Sous la douche

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 L'eau brûlante glissait sur sa peau et le rassénérait. Avec le savon, elle permettait d'évacuer le sang accumulé sous les ongles et une partie dans le cou. L'homme fermait les yeux, savourant cette sensation incroyable qu'il ressentait. Il venait d'ôter la vie de quelqu'un.

 C'était comme une démangeaison, une curiosité, une envie ou un besoin qui le poursuivait depuis longtemps. Il voulait découvrir ce que ressentait un meurtrier, jusqu'à en devenir un. Il voulait fuir sa vie le temps de quelques heures.

 Oh, ça n'avait pas été très difficile de trouver la première victime. Il avait choisi au hasard, dans la même rue qu'il traversait chaque matin. Un type comme un autre, l'air épuisé par le travail. Il avait une copine mais pas d'enfant, travaillait dans un magasin de cosmestiques et écrivait sur X à qui voulait l'entendre que les meurtriers méritaient la peine de mort.

 Il sourit. Il n'avait jamais trouvé sa place. Petit, il restait seul de son côté sans jamais se mêler aux autres. Sa mère disait toujours que c'était parce qu'il était plus intelligent. Lui était simplement épuisé quand il se trouvait à proximité de ses camarades. Et pourtant, là, il avait l'impression d'être enfin lui-même. Comme si tuer lui permettait de vivre.

 L'homme s'était débattu pendant de longues minutes, et, même s'il se déplaçait bien, ça ne valait pas les heures passées à la salle de sport ou ses cours d'art martiaux. Il avait fallu une quarantaine de coups de couteau pour qu'il se taise enfin. Puis, essoufflé, il avait contemplé son oeuvre. Plus que de la peur ou du dégoût, il avait éprouvé une sorte de fascination pour le sang qui s'étendait sous lui. Il était resté une longue heure, le temps que la peau de sa victime devienne pâle et que ses chaussures soient bien tachées. Ensuite, il avait fait un détour pour rentrer et se débarrasser de ses vêtements.

 Il se sentait enfin lui-même.

...

 L'eau le détendit complètement et soulagea ses épaules encore tendues.

 Il n'avait pas pu s'en empêcher. Il avait recommencé à tuer, alors qu'il s'était promis d'attendre au moins deux mois. Ce n'était pas sa faute, la démangeaison s'était intensifiée au point de devenir insupportable. Ses rêves étaient peuplés de personnes à assassiner le plus vite possible. Dès qu'il croisait une personne, il se demandait si c'était celle-ci, sa prochaine victime. Au travail, il parvenait à peine à se concentrer tant il voulait éprouver une nouvelle fois cette sensation de détente.

 De type anxieux, il stressait tous les jours. Quand il devait se rendre au travail. Quand il devait répondre au téléphone. Quand il traversait la rue. Il avait essayé des techniques, pourtant. Sophrologie, yoga, sport, balles anti-stress, écriture. Rien ne l'avait aidé. Alors, il se réfugiait dans ses pensées, dans ses curiosités morbides, dans ses envies de meurtre.

 Cette fois, il s'agissait d'un vieil homme qui avait passé sa vie à travailler dans une usine. Le dos voûté, il se déplaçait lentement avec sa canne. Pour autant, le tuer ne l'avait pas autant satisfait que sa première victime. Le vieux avait à peine pu se débattre tant il était faible, seul un râle s'était échappé de ses lèvres quand il sentait que c'était la fin. Quand le corps s'était écroulé par terre, il s'était interrogé ; est-ce que c'était l'euphorie de la première mort qui l'avait détendu à ce point-là la première fois ? Est-ce qu'il était destiné à stresser toute sa vie ?

 Mais en prenant sa douche, ce soir-là, il se sentit revivre de nouveau, son esprit devenait plus clair. Il devait continuer à tuer. Il savait que la démangeaison reviendrait.

...

  Le sang avait du mal à partir, cette fois. Il essayait de gratter depuis une dizaine de minutes, mais la trace restait incrustée, comme une marque.

 Il avait continué. Il avait ciblé un étudiant en droit, un futur PDG, un homme de ménage, un ancien moniteur d'équitation. Il leur tranchait la gorge, les poignardait partout, jouait parfois à leur faire peur. Il apprenait de ses crimes, comment faire durer la mort le plus longtemps possible, comment faire couler le plus de sang, comment les terrifier et les paralyser avant d'agir. Parfois, il s'autorisait des fantaisies, comme étrangler quelqu'un puis le relâcher au dernier moment, jusqu'au souffle final, laissait des messages énigmatiques qui n'avaient aucun sens - mais faisait perdre un temps précieux à la police - coupait des doigts ou des membres...

 La police enquêtait et s'interrogeait sur les crimes, les liens, multipliaient les appels à témoins, arrêtaient les suspects... Et comme les médias commentaient chaque fait et geste, il était facile de deviner la suite de leur mode opératoire.

 Mais, cette fois, il avait tué une femme. Et il n'avait pas aimé. Au lieu de le détendre, son meurtre l'avait rendu profondément nerveux. Elle s'était débattue, avait hurlait, et même le fait de lui couper les cordes vocales et de regarder le sang couler ne lui avaient pas plu. Il ne savait pas pourquoi. Il avait l'impression d'avoir commis une erreur, se repassait la scène en boucle dans sa tête, à essayer de comprendre... Puis se souvint. Le couteau. Dans son inquiétude, il l'avait oublié sur la scène de crime, avec ses empreintes digitales. Il ouvrit précipitamment les rideaux, enjamba le rebord et se rua hors de la salle de bain.

...

 La petite fille attendait sa mère, assise dans la douche. C'était la première fois depuis longtemps qu'elle n'avait pas connu le confort. Sa mère avait perdu son travail après que son patron a dû réduire ses effectifs. Depuis, elles voyageaient de foyer en foyer, à la recherche d'une habitation, d'un lieu où se loger.

 Quand on a appelé la mère, alors qu'elle faisait la manche dans la rue à côté de sa fille, on lui avait proposé ce logement. L'ancien propriétaire, un meurtrier en série, avait été identifié puis tué, menaçant d'assassiner un agent de police quand ils étaient venus l'arrêter. Pour autant, la mère n'avait pas eu le choix. Le propriétaire avait accepté de faire un geste, et elle venait de trouver un nouveau travail. Tout rentrait dans l'ordre.

 Aussi, la fillette n'osait pas lui dire qu'il lui arrivait de voir l'homme le soir. Il ne parlait jamais mais la fixait sans jamais détourner le regard. Elle savait que c'était l'ancien propriétaire, même s'il ne l'avait jamais dit. Par peur, elle gardait la tête sous la couette et ne parvenait pas à s'endormir. Mais elle ne voulait pas inquiéter sa mère.

 Car, après tout, l'homme ne faisait que la fixer.


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