1er mai 2025

10 minutes de lecture

Suite à notre dispute, il m'a écrit.

Cette lettre lui appartient.

Je lui réponds.

Clément,

Merci pour ton courrier. Je l’ai lu avec attention. Je choisis de ne pas l’interpréter comme une lettre de rupture amicale, mais j’ai peut-être tort, j’ai souvent échoué à lire entre les lignes. Personnellement, je garde encore l’espoir que nous arrivions à nous ajuster. Mais peut-être qu’il y a trop de souffrance et de complications dans notre relation pour que tu souhaites continuer, et dans ce cas j’ai besoin que tu le dises clairement.

Je te remercie d’exprimer ce que tu ressens, de m’ouvrir les yeux, même si je peux imaginer que ça t’agace de devoir « stabilobosser » certaines choses, en répéter d’autres. Ce n’est pas, je crois, que je suis bête, ou que je n’écoute pas, c’est juste que nos prismes sont tellement différents que ce n’est pas facile pour moi de te comprendre.

Ta lettre m’évoque plus de sujets que tu n’en évoques toi-même. Je vais essayer de tous les détailler et de te dire ce que je comprends et ressens.

La dette

Tu as trouvé les mots justes pour venir me questionner. Est-ce qu’à mes yeux tu as une dette envers moi, impossible à rembourser et qui s’alourdit de jour en jour ?

En y réfléchissant, je réalise que je t’ai effectivement, inconsciemment, attribué une dette. Elle serait faite de plusieurs strates : tu es un homme (tu dois payer pour tes privilèges), je suis une femme (tu dois payer pour mes souffrances), j’ai été blessée par le passé (tu dois réparer ce que d’autres ont brisé), j’ai quitté Xavier pour toi (tu dois payer pour mes erreurs), tu n’es pas tombé amoureux de moi (tu dois payer pour les efforts que ça me demande de l’accepter). À cela s’ajoutent des déceptions silencieuses, des frustrations jamais exprimées, des efforts faits pour respecter tes limites, sans reconnaissance perçue. Tout cela s’est accumulé. Et cette dette symbolique est devenue énorme et le reste de ta vie en esclavage à mon profit ne te suffirait pas pour la rembourser.

Pourtant, je ne crois pas à cette dette. Tu ne m’es redevable de rien. C’est ma construction émotionnelle et toi, parce que ça resonne, tu crois que tu dois la porter et t’y refuse. Ton questionnement m’a éclairé sur la source possible de mon manque d’indulgence envers toi. Merci pour ça. Je suis désolée que tu ressentes ce poids, désolée qu’il résonne avec ton propre biais, et reconnaissante que tu m’aies permis d’en prendre conscience. Je vais en parler en thérapie, pour comprendre comment effacer cette dette. Non pas pour nier le passé, mais pour éviter qu’il dicte encore les règles de notre relation. Je ne sais pas encore si je peux vraiment remettre les compteurs à zéro. Mais je veux essayer.

Toi, ici et maintenant, comme ami.

Tu me demandes, combien tu vaux toi, ici et maintenant, comme ami.

Il y a deux questions : Toi, tel que tu es. Et toi comme ami.

Pour la première, tu soulèves une question que je me pose régulièrement : est-ce qu’aimer c’est accepter l’autre comme il est, ou est-ce que c’est voir son potentiel ou vouloir le faire grandir ? Bell Hooks donne une réponse qui me parle :

« La plupart du temps, on pense que l’amour signifie simplement le fait d’accepter l’autre personne telle qu’elle est. Qui d’entre nous n’a pas appris à la dure qu’il est impossible de changer une personne, de la modeler. Pourtant, lorsqu’on s’engage dans l’amour véritable, on s’engage à être changé-e, à subir l’influence de l’être aimé de manière à pouvoir se réaliser plus pleinement. Cet engagement à changer est un choix. Ce choix se fait par accord mutuel.»

J’ai cru que tu avais fait ce choix avec moi. Peut-être que j’ai projeté mes envies. Je suis désolée si cela t’a donné le sentiment de ne pas être aimé pour ce que tu es.

Toi, comme ami. Je me souviens avoir été émue quand tu as évoqué Philia plutôt qu’Eros, un soir au bar. Parce que je sais à quel point cette forme d’amour est précieuse. Parce que ton amitié compte. Je culpabilise de ne pas réussir, parfois, à m’en contenter, de ressentir de la tristesse ou du manque. Mais ces émotions n’effacent en rien la valeur que tu as à mes yeux.

Plus largement, ta question touche à quelque chose de plus profond : cette tendance que nous avons tous les deux à chercher notre valeur dans le regard de l’autre. Mais nous ne nous regardons pas avec les mêmes lunettes. Tu attends d’être aimé pour ce que tu es, indépendamment de ce que tu donnes. Peut-être cherches-tu un amour inconditionnel. Mais est-ce vraiment possible en dehors du lien parent-enfant ? Et est-ce que cette quête d’inconditionnalité ne peut pas parfois devenir une façon d’éviter que les remises en question ne soient trop souffrantes ? Moi, je suis différente : J’accueille volontiers la critique quand elle vient d’un lieu d’amour. Pour moi, me pousser à grandir, c’est une forme de tendresse. Je ressens l’amour dans la profondeur du lien émotionnel et dans qualité du temps partagé. Je sais que la disponibilité de l’autre, émotionnelle comme temporelle, ne dit rien de ma valeur, mais j’ai parfois du mal à me détacher de cette idée. Je suis désolée que tu ne vois pas que la place que je te donne, mon envie de passer plus de temps avec toi, d’avoir une connexion émotionnelle forte, est le reflet de la valeur que tu as à mes yeux, mais qu’au contraire ça te fait peur (j’y reviendrai).

Peut-être que ce serait une occasion de grandir : apprendre à voir la valeur de l’autre avec ses yeux, pas seulement avec les nôtres.

Progresser

Tu exprimes ton refus de progresser sur ce qui ne me convient pas dans la relation. Tu parles d’attention, de proactivité et d’énergie.

Ce n’est pas ton niveau d’attention qui me pose problème : je me sens écoutée, comprise, et je vois ta présence quand je partage mes émotions ou mes réflexions.

C’est ton absence de proactivité qui me déstabilise. Non pas qu’elle soit mauvaise en soi : elle peut s’équilibrer avec mon initiative. Mais elle me fait douter de ton envie de passer du temps avec moi. Tu dis ne pas te forcer, apprécier les moments ensemble, aimer te laisser porter — pourtant, quand je suis seule à proposer, j’en viens à croire que tu te désinvestis. J’ai besoin que tu reviennes vers moi parfois, spontanément, avec une proposition. Quand tu déclines une invitation, j’aimerais que tu proposes un autre moment. Pas parce que je veux te forcer à t’engager, mais parce que ça me rassure. Vincent, dans mon monde, une personne que j’aime peut décider de sortir de ma vie du jour au lendemain sans rien dire, sans que je ne vois rien venir. J’ai grandi avec ça. Et même si je travaille dessus, cette peur reste vive. J’ai besoin d’être rassurée parfois, même si mes peurs te semblent exagérées.

Je sais qu’on est différents : toi dans l’instant, moi dans l’anticipation joyeuse. Mais justement, ne pourrait-on pas apprendre l’un de l’autre ? Pourquoi faudrait-il choisir l’un des deux modèles, au lieu de s’enrichir mutuellement ?

Ce qui me fait mal, c’est que j’ai l’impression qu’on se voit de moins en moins. Côté pro, on ne travaille plus ensemble. Côté perso, les rares moments sont gâchés par des discussions éprouvantes qui me mettent en insécurité.

Je ne crois pas que mes besoins soient excessifs : un peu plus de temps partagé, et quelques gestes de réassurance. Mais si ça l’est pour toi, si c’est trop demander, je ne pourrai pas me contenter de moins.
Alors peut-être qu’il faut se demander : est-ce qu’on continue, ou est-ce qu’on s’arrête là ?

Mon intensité et la place de la relation dans ma vie

J’ai entendu tes craintes sur l’intensité de mes sentiments et la place que je donne à notre relation dans ma vie. Mais je ne comprends pas pourquoi cela t’amène à dire que tu ne veux pas être responsable de ma sécurité émotionnelle ou mentale. Qu’est-ce que je fais, concrètement, qui te donne le sentiment que je te fais porter cela ? Ca me semble injuste parce que je passe beaucoup de temps à réfléchir à ce que je ressens, à me remettre en question. Mes émotions, je les gère très bien toute seule, à part quelques débordements qui ne sont ni la règle ni fréquents.

Pour moi, c’est comme si tu me disais : « Tu marches trop près de la falaise, je ne veux pas être responsable si tu tombes », alors que je suis sur un chemin solide, consciente de mes pas, et que c’est toi qui as le vertige. Ce n’est pas parce que ton mode d’attachement t’empêche d’autoriser cette intensité ou cette implication, que je suis en danger parce que moi je les vis. Pourquoi as-tu peur pour moi ? De quoi ? Je te repose la question : Crois-tu que je serais capable de mettre fin à mes jours en cas de conflit ou de rupture de notre relation ?

Moi, je pense que tu portes une responsabilité que je ne t’ai jamais demandée de porter.

Tu dis que je suis « trop » : trop intense, trop investie. Mais trop par rapport à quoi ? À ton seuil personnel ? Veux-tu m’imposer ce seuil comme une norme ? Je ne peux pas baisser le volume de mes émotions. Je ne sais pas être tiède dans les liens qui comptent. Et je ne crois pas que ce soit un défaut. Je suis comme ça. Et cette intensité n’est pas un danger, sauf si on me demande sans cesse de la contenir.

Alors je te pose une question simple : en quoi, concrètement, mon “trop” outrepasse tes limites ? Est-ce que je pleure trop ? Est-ce que je partage trop mes émotions ? Est-ce que je parle trop ? Est-ce que je te proposes trop de nous voir ? Tu m’as dit que je n’étais pas « trop », mais pourtant, ce mot revient souvent et tu sais qu’il résonne chez moi. Je suis peut-être bête, mais je ne comprends pas. Et j’aimerais comprendre.

Julie

Pour ce que traverse Julie en ce moment, et pour ce que tu traverses par empathie, je suis désolée que tu aies à porter cela seul, avec ton psy pour unique soutien.

Tu te sens seul à soutenir, sans soutien en retour. Et moi, je me suis sentie tenue à l’écart. J’ai compris qu’il se passait quelque chose, mais tu ne m’as pas laissée en faire partie. Je ne comprends pas comment on en est arrivés là. Je suis triste que tu ne te sentes pas autorisé à t’appuyer sur moi, que tu souffres en silence.
Je ne sais pas si c’est Julie ou moi qui t’empêche de me voir comme un appui possible.

Alors, ma réaction est inappropriée quand j’exprime mes craintes sur ta capacité à préserver notre lien face aux besoins de Julie. Mais elle prend racine dans ce sentiment d’exclusion. C’est le contexte qui l’a alimenté.

Je ne suis pas jalouse de Julie, et je ne manque pas d’empathie pour ce que vous traversez. J’espère sincèrement que, lorsque ce moment difficile sera derrière vous, tu trouveras du bonheur dans le fait qu’elle te consacre enfin plus de temps. Mais je n’arrive pas à m’empêcher de souhaiter que la place que tu m’as donnée dans ta vie soit protégée. C’est justement parce que je mesure la valeur de cette place, les efforts que ça t’a demandé et la souffrance qu’elle a causé, que j’ai peur de la perdre. Peur qu’elle soit fragile, trop facilement remise en question. Encore une fois c’est contextuel, lié au sentiment de mise à l’écart des dernières semaines et au week-end oublié puis annulé.

Conclusion

Je suis désolée que tu ne te sentes pas aimé à ta juste valeur, que mes marques de reconnaissance te semblent trop rares, et que mes messages, mes silences, ou mon regard noir viennent annihiler l’attention que je porte au fait que tu te sentes reconnu, apprécié.

Je n’ai jamais autant lu et réfléchis autour des relations, de l’attachement, pas juste pour toi ou pour notre relation, mais pour moi, pour apprendre à aimer mieux.

Mais j’ai le sentiment que nous sommes tous les deux incapables de recevoir ce que, pourtant, l’autre donne.

Je ne sais toujours pas quoi penser de ma référence à l' "amour véritable". J'étais persuadée de l'aimer "de la bonne façon", c'est à dire de l'aimer avec cette volonté pure de le faire évoluer. Mais n'étais-je pas aveuglée par mon anxiété au point d'espérer qu'il change pour ne pas l'activer, plutôt que de travailler sur moi à la gérer toute seule ?

Suite à cette lettre, il m'a répondu une longue lettre finissant par sa volonté de prendre ses distances.

Parfois, en la relisant, j'en arrive à la conclusion qu'il ne m'aimait pas. Et puis parfois je me dis que j'avais tout de même bien saboté la relation, les semaines passées, et que n'importe quel homme aurait fini par fuir!

A sa demande de distance, j'ai juste répondu "reçu et compris", et j'ai ressenti un grand soulagement à avoir enfin de la clareté. Bien-sûr j'ai été triste, mais je me suis sentie libérée d'un poids. Enfin, je pouvais faire mon deuil de la relation.

Mais au lieu de ça, il est revenu vers moi quelques jours plus tard, pour me proposer de boire un verre. J'ai refusé et j'ai gardé de la distance pendant un peu plus d'un mois, avant de proposer de renouer.

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