25 février 2025
J'avais passé un mois très difficile du point de vue familial. Les choses étaient rentrées plus ou moins dans l'ordre et je commençais une nouvelle activité, réservée lors d'une nuit d'insomnie, pendant nos vacances ensemble.
Clément,
Je te dois des explications.
T’écrire cette lettre m’a demandé un bonne part d’introspection. C’est peut-être pour cela que je n’arrivais pas à te parler : les choses n’étaient pas claires pour moi et je ne voulais pas dire des choses imprécises ou injustes que j’aurais regretté ensuite. Non pas que ce qui suit est parfaitement clair, précis, sûr et immuable. Mais au moins, c’est réfléchi ! Et puis j’étais sous l’influence hormonale mensuelle qui me mets dans un état de « drama-queen » pas possible, alors qu’aujourd’hui je suis plus sereine.
Si je t’écris malgré la difficulté d’en parler, c’est parce que je tiens à toi et que j’ai confiance. Je crois que je n’ai jamais été dans un tel niveau de confiance avec qui que ce soit, et cela rend d’autant plus étrange pour moi les blocages qui subsistent. Je sais que tu es capable de me comprendre, de ne pas juger, de ne pas me rejeter pour ce que tu sauras de moi, alors ces blocages m’énervent. Mais je me demande aussi si c’est un sujet que j’ai raison de partager. J’aimerais que tu me dises, sincèrement, si tu apprécies ce partage, si cela t’apporte un éclairage ou si tu aurais préféré ne pas savoir et ne souhaite pas en parler.
C’est un peu difficile de savoir par où commencer. Comme ma réflexion a remonté le temps, c’est en remontant le temps aussi que je vais te partager ce que je ressens.
Ce que je ne t’ai pas dit
Depuis quelques mois, je te mens sur la véritable nature de mon activité « danse » et c’est la source de mon malaise récent. Au début, j’avais envie de garder pour moi la nature de cette activité, d’en faire mon jardin secret, pour être sûre de ne le faire pour personne d’autre que pour moi. Et puis quand j’ai eu envie d’en parler, je l’ai fait assez facilement, mais avec toi j’ai eu un blocage. Ne pas réussir à te révéler une expérience dont je suis fière, me pose question. Tu es la personne dont je me sens le plus proche, avec qui je partage mes joies et mes peines, alors pourquoi avoir autant de difficultés à en parler ?
Alors voilà. Sur scène, le 6 avril prochain, devant 200 personnes, je vais expérimenter l’effeuillage burlesque. Voilà. Je vais me mettre à nue, au sens propre comme au sens figuré, en racontant mon histoire et en faisant vivre cet art, que je considère comme profondément féministe et qui célèbre tous les corps.
Une moi tronquée
Ce n’est pas la première fois que j’ai un blocage à assumer avec toi qui je suis vraiment ce qui me plait, m’attire, m’amuse. Et ces blocages ont tous un point commun : ils touchent à mon identité de femme, et de près ou de loin, à la sexualité. Ce n’est toujours pas clair pour moi, je mets beaucoup de choses dans la même sphère sans trop savoir ce qui est lié et ne l’est pas ou ne devrait pas l’être.
Dans une relation platonique, le sexe ne devrait pas être un sujet. Pourtant, il me préoccupe encore. Mais cette impossibilité de te raconter que je fais de l’effeuillage m’a fait réaliser que le blocage était plus profond et plus subtil qu’une histoire de sexe. Peut-être que tu te diras que ce n’est qu’un détail, sans impact sur notre relation. Et moi, je n’arrivais pas à en parler parce que je me disais, comme je te l’ai écrit, « mes propos n’ont plus leur place dans notre relation ». Mais pardon ! Je tronque une partie de mon identité, à savoir ma féminité qui définit, de par l’éducation que l’on a toustes, une grand partie de ce que je suis, et j’arrive à me dire que ce n’est pas un sujet de discussion qui a sa place dans notre relation !?! Double censure…
Notre relation est-elle dégenrée ?
Je me suis demandé si tronquer ma part féminine avec toi était une façon de respecter ta volonté de relation platonique, d’éviter toute ambiguïté. On dort ensemble, on se fait des câlins et j’adore ça. Faut-il pour continuer à profiter de ces moments-là avec toi, que je ne sois pas une femme, que je sois « dégenrée » pour être « désexualisée » ? Le fait que tu rencontres des difficultés à dire à Julie quand tu es avec moi montre que je ne suis pourtant pas « dégenrée » à tes yeux, sinon tu n’aurais pas cette gêne. Cette injonction à gommer ma féminité est-elle une croyance, une protection ? Est-ce toi que je protège de cette énergie-là ou moi qui cherche à rentrer dans la bonne case ? Je ne sais pas…
J’ai relu nos messages pour comprendre
Ces questions m’ont amené à relire nos anciens messages avec l’intuition que je me censure depuis longtemps dans la sphère féminine, sensuelle et érotique. Ce qui m’a le plus attristé dans cette lecture, c’est combien tu avais ouvert la porte aux jeux sensuels et érotiques « ça fait du bien de se sentir vivant » en réponse à un premier et unique sexto, « je suis un garçon curieux » lors d’échanges sur le piment, « il y a tant à explorer dans la sensualité » lorsque l’on se confiait un peu, « je te touche, tu me touches » et autres jeux de langue… et combien, pourtant, je me suis complétement censurée dans la sphère sensuelle et érotique avec toi !
De ma part, jamais de propos coquins, jamais de lingerie sexy, jamais de jeux sensuels, jamais de moments érotiques, jamais de provocation. Pourtant, je suis joueuse et j’aime créer des ambiances sensuelles ou érotiques. Mais je n’ai jamais osé avec toi ce dont j’avais envie. Nos SMS m’ont même rappelé que je n’avais pas su, un soir, te dire « Eh, j’ai envie de jouir moi aussi. » et que je me désolais déjà à l’époque, de ne pas me reconnaitre dans la femme qui va pleurer de frustration dans le salon au lieu de dire ce qu’elle veut. Et combien de fois, ensuite, je n’ai pas su dire, demander, proposer, essayer. Pourquoi, alors que nous sommes curieux et ouverts, ne me suis-je jamais autorisée à être pleinement moi-même dans la sensualité avec toi ? C’est drôle, parce qu’en y repensant, j’ai l’impression que je ne t’ai jamais attiré. Je me trompe ? En tout cas, c’est un sentiment qui m’a souvent traversée et je crois que ça a influencé ma façon d’être avec toi. Ça m’a bridée et il y a eu, je pense, un cercle vicieux où moins je te sentais intéressé, moins j’osais me libérer et moins tu avais l’occasion de te sentir attiré.
Quand tu as souhaité que l’on soit amis, j’ai d’abord pensé que les disputes des jours passés avaient eu raison de ta patience et de tes limites. J’ai compris que tu avais voulu protéger la relation. J’ai compris aussi que ta relation avec Julie interférait avec la nôtre et que c’était trop compliqué pour toi. Mais j’ai assez vite réalisé, aussi, que j’avais tronqué une partie de moi et que cela avait en grande partie influé sur la relation. Comment aurais-tu pu tomber à amoureux d’une femme qui tronque sa part de lumière et ne montre que sa part d’ombre, d’une femme qui montre sa vulnérabilité mais n’ose pas montrer aussi sa force ? J’ai toujours un sentiment d’amertume en repensant à tout ça, et ça vient peut-être teinter ce que je ressens aujourd’hui.
Retour vers le futur
Au fond, ce qui compte aujourd’hui, c’est ce que l’on fait de la relation, comment je peux réussir à me sentir libre d’être moi-même.
Il y a une chose dont j’ai un peu honte et qui peut-être explique l’inhibition préventive comme mesure de protection. Je suis désolée, ça va te sembler décousu, je n’arrive pas à faire un lien logique avec le reste. Quand je me sens aimée de toi, qu’on a une discussion profonde sur notre relation ou juste qu’on se partage des émotions intimes, je ressens du désir pour toi, encore aujourd’hui. C’est fugace et je le refoule. C’est un mélange d’envie de tendresse, de vulnérabilité, de reconnaissance profonde transformée en désir. Je ne peux pas contrôler ce que je ressens et c’est indépendant de l’étiquette sur notre relation. Une connexion entre mon cerveau et mon bas-ventre se fait inconsciemment. Je te désire. Ce n’est pas une attirance physique, ce n’est pas juste sexuel, c’est une sorte d’attirance intellectuelle et émotionnelle qui se transforme en désir physique. Et pour tout t’avouer, j’ai rarement ressenti ça, et plus rarement avec un homme qu’avec Aude, mon amante de la relation triangulaire avec Sébastien. Je pense que tu n’as pas ressenti ça pour moi et je ne suis pas sûre que ce soit déjà cet élan qui me poussait à avoir envie de toi quand on étaient amants. D’ailleurs, en me relisant, je réalise que je n’utilise pas les mêmes mots : envie et désir, ce n’est pas tout à fait la même chose. En tout cas, je n’arrive pas à le contrôler (enfin si puisque je ne te saute pas dessus) et je pourrais baiser ailleurs que ça ne changerait rien.
Si je te dis tout ça, alors que tu n’y peux rien, c’est parce que c’est une part de ce que me met mal à l’aise : ça me fait peur de me dire que la seule façon d’éviter cet élan est d’éviter une connexion émotionnelle avec toi, donc d’avoir une relation superficielle dont je n’ai pas envie.
Voilà, je brise un non-dit et ça me parait maintenant moins grave. Peut-être que c’est ça, finalement, la solution pour être moi-même : dire même si ça dérange, dire même si on ne ressent pas la même chose.
Dire l’effeuillage, c’est fait. Rien d’extraordinaire. Maintenant, je ne sais pas si je te propose de venir ou pas. J’ai envie que tu viennes et j’ai aussi la trouille que tu viennes. C’est paradoxal mais c’est comme ça, on n’est plus à ça près.
Au-delà de réussir à parler de ces quelques minutes de scène, la réflexion qu’elles ont provoqué me questionne sur mon rapport à toi et sur notre relation. Pourquoi est-ce que je ne me sens pas libre d’être moi-même ? Peut-être est-ce simplement le signe d’une amitié sans ambiguïté. Mais si je me sens mal à l’aise d’être comme tronquée, c’est qu’il y a un tabou, une gêne, non ?
Bref, voilà où j’en suis dans mes réflexions. Je voulais te partager cela, pas pour chercher une réponse particulière, juste pour être sincère avec toi et ne pas te laisser avec le sentiment amer que je balance des bribes d’informations au mépris de ce que cela peut te faire ressentir. Je suis curieuse de savoir ce que tu en penses, si cela t’étonne ou si, au contraire, cela fait écho à quelque chose en toi.
Il m'a répondu. Je crois que c'est la première lettre qui a reçue une réponse écrite de sa part.
Elle était belle, sa réponse. Il écrivait bien et sa lettre m'a touchée.
Je ne souhaite ni relire ni partager sa réponse. Elle lui appartient.
Il est venu me voir à mon spectacle. Il est parti précipitemment à la fin et m'a envoyé un message pour me dire qu'il avait été ému. Moi, j'étais en colère contre la présentatrice qui avait introduit mon numéro en parlant de dépendance affective, alors que je voulais surtout parlé d'amour de soi. Mais au fond, qu'importe ! Avec un numéro passant de la tristesse (Tristesse de Zaho de Sagazan) au feu (Girl on Fire d'Alicia Keys) et un effeuillage en toute sincérité, j'ai ému une partie du public, et j'ai été fière de moi. En sortant de scéne, je croyais que plus jamais je ne ressentirai la tristesse du manque d'amour, que toujours j'aurais cette flamme qui brule en moi. Je m'étais trompée.
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