emporter qu’une petite valise. Elle avait entrepris de voyager seule, sans vraiment dire à quiconque où elle se rendait — et de toute façon, c’était un événement privé qui n’avait pas besoin d’être expliqué à la terre entière — et l’avait bien vécu. Elle se trouvait devant les sinistres grilles de la propriété, garée sur le bas-côté comme une bonne dizaine d’autres automobilistes. Assise dans son véhicule, elle attendait patiemment tout en écoutant la radio. Dehors, des nuages noirs grondaient et pleuraient, des éclairs illuminaient parfois le ciel. Ce n’était certainement pas une journée idéale pour un mariage, pensa-t-elle en soupirant.

Dans son rétroviseur gauche, des hommes et femmes vêtus d’un costume noir et rouge avançaient en deux files indiennes le long des voitures. Coiffés d’un chapeau en haut de forme, là où se trouvaient des fleurs, les personnes marchaient lentement. La pluie violente ne semblait pas les déranger dans leur approche. De jeunes enfants se distinguaient par leurs habits somptueux et par les couronnes d’épines qu’ils portaient sur un petit coussin rouge. À chaque véhicule garé sur le côté de la rue menant aux portes de la propriété, ils s’arrêtaient et vérifiaient les invitations. Anne se prépara donc : elle décrocha la ceinture, se saisit de son carton et attendit patiemment son tour. Après le passage d’une enfant aux cheveux blonds, un homme, qui étonnement portait une forte ressemblance à la petite fille, se présenta. Pas un mot ne fut échangé. Il lui jeta un long regard avant de lui donner une enveloppe où son nom y avait été soigneusement inscrit.

ANNE DEFORCE

COMPAGNE de PRINCESSE Aurore

Sortez de votre véhicule, donnez vos clefs à l’entrée avant de longer l’allée. Prenez place dans le rang « RENARD » et attendez le début de la cérémonie.

Quelle étrangeté ! songea la femme en prenant son parapluie.

Elle ouvra la portière, et fut avec surprise la seule à l’avoir fait. Elle déploya son parapluie bleu avant de se pencher pour attraper son sac à bandoulière. Anne ferma sa voiture et nota que peu à peu, les gens autour d’elle sortaient à leur tour. Devant elle se trouvait une femme dont l’apparence était complètement inapproprié pour un tel évènement. Quel manque de respect ! L’inconnue s’imposait par ses vêtements élégants, son visage recouvert de peinture blanche et noire faisait étonnement penser à celui d’un clown.

« Baronne Andreas, un plaisir de vous voir de nouveau, salua l’un des serviteurs, s’abaissant légèrement en guise de bienvenu.

— Merci. »

Les invités ne bougeaient pas comme s’ils étaient des pions sur un plateau d’échiquiers attendant leur prochain mouvement. Anne se sentit nerveuse. Tous arboraient des vêtements à couper le souffle et dévoilaient ainsi la richesse du clan. Elle baissa les yeux, laissant échapper un petit soupir avant de se concentrer sur la femme devant elle.

« J’ai entendu qu’une nouvelle a été invitée dans nos activités, dit la Baronne, parlant couramment le néerlandais.

Une compagne d’Aurore, peut-être une future femme, qui sait… déclare un homme possédant les mêmes artifices que la Baronne.

Une pouilleuse !

Qui rejoindra peut-être nos proies ! ajouta joyeusement le Baron.

Soyez gentil, vous deux, sermonna un homme chauve en se tournant vers eux, ou pas de cadeaux à Noël ! »

Anne ne comprenait rien. Le temps passait, le vent se levait, et elle frissonnait de plus belle. Puis le couple en face d’elle se mit à avancer. Ce fut le signal pour tous les invités de pénétrer à l’intérieur des lieux. Elle passa devant une urne où les clefs devaient être déposées, toutefois elle ne le fit pas. De grands arbres dont leurs feuillages cachaient le ciel noir formaient une grande allée. Le gravier craquait sous ses baskets. Sur les côtés se tapissaient des portraits fleuris s'enroulant autour d'œuvres artistiques, toutes protégées par une pergola en bois. Anne se démarquait aisément par la couleur de son parapluie dans l’océan ténébreux des autres, était le sujet de discorde et de rumeurs, cependant, jamais la compagne d’Aurore ne comprenait le moindre mot à ces échanges.

Le Manoir Excellence se dressait. Immense et lugubre, une beauté qui avait survécu pendant de nombreux siècles malgré les nombreux bas qui lui avaient valu des rumeurs néfastes à la réputation du clan. Madame de Borgun, dont on chuchotait que son fantôme tourmenté hantait les lieux, était celle qui avait posé les premières pierres à l’édifice. Excellence se caractérisait par sa décoration qui traversait les époques, par le temps figé entre ses murs, ses âmes vagabondes qui ne cessaient de l’agrandir. L’histoire de ce lieu impressionnait Anne, qui se laissait submerger par les nombreuses informations qui se dévoilaient alors qu’elle avançait au bout de l’allée. Dans la cour principale, entourée par des jardinières immenses se trouvait quatre rangées de chaises blanches. Des fleurs violettes avaient été accrochées aux guirlandes enroulées entre chaque chaise. Des panneaux distinguaient les rangées : « RENARD », « LOUP », « VAUTOUR », « AIGLE ».

Quelque chose attira subitement l’attention d’Anne. Il y avait une tête plantée sur un rondin de bois. Du sang dégoulinant des orbites. Elle faisait face à son allée. Anne s’arrêta, contemplant la scène sans savoir comment réagir. Était-ce une blague de sa belle famille ? Personne ne semblait avoir remarqué la pièce surprise. Soudainement, deux mains se posèrent sur ses épaules.

« C’est faux, bien entendu, chuchota une voix masculine d’un air sarcastique, dans son oreille droite. »

Anne ne dit rien, se contentant de se placer au numéro dix-sept. Elle se rassurait naturellement ; peut-être que c’était l’une de ces blagues auxquelles Aurore participait énormément. Elle espérait que la cérémonie soit normale.

Un cortège se dessinait doucement. De la musique retentissait : terrifiante et puissante. Un frisson parcourut son échine tandis que son regard était transcendé par les mouvements aisés de danseurs, ces mêmes personnes qui menaient la troupe vers le jardin. Les danseurs les dépassèrent, disparurent à travers le champ de draps disposé en face de l’autel, emportant avec eux la musique. Des hommes et des femmes — vêtus d’une tunique vert foncé associé d’un pantalon noir, de bottines de même couleur et habillé d’une armure — trottaient sous les applaudissements du public. Anne, bien que confuse, rejoignit.

« Les voilà, commenta un homme derrière elle.

— Les futurs mariés, chuchota un autre. »

Les voilà, pensa-t-elle en même temps, impressionnée. Deux jeunes gens, vêtus d’or et d’argent, marchaient l’un à côté de l’autre, brisant toutes les traditions du mariage traditionnel, presque main dans la main. Avec stupéfaction, elle nota que seule la famille de sa partenaire entourer les futurs maris. Des hurlements retentirent brusquement : des intermittents déboulèrent, portant des oupilles et de grandes vasques pleines de charbon enflammé, et se mélangèrent dans la foule. Celle-ci se divisa subitement, s'éparpillant et laissant ainsi le spectacle prendre forme. Des animaux géants jaillirent de la forêt, se croisèrent sans jamais se toucher sous les yeux ébahis des invités. Les musiciens pénétrèrent dans la cour et s’installèrent rapidement. Des masques d’un orange-rouge cachaient leurs visages.

Anne tomba à genoux sur le sol. Quelqu’un l’avait poussé. Le décor changea : elle se retrouva dans une grande salle de bal où des couples dansaient au milieu de corps suspendus. Elle se figea en apercevant des orbites la fixant. Des chaînes accrochaient un cadavre dégoulinant d’une substance inconnue. Des gouttes coulaient le long de la peau nue et durcie. Tétanisée, la femme n’osa pas bouger. Un rire retentit. Froid et moqueur. Les murs s’approchèrent, faisant disparaître les figures, et puis son monde se transforma à nouveau. Des crânes par centaine formaient un mur morbide d’où du sang coulait. Happée par le sol, elle s’enfonçait lentement et désespérait. Se débattre semblait inutile. Des visages apparurent brusquement, tous riaient, se moquaient cruellement d’Anne. Et… Que s’est-il passé ? fut sa pensée quand quelqu’un posa une main sur son épaule gauche.

« Anne, ça va ? questionna sa petite-amie, les sourcils froncés.

— Je… Je ne sais pas, marmonna la susnommée, perdue. Que s’est-il véritablement passé ?

— Allez, viens, la cérémonie va commencer. »

Au son des cornes, cette dernière commença. Encore une fois, le flot de paroles échangé entre le « prêtre » et le jeune couple était incompréhensible. Ce n’était pas une langue qu’elle n’avait jamais étudiée de sa vie ni même, ne serait-ce, qu’entendu.

« Aurore ?

— Chut, siffla celle-ci. »

Pourquoi ai-je accepté de venir ? Anne laissa échapper un soupir discret en se concentrant sur la scène. Les deux hommes se passaient les alliances, scellant ainsi leur union. Puis, tout le monde se mit à les applaudir.

« Tiens, murmura Aurore, lui donnant une petite carte, pourquoi tu n’as pas suivi les instructions ?

— Je les ai suivis !

— Non, la preuve que tes clefs de voiture sont dans ta poche !

— Pourquoi devrais-je les donner à des inconnus ?

— Tu m’épuises. Suis-moi, je vais te conduire à la salle de spectacle. »

D’immenses murs sobres offraient une vue impériale sur la pièce. Des têtes perturbantes décoraient les tables blanches, des pierres précieuses et brillantes ornaient les crânes. Un tapis ovale délimitait la piste de danse. Des lanternes suspendues au plafond illuminaient la salle. Aurore dirigea sa partenaire jusqu’à une table ronde située près d’une scène. Les invités se dispersaient, lisaient leurs cartons et observaient les lieux avec assiduité pour prendre place rapidement. Aurore somma Anne de prendre la carte qu’elle lui avait donnée. Dessus, en cursive, était inscrit quelque chose :

ANNE DEFORCE

NUMÉRO 17, TABLE 5

« Il serait mieux que tu fasses tout ce que je te dis, Anne, chuchota Aurore en s’installant sur la chaise avec un plaid rouge posé sur le dossier.

— Qu’est-ce que tu racontes ? siffla celle-ci, déjà que l’ambiance est bizarre et les décors bien trop réalistes, je me demande dans quel bourbier tu m’as amené !

— Baisse d’un ton, tu veux ? Je t’ai déjà parlé de ma famille, tu devrais le savoir.

— De quoi ?

— Je t’ai déjà dit ce que nous sommes et ce que nous faisons, alors arrête ton cirque.

— Mais je pensais que c’était des conneries, ça ! protesta Anne, complètement pâle.

— Parfois, je me demande si j’aurais dû t’amener au Château Borgunia comme Aurélien le souhaitait. Au moins, ça fera moins mal. »

Les serviteurs entrèrent. Ainsi commença le dîner du mariage. Des assiettes énormes de viande servie avec une poêlée de légumes plaisaient énormément à Anne. Aurore mangeait sans vraiment s’arrêter, avec une élégance à faire pâlir les plus sophistiquées. Au bout du deuxième morceau, Anne s’arrêta.

« Qu’est-ce qui en est vraiment, Ro ? souffla-t-elle, son regard rivé sur la scène où des intermittents se produisaient.

— N’as-tu toujours pas la réponse ?

— Dis-moi, s’il te plaît… Je—

— Arrête de couiner, ça ne te sied pas, coupa froidement Aurore, qu’est-ce qui te bloque, hein Annette ? »

La susnommée grimaça. Aurore se leva brusquement de sa chaise et se jeta sur sa compagne. La chaise heurta le sol, toutes les têtes se tournèrent vers elles. Anne cria en tombant sur le sol, le cou emprisonné par le bras droit de sa fiancée.

« Tu es dans le déni, Annette. Où étais-je quand tu as achevé ta mère ? J’étais là, moi. Sans moi, tu serais là-bas, en prison, à croupir. Regarde toi, tu divagues. Tu hallucines ! Tu prétends être ce que personne, ici, est. Il est temps de te réveiller, ma chère, ou le salut ne viendra pas. Abandonne tes désillusions et laisse toi vivre. »

Le souvenir des derniers moments de sa mère avait été à jamais gravé dans sa mémoire. Une femme misérable qui traînait sa carcasse à travers la maison, buvait jusqu’à ne plus souvenir de ses nuits, fumait et s’empoisonnait. Des hommes qui défilaient chaque jour dans la chambre de sa mère, cette femme qui les dominait violemment. Une droguée qui n’avait que faire d’un enfant. D’une petite fille. Anne se souvenait d’être rentrée de son boulot, épuisée, de l’avoir trouvé sur le sol de la cuisine, en sang. Sa mère avait appelé à l’aide, tendu les bras comme si elle voulait la prendre dans ses bras — mais Anne n’était plus une enfant, elle n’avait plus besoin d’une mère —, cependant, Anne avait saisi un couteau. Dans l’un des rares moments de lucidité, la brune avait plaidé pour sa vie. Toutefois, sans merci, la lame avait arrêté un cœur. Une vie pour une vie, n’est-ce pas poétique ? Aurore avait aidé à cacher le corps, avait appelé des vassaux de son clan pour s’en débarrasser complètement.

« Tu es un p’tit monstre parmi les plus gros, susurra la princesse, ricanant légèrement, et si tu n’es pas capable d’être ce que tu es, ton corps ne sera qu’une bouillie pour les malheureux qui s’aventuront jusqu’ici.

— Je ne suis pas…

— Mauvaise réponse !

— Aurore, tiens-toi tranquille. Vassaux, prenez-là au sous-sol. Un petit séjour dans les donjons la fera changer d’avis. »

Piotr esquissa un sourire en dirigeant sa fille vers sa chaise. Anne écarquilla les yeux de surprise, ne s’étant pas rendue compte que le clan formait un cercle autour d’elles. Dans la main de l’homme aux cheveux blonds se tenait une lettre bien familière. Les mots dansaient dans son esprit, l’avertissement clair et lourd.

Rejoins-nous

ou

crève.

Un monstre associé à nous ne reste jamais longtemps en vie.

« Tu n’as pas réussi le plus simple des tests. Et si, nous jouions ? »

Piotr assomma d’un coup sec la jeune femme. Deux vassaux vinrent la saisir pour l’emmener vers sa nouvelle demeure le temps de sa guérison.

« Tu n’es pas mieux que Aurélien, Aurore chérie, choisis mieux tes amours. »

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