21 juillet 2025

4 minutes de lecture

Avertissement : ce chapitre contient des passages abordant le thème du suicide.

Je suis seule dans le bureau qu'il vient de quitter.

Je suis épuisée par des semaines de questionnements sur moi, sur mon hypersensibilité, sur ma probable douance qui me fait me sentir si seule et en décallage par rapport aux autres, ma "dépendance affective", ma vie familiale qui a été bousculée l'an dernier et a bien failli basculer six mois auparavant, l'angoisse de ne pas être une assez bonne mère.

A ce moment-là, je me sens comme une merde.

Inadaptée à la société.

Incapable de nourir mon estime de moi par mes propres moyens.

Incapable de la moindre ma sécurité intérieure.

Incapable d'élever mes enfants et de leur transmettre curiosité et goût de la vie.

"Incapable"

"Nulle"

"Incapable"

"Le monde se porterait mieux sans moi"

Voilà ce qui tourne dans ma tête à ce moment-là.

Dans ce moment de grande solitude, de grand désarrois, j'envoie un SMS à ma fille pour lui demander à quelle heure elle rentre. J'ai envie d'être entourée de gens que j'aime. Mais elle me répond qu'elle dort chez une copine et on se dispute. Je pense à mon fils. Il doit jouer sur son PC, il ne me répondra pas.

Je ne sais pas quoi faire.

Je ne sais pas où aller.

Mais je comprends que les idées suicidaires qui me poursuivent depuis quelques jours ne sont pas à prendre à la légère. Et à ce moment-là, elles viennent m'envahir.

Comme pour voir jusqu'où j'étais capable d'aller dans ma noirceur, je sors du batiment, j'achète un flash de gin, du jus de fruit, deux boites de somnifères, et je remonte dans mon bureau. Je suis sûre que je n'irais pas au bout, même ça j'en suis incapable. Je vais juste boire et rentrer chez moi.

Mais l'alcool aidant, je crois que le seul acte courageux, ce serait d'aller au bout. Alors je prends un somnifère, deux, trois...

Puis, j'écris des lettres d'adieu à mes enfants, et à Clément.

A mes proches

Pourquoi ?

Parce que je suis seule dans cette putain de vie. Incomprise. Inadaptée. Je n'ai plus personne à qui me confier lorsque ça ne va pas. Personne à appeler lorsque je me sens seule. Personne sur cette terre pour se dire "Tiens, j'ai envie de la voir" et décrocher son téléphone. Parce que je n'apporte rien à personne, ni à mes enfants, à qui je ne sais pas poser le cadre dont ils ont besoin, ni à mes amis, pour lesquels au mieux je suis inexistante, au pire je suis trop intense. Je m'épuise à essayer de comprendre les autres mais moi je suis trop décallée pour que qui que ce soit me comprenne. Et de toutes façons, personne ne fait l'effort d'essayer vraiment. Personne pour me dire "oui tu comptes", "oui je t'aime". Même si j'ai du mal à l'entendre, même s'il fait me le répéter. Parce que je ne vaux pas le coup.

A Clement

Clément,

Que dire ? Tu n'es pas responsable. Tu es juste la goutte d'eau qui fait déborder le vase de mon mal-être. Tu n'as fait que réveiller des failles existantes, que je suis la seule responsable d'avoir chercher à guérir avec toi dans une relation de réparation réciproque que je suis la seule à avoir désirée.

Pardon d'avoir réveiller d'anciennes blessures en toi. Pardon d'avoir cru qu'en te comprenant et en t'aimant assez fort, j'allais t'aider à te réparer alors que tu n'as rien demandé. J'ai vraiment tout foiré, et je n'aurais pas supporté de te voir me détester.

Pardon pour tout.

Merci pour tout.

J'ai avalé une dizaine de somnifères. J'en avais le double, mais j'ai eu peur. Est-ce que c'est ça un appel au secours ?

J'ai envoyé un SMS d'adieu à mes enfants et à Clément et je suis partie me cacher dans les toilettes.

Une heure plus tard, les pompiers me trouvaient grâce à ma fille qui avait activé la géolocalisation de mon téléphone.

Urgences.

Clément est resté toute la nuit , mais je ne l'ai pas vu. J'étais shootée, je ne me souviens plus de rien. Peut-être qu'il m'a vue sur mon lit. Peut-être que l'infirmière m'a demandé s'il pouvait venir me voir et que je n'ai pas entendu, ou pas répondu, ou répondu "plus tard".

Il est revenu le lendemain matin, mais quand je l'ai aperçu de loin, je me suis cachée le visage, et puis je lui ai tourné le dos.

Je me rappelle m'être dit "Qu'est-ce qu'il fait là ? ". Je me rapelle aussi que j'ai eu honte.

Je suis sortie deux jours plus tard, parce qu'il n'y avait pas de place et que j'avais des enfants dont il fallait que je m'occupe.

Je me suis sentie "fichue à la porte". Je ressentais une profonde injustice à ne pas avoir le droit de me reposer parce que j'avais des enfants. J'étais épuisée.

Alors, perdue dans la rue, j'ai écrit à Clément. Il m'a répondu quelques minutes plus tard "Rentre chez toi, entoure-toi de professionnels. Tu dois prendre la mesure de ce qui t'arrive et de ce que tu as fait. Je n'ai pas la distance émotionnelle pour t'aider sans me mettre en danger."

Ce sera son dernier message.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 5 versions.

Vous aimez lire M. D. ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0