8 octobre 2025
Dans ce moment en suspend, j'écris encore et encore, comme un besoin visceral.
Un évènement dans ma famille, plutôt que de me détourner de mes réfléxions, m'y replonge plus profondément, parce que quelqu'un que j'aime profondément traverse les mêmes remises en question que moi.
Clément,
Même si un jour, nous allons déjeuner, je ne suis pas sûre d’être capable de te dire tout ça aussi clairement, alors comme d’habitude, je préfère écrire.
Mon but, aujourd’hui, ce n’est plus de réparer la relation, qui est bien trop fissurée pour être réparée. Mon objectif, c’est que cette relation ne devienne pas un mauvais souvenir et un trauma de plus dans nos parcours déjà bien chaotiques, mais qu’au contraire on arrive à garder les bons souvenirs et à en tirer les leçons qui nous feront grandir.
D’abord, je crois que je dois revenir sur ce que j’ai fait le 21 juillet.
Après m’être sentie super bien en mai-juin, notamment grâce à mon expérience de transe chamanique, j’étais à nouveau mal depuis quelques semaines, tu l’as perçu plusieurs fois. Je me sentais nulle en tant que mère, nulle en tant qu’amie, nulle en tant qu’humaine. Je me détestais d’être aussi anxieuse dans mes relations, aussi sensible aux marques d’intérêt ou de désintérêt, aussi incapable d’exprimer mes émotions sans blesser les autres, aussi incapable de protéger mes limites. Je me détestais de ne pas réussir à changer. Et cette question de douance m’a enfoncée dans mon mal-être plutôt que de me rassurer.
Cela faisait environ trois semaines que j’avais des idées noires, que je commençais à imaginer des scénarios pour en finir, mais je me disais que ce n’était « pas sérieux ».
Ce lundi-là, notre entretien et tes compliments n’ont fait que renforcer ma honte de ne pas voir ma propre valeur et d’avoir besoin d’être rassurée. A ton départ, je me suis énervée contre toi, mais au fond c’est contre moi que j’étais énervée. Enervée d’avoir sans cesse besoin de parler. Enervée de ne pas supporter ton silence.
Quelques minutes plus tard, je me suis disputée avec ma fille, et ça m’a plongé dans un grand désespoir. Je suis restée prostrée au moins une heure dans le bureau, et puis j’ai finalement agi comme un robot, continuant de croire que ce n’était « pas sérieux », que chaque pas qui me rapprochait de mon geste serait le dernier, que j’allais m’arrêter. Mais je n’ai trouvé aucune ressource en moi pour m’arrêter.
Si je partage ça avec toi aujourd’hui, c’est que je sais la place des tentatives de suicide dans ton passé. Alors je veux que tu saches que le mal était profond, que j’étais épuisée émotionnellement, que je me détestais, et que c’était un geste de désespoir dirigé contre moi et uniquement contre moi.
Au retour de vacances, j’ai paniqué. J’ai eu besoin de fuir, de me protéger. J’ai pris conscience brutalement que je refusais désormais de m’épuiser comme je m’étais épuisée pendant des mois, à me demander si je devais couper la relation avec toi ou la laisser nous forcer à grandir. J’avais passé une partie de l’été à me remettre en question, à analyser mon système d’attachement et ce que le tien réveillait chez moi. J’avais été tiraillé entre croire mon psy me parlant de manipulation et de perversion narcissique et mon cœur persuadé que tu es une belle personne et que tu fais de ton mieux avec tes blessures et tes mesures de protection.
Ma fuite de septembre a détruit la relation, si elle n’était pas déjà détruite avant.
Alors, comme je le disais, mon objectif n’est plus de réparer ce qui ne peut pas, et probablement ne doit plus, l’être. Au contraire, j'aimerais mettre fin à cette relation « proprement », sans peur, sans fuite, sans colère. Avec amour.
Je crois avoir déjà partagé avec toi cette idée que l’amour est une volonté de se dépasser pour nourrir sa propre croissance et celle de l’autre. Je viens de le lire à nouveau dans « Le chemin le moins fréquenté » de Scott Peck, que Bell Hooks a visiblement paraphrasé.
Je m’en suis voulu d’avoir eu sans cesse besoin de parler, de revenir sur nos limites, de continuer à essayer de nous ajuster, jusqu’à finalement rendre la relation souffrante. Je m’en suis voulu de venir te chercher là où ça faisait mal chez toi, en voulant te faire comprendre ce qui dans ton attitude était blessant et réveillait mes insécurités. Je m’en suis voulu d’avoir laissé un psy me faire croire que tu étais manipulateur. Je m’en suis voulu d’avoir douté de toi au lieu de travailler sur moi.
Mais au fond, même si j’ai été maladroite, parfois dure, parfois longuement muette de ne plus savoir comment dire les choses, je réalise que je n’ai été poussée que par cette définition de l’amour. Je voulais juste grandir, apprendre à exprimer mes besoins, les confronter à tes limites, entendre tes besoins, les confronter à mes limites, apprendre à accepter nos différences, les intégrer. Depuis les premiers jours où nous avons été intimes, nous avons su que nous étions différents et que nous allions venir nous chercher là où ça fait mal. Malheureusement, ça a pris de plus en plus de place, et plus tu prenais tes distances, moins il restait de place pour autre chose.
Aujourd’hui, j’ai un sentiment d’échec.
Je n’ai aucun regret d’avoir essayé. Je regrette d’avoir échoué, et je regrette de ne pas avoir abandonné plus tôt, d’y avoir cru trop longtemps. Je crois même qu’il y a encore une partie de moi qui y croit encore.
Plus que tout, je regrette de m’être trompé de discussions. On a parlé de mon sentiment amoureux et de son absence en toi, on a parlé de mon désir et de ta peur de te perdre dans la sexualité. Mais finalement ce n’était que des symptômes de nos systèmes d’attachement opposés et dysfonctionnels. Ces derniers mois, je n’étais plus amoureuse et ne ressentais plus de désir pour toi. J’avais vraiment envie qu’on soit amis. Et comme tu connais mon intensité, je voulais qu'on soit "les meilleurs amis du monde". Ceux qui boiraient encore des bières à la terrasse d'un café en se racontant leur vie, à 80 piges. Pourtant le problème n'était pas dans la nature de mes sentiments. Le problème de fond vient de nos constructions profondes : J’ai un attachement anxieux, tu as un attachement évitant, et nous n’arrivons pas à évoluer ni à nous faire évoluer mutuellement.
Je comprends que ce n’est pas facile pour toi de parler. J’aurais aimé que tu te sentes libre d’être toi-même avec moi, que tu retrouves ta liberté d’expression. Mais je n’ai pas su créer les bonnes conditions pour cela et j’en suis désolée.
Je comprends que tu aies parfois besoin de distance pour te recentrer. J’aurais aimé être capable d’endiguer l’anxiété que ça génère chez moi. J'aurais aimé savoir te dire que ce n’était pas un refus de ta limite, qu’avec le temps j’aurais pu intégrer que ce n’était pas un rejet de ma personne. Mais je n’ai pas réussi et j’en suis désolée.
Je sais que les relations ne sont pas simples pour toi. Elle ne le sont pas pour moi non plus, on aurait pu s’en parler d’avantage, déplacer la discussion hors du nous pour oser d’avantage se confier et se comprendre. Mais je n’ai pas réussi à créer les conditions de cette confiance et j’en suis désolée.
Je sais que tu fais de ton mieux. Je sais que tu as toujours fait de ton mieux.
Alors, pardon pour tout.
J’espère sincèrement que tu trouveras un jour un ou une amie avec qui tu seras vraiment heureux et en sécurité.
Prends soin de toi.
M.
En relisant cette lettre, quelques jours plus tard, je ressens une profonde émotion. Je le lis comme le témoignage de quelqu'un qui, malgré la douleur, a cherché à comprendre, à analyser, à tirer des leçons de ce qui l’a blessé. J'ai essayé de rester honnête, non seulement envers Clément, mais surtout envers moi-même.
Je ressens encore parfois une souffrance viscérale, une détresse et un sentiment d’impuissance.
Mais surtout, je ressens maintenent en moi, une force tranquille, unevolonté de ne pas transformer une relation compliquée en traumatisme supplémentaire, de laisser l’amour devenir une leçon plutôt qu’un poison. J'ai été au bord du gouffre, mais je commence à me relever, je choisis de me respecter et de me protéger, même dans la vulnérabilité.
Je ne cherche plus à réparer Clément ou à recevoir sa validation, mais à comprendre, à structurer mes émotions et mes limites. Je prends enfin conscience de mes besoins, de mes blessures, de mon attachement anxieux, et de la manière dont il a réagi à son attachement évitant.
C’est une lettre d’adieu et de pardon à la fois, envers Clément, mais surtout envers moi-même. Une lettre où je décide, enfin, de commencer à me choisir.
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