16 février 2024
A ce moment-là, celà faisait 6 mois que nous avions commencé une relation "intime". Cette relation me bouleversait déjà et j'ai ressenti le besoin qu'il me connaisse mieux, alors j'ai écrit cette lettre, que j'ai envoyé à son adresse d'Angers.
Je n'aurais jamais de réponse, et il me dira plus tard "j'ai pensé à te répondre, j'ai commencé à le faire et je n'ai jamais fini".
Clément,
Cette première lettre de ma part n’a pas pour objet de partager ce que je ne saurais te dire. Je t’écris simplement pour le plaisir. Tu es loin et t’écrire te rend un peu plus proche. J’imagine dans tes mains, dans quelques jours, ces feuilles que je tiens et sur lesquelles j’écris allongée sur mon lit.
Tu sais que depuis le début de notre relation, je suis régulièrement chamboulée. Tu es différent de tous les hommes que j’ai connu et tu me pousses, en partie à ton insu, à me remettre en question. Je dis « en partie à ton insu » car il y a certains doutes, certaines questions, certaines peurs que j’ai eu l’occasion de partager, et d’autres questionnements dont tu n’as pas idée.
Je t’ai reproché un jour, très maladroitement, de ne jamais me poser de questions. S’il y avait effectivement un lien avec ma liberté d’oser t’en poser, il y avait aussi une vraie question sur ton intérêt et ta curiosité envers moi. Tu m’as rassurée sur ce point mais je n’ai pas pour autant partagé tout ce que je voudrais. Je ressens parfois une frustration de n’avoir pas eu l’occasion d’évoquer certains évènements de ma vie, certaines périodes qui m’ont construites, certains doutes, certaines blessures. Mais je m’interroge en même temps sur cette envie de dire. Pourquoi ai-je envie que tu en saches plus sur moi ? Pourquoi ai-je besoin que tu me connaisses plus intimement ? Ai-je besoin de me sentir complètement comprise et ai-je l’impression que tu es cette personne qui le pourrait ? Est-ce sain, ou vain ? N’est-ce pas un désir d’absolu utopique que de croire que l’on peut être complétement compris ?
Un jour, je t’ai fait une liste à la Prévert de mes besoins… Nous en avons discuté et j’ai perçu ces derniers jours que tu t’es ajusté, que tu as pris en compte ce que je t’avais dit. Et je te remercie pour ça. Ça me fait un bien fou quand c’est toi qui vient m’enlacer ou m’embrasser. Ça me fait un bien fou quand c’est toi qui vient te coller contre moi dans le lit et que je sens immédiatement à tes gestes et tes baisers que le désir est réciproque.
Tu ne sais pas à quel point j’ai pu me poser des questions, dernièrement, sur ma sexualité. Tu es la première personne avec qui je n’entre pas en relation intime par le sexe, pour le sexe. Et cela m’a fait réfléchir à la place que la sexualité a et a eu dans ma vie et dans mes relations. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ça a été les montages russes.
Si ma vie sexuelle a plutôt mal commencé. Je t’ai déjà dit que « moi aussi ». J’ai eu la chance de vite oublier et de m’épanouir. Et puis, plus tard, j’ai subi et ai dû à nouveau oublier une décennie de devoir conjugal imposé. Et j’ai réussi, j’ai regagné la confiance en moi que j’avais perdu, l’amour de mon corps que j’avais perdu, je me suis à nouveau épanouie. Mais je me rend compte aujourd’hui que pour ce faire, je me suis conformée à ce que j’ai cru devoir être pour plaire à la gent masculine, pour être aimée. Je me suis oubliée, j’ai joué un rôle, celui de la salope qui n’attend rien d’autre. J’ai placé le sexe comme fondement de mes relations alors que je cherchais l’amour. Cela ne m’a pas empêchée d’avoir une longue relation amoureuse, avec Xavier, mais quand ma libido s’est tarie, il a remis en question notre relation et mes sentiments à cause de cela, et j’en ai vraiment souffert. C’est venu confirmé la vieille croyance que je méritais d’être aimée uniquement si je tenais bien mon rôle de partenaire sexuelle.
Et puis, il y a eu toi. Des moments professionnels agréables et une relation naissante. Même si la première fois que j’ai rêvé de toi, c’était un rêve érotique, ce qui m’a attiré vers toi, c’est autre chose : c’est toi, pour ce que tu es, pour ce que j’ai perçu de ta sensibilité, de ta bienveillance, de ton intelligence. J’avais envie de passer du temps avec toi et je suis venue dormir chez toi dès que j’en ai eu l’occasion. Cela n’a jamais été innocent mais je ne me suis pas glissée dans ton lit. Je n’ai pas voulu que le sexe soit « l’effet de seuil » de l’évolution de notre relation. Parce que j’étais heureuse que tu t’intéresses à moi pour ce que je suis et les moments qu’on partage et que j’avais peur de briser cela.
Mon rapport à la sexualité est en construction, aujourd’hui, avec toi qui me donne un espace pour être moi-même, sans attentes, ai-je l’impression. Notre relation me permet de ne plus jouer un rôle, de ne plus plus me servir du sexe pour être aimée, de ne pas en faire un ciment de la relation. Je veux faire l’amour avec toi dans un élan de désir de mon ventre et de mon cœur. C’est Anaïs Nin qui écrit « Seul le battement à l'unisson du sexe et du cœur peut créer l'extase » et cela rejoint parfaitement ce que je ressens quand j’ai envie de faire l’amour avec toi. Allongée contre toi, c’est autant mon cœur que mon sexe qui te désirent. Être cœur contre cœur, bouche contre bouche, sexe contre sexe, jambes enlacées, main dans la main, les yeux dans les yeux. Tes mains qui pétrissent ma peau me font lâcher prise. Ton sexe qui durcit contre ma cuisse donne envie au mien de le circlure. Tes doigts qui fouillent mon intimité me font gémir de plaisir, et quand je sens qu’ils sont enduits de mon désir pour toi, j’ai la pensée fugace que ce n’est pas juste un fluide.
Et je suis là, à repenser à ces instants, et ça me donne terriblement envie de toi. Et je souris parce que la continuité de la lettre ne laissera pas percevoir que j’ai du faire une pause. Et toi, tu es là, dans ton autre espace-temps, et j’ai la secrète envie de te troubler un peu.
J’ai eu peur, au début de notre relation, de passer à tes yeux pour une "salope", je te l’ai dit. Je ne savais pas vraiment pourquoi cette peur, je crois que j’étais perdu avec mes histoires de rôle et de conformisme au désir de l’autre : paradoxalement heureuse de ne pas t’intéresser seulement pour le sexe et déstabilisée de ne pas pouvoir être juste la salope que tout homme veut dans son lit. Un rôle, c’est facile à jouer, surtout quand ce n’est pas tout à fait un rôle de composition. Mais n’avoir aucun rôle à endosser pour te faire plaisir, si ce n’est celui d’être moi, authentique, n’a pas été facile.
Moi, authentique : je suis accro au plaisir de jouir, comme certains sont accros au sport. J’ai besoin de jouir régulièrement pour me sentir bien mais je sais parfaitement combler seule ce besoin. Je connais mon corps et joue avec depuis très jeune et je suis aussi très cérébrale. Seule, je joue avec des idées, des fantasmes, des souvenirs de moments qui peuvent paraitre anodins mais qui m’ont rendue folle. A deux, j’ai plaisir à partager mon énergie vitale. Et j’aime jouer, non pas un rôle, mais juste jouer (parce que tout cela n’est pas sérieux !) avec nos corps, nos sensations, nos émotions, nos sensibilités, nos fantasmes, nos limites.
Si je devais te donner la liste de mes « 3 kiffs » sexuels avec toi, ce serait :
· Quand tu me souris en faisant l’amour. La première fois, j’ai cru que tu rigolais, que tu te moquais de moi, parce que c’était la première fois qu’on me souriait en faisant l’amour alors ça m’a déstabilisée. Mais maintenant je comprends, et j’ai plaisir à te sourire aussi.
· Quand tu poses ma tête sur ton ventre et que tu… (comment dire moins crument « baise ma bouche » ?) parce que j’adore ce mélange de tendresse et de pure envie de jouir.
· Quand tu frottes ton sexe contre moi, tes doigts caressant mon sexe de l’intérieur et les miens stimulant mon clitoris, parce que physiquement et fantasmatiquement, tout est réuni pour me faire jouir.
· Oui, ça fait quatre : Quand on jouit en même temps. C’est rare et ce n’est pas grave que ça le soit, mais quand ça arrive, j’adore. J’ai le souvenir ému d’une fois, un après-midi, où nous avions commencé à nous caresser dans le salon et où tu m’as pénétrée sur ton lit, allongé sur moi, mes jambes enlacées autour de tes fesses, mes bras autour de ton cou.
J’aimerais beaucoup te donner plus de plaisir, te faire jouir comme tu aimes, te faire craquer à coup sûr pendant que moi aussi je cède. J’aimerais que tu me dises ce que tu aimes, ce dont tu as envie. J’aimerais que tu me dises si tu as des fantasmes, des envies inassouvies que tu voudrais partager avec moi.
J’ai bien trop parlé de sexe pour quelqu’un qui ne veut pas en faire un fondement de la relation. Mais ne t’y trompe pas, c’est seulement parce que l’on a pu parler longuement de tout le reste.
Je terminerai en te disant qu’il faut que tu saches que la plupart de mes peurs, dans notre relation, ne sont pas celles qui m’ont étouffée par le passé (peur de l’abandon, peur du rejet…). Ma peur, dans notre relation, est de ne pas être celle qu’il te faut, de ne pas (j’ai failli écrire « te rendre heureux » mais ce serait une connerie) te rendre la vie plus tendre.
M.
Relire cette lettre me rend triste, parce qu'à l'époque j'étais pleine de cet espoir d'être vue, comprise et aimée dans ma complexité.
C'est fou parce que j'ai écrit comme si tout allait bien, comme si j'étais heureuse de "ne plus jouer un rôle", comme si je me sentais "libre d'être moi-même", alors qu'au fond, je me sentais non désirée.
Notre sexualité, c’était toujours moi qui la faisais exister. Je venais vers lui avec envie, besoin d’être désirée, de sentir que je comptais. Il ne refusait jamais, mais ne venait jamais non plus. Il m’attendait peut-être, mais peut-être pas. Et moi, j'avais peur de le déranger, peur de passer pour une nymphomane. Mais je faisais le premier pas, encore et encore. Et sur le moment, c’était beau, doux, joyeux. Mais après, il partait se doucher sans un mot et je sentais un grand vide s’installer, une impression horrible d’avoir quémandé quelque chose qui aurait pu, de temps en temps, venir de lui.
Je finissais par me demander s’il avait vraiment envie de moi, ou juste besoin de cette proximité sans conséquence.
Chez moi, le contact, la tendresse et le sexe me rassuraient. Chez lui, tout cela semblait le menacer. Et à force d’être celle qui demande, celle qui ose, j’ai fini par me perdre un peu, à douter de ma féminité, à confondre désir et consolation.
Un soir, je lui ai proposé que l'on arrête de mettre des préservatifs. Il a fait semblant de ne pas entendre et le lendemain, s'est montré très mal à l'aise avec le sujet, bouleversé que je pose la question. Il s'est muré dans le silence, a eu besoin d'en parler à son psy.
Deux semaines plus tard, il demandera qu'on reste amis. Il évoquera d'abord le fait de ne pas être amoureux, puis plus tard la peur de ne pas être à la hauteur avec moi, la peur que je le rejette. Il parlera aussi d'une perte de sa liberté d'expression avec l'attachement grandissant.
Et moi, je comprenais sans comprendre.
C'était il y a bientôt deux ans.
A l'époque j'étais loin d'imaginer, qu'un jour, on ne se parlerait plus.
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