"Ne pas laisser tomber"

Parce qu’on tient l’un à l’autre et que chacun de nous « en vaut la peine » aux yeux de l’autre.

Mais de quelle "peine" parle-t-on exactement ?

Ma peine à moi...

C’est de nourrir une relation qui n’évoluera jamais comme je souhaiterai qu’elle évolue dans les années à venir.

C’est de te voir joyeux dans la relation et de partager cette joie mais de parfois rentrer chez moi le cœur brisé.

C’est d’essayer de sortir du dictat de l’amour romantique pour reconsidérer l’amour amical à sa juste valeur mais avoir du mal.

C’est d’essayer de comprendre certaines difficultés de nos interactions et ne pas le partager (parce que la société dit que c’est un « truc de couple »).

C’est de me remettre en question, de comprendre mes failles et de tenter de comprendre les tiennes et de parfois me sentir seule avec ce que je comprends.

C’est d’utiliser une partie de mon temps libre à ça au lieu de prendre soin de moi et des autres relations.

C’est d’avoir des lunettes déformant les hommes qui ne sont jamais assez bien pour moi.

C’est risquer de « mettre tous mes œufs dans le même panier », d’en être la seule responsable et de sentir tes reproches parce que ce n’est pas ce que tu veux et que tu me l’as dit depuis le début.

Et toi, ta peine, quelle est-elle ?

Supporter mes orages : Je parle plus facilement sous le coup de mes émotions, tristesse ou colère. Toi tu ne veux ni faire souffrir, ni subir la colère qui te fait peur et pourtant moi je te fais supporter ça.

Supporter mon intensité : Je suis amoureuse, passionnément. Toi tu ne veux ni de ce sentiment ni de son intensité et pourtant, moi je te fais supporter ça.

Supporter mes insécurités : J’ai peur de te perdre, peur que tu ne tiennes pas vraiment à moi, peur que tu me laisses tomber. J’ai besoin d’être rassurée et je vais chercher cette réassurance d’une mauvaise façon, sans poser les questions explicitement. Toi tu veux être en relation avec des personnes indépendantes, tu ne veux pas te sentir indispensable, tu ne sais pas ou ne veux pas devoir rassurer et pourtant moi je te fais supporter ça.

Supporter mon éternelle insatisfaction : Je me focalise souvent sur ce que je n’ai pas au lieu de me focaliser sur ce que j’ai et j’oublie parfois ce que la personne a fait pour moi. Toi tu as peur de ressentir l’impression de ne jamais en faire assez, et pourtant moi je te fais supporter ça.

Supporter mon manque d’authenticité : Je me conforme à une image et je n’arrive pas à sortir de ça, je ne suis pas complètement moi-même. Toi tu n’as cessé de me demander d’être moi-même, de me dire que tu ne veux pas d’une moi tronquée, et pourtant moi je te fais supporter ça.

Supporter ma dépression : Je vais mal en ce moment, depuis des mois. La déprime devient dépression, je vois tout en noir et j’ai du mal à vivre de vrais moments de joie. Toi tu veux profiter des moments de joie qu’offre la vie, tu ne veux pas le pessimisme et la tristesse, et pourtant moi je te fais supporter ça.

Alors, pourquoi, toi, tu ne mets pas fin à notre relation ? Je ne suis pas bien pour toi, je suis tout ce dont tu ne veux pas. Pourquoi ça devrait être mon choix de prendre mes distances avec toi si je souffre trop ?

Qu’est-ce qui, toi, te fait rester en relation avec moi ?

Je porte la responsabilité d’avoir voulu être amants, je porte la responsabilité de devoir respecter de mystérieuses limites, je porte la responsabilité d’avoir mis en danger notre amitié parce que le sexe a changé les choses entre nous, et je porte maintenant la responsabilité de devoir mettre fin à notre relation si je n’y trouve plus mon compte.

J’ai eu envie d’écrire « Quand est-ce que toi, tu prends tes responsabilités ? », mais je ne suis même pas sûre que ce soit ça le sujet, que ce soit ça mon attente. J’aurais peut-être terminé la lettre ainsi, mais ça aurait été violent et ce n’est pas ce que je souhaite pour toi. Je ne sais juste pas comment exprimer autrement mes questionnements.

Je suis perdue et paradoxalement, je sais où j’en suis. J’ai toujours été consciente que mes défauts sont exactement ce dont tu ne veux pas. C’est réciproque, pourtant nous sommes toujours en relation et il y a une explication : chacun y trouve son compte. Je suis tombée dans un schéma où je me sens la seule à porter la responsabilité de notre relation alors qu’en réalité, on est deux. Oui, je suis imparfaite, oui je dis ou fais ou suis exactement ce dont tu ne veux pas. Mais tu es toujours là. Alors tu as toi aussi la responsabilité de notre relation, la possibilité de partir ou de rester, la responsabilité d’accepter ou pas ce que je suis. Tu m’as dit que tu ne veux pas laisser tomber, que j’en vaux le coup. Alors prends la responsabilité d’accepter qui je suis, comme j’accepte la responsabilité d’accepter qui tu es.

Aujourd’hui j’ai l’impression qu’au lieu de progresser sur mes failles, je suis en train de les creuser, de les renforcer. Comme si finalement je me trompais en disant que je ne suis pas moi-même avec toi parce que je suis en réalité une caricature de moi-même avec mes failles en traits gras.

Et ce n’est pas toi qui renforce ces failles, c’est moi qui les creuse.

Pour que tu les vois.

Pour que tu me laisses tomber et me confirmes que je ne mérite pas d’être aimée comme je suis.

Je tend vers la pire version de moi-même pour que tu t’en ailles.

Parce que j’ai peur que tu t’en ailles.

Parce que je crois que je mérites que tu t’en ailles.

Quand j’ai dit l’autre matin que j’avais peur de gâcher notre relation, c’est de ça dont je parlais.

C’est un peu flou pour moi mais il y a une question de « pousser à bout », de « bousculer », de « tester la solidité du lien », de me rassurer en étant « la pire » pour voir si tu restes quand même, si tu m’acceptes quand-même comme je suis. Et ma capacité à tout saboter me fait peur.

Whaou. Je m'étonne de la lucidité que j'avais à l'époque. Comment ai-je pu oublier ? Comment ai-je pu continuer à saboter la relation alors que j'en étais consciente ! C'est fou de voir à quel point on a beau être conscient, on continue à fonctionner en pilote automatique !