Nicolas
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La porte s'ouvre alors que je relis le dossier. Mon patient pour l'heure : Quentin Desbaure, professeur d'histoire dans un collège privé. Je relève les yeux, salue l'homme et le regarde s'asseoir. Je l'examine quelques secondes. Maigre comme un clou, un teint pâle, des yeux clairs, des cernes qui lui donnent un air blasé. Je relis rapidement mes notes à son sujet. Quelqu'un de passionné par son travail, qui semble apprécié par ses élèves. Il consulte pour des insomnies à répétiton et un évènement traumatique qu'il ne parvient pas à raconter. C'est sa troisième séance et je ne sais toujours pas pourquoi il vient me voir.
Il croise les bras, évite mon regard, la mâchoire serrée. J'attrape un stylo.
— J'ai l'impression que vos insomnies ont empiré.
— Non, sans blague...
À présent, il aborde un air morose.
— Vous avez essayé les exercices que je vous avais conseillés la dernière fois ?
— Vous vous doutez bien que j'aurais une meilleure gueule si ça fonctionnait.
— Comme je vous l'avais dit, ça fonctionne sur la durée et la régularité. Il ne faut pas s'attendre à des miracles au bout de quelques jours.
Il ne répond pas, puis soupire.
— D'accord. Je me sens prêt à vous raconter.
— Je vous écoute.
— Vous savez, dans mon métier, on voit beaucoup de choses. Quand un élève est amoureux, fatigué, stressé, bosseur. Tout ça, on le voit. Dans ma classe, j'ai Amandi... Pardon, Nicolas. C'est un élève qui a fait sa transition il n'y a pas longtemps.
Il déglutit.
— Il semblait bien accueilli par sa classe, il avait des amis. C'est le genre d'élève discret que les profs rêvent d'avoir, pas toujours concentré mais au moins silencieux.
J'acquiesce.
— Un soir, il est venu me retrouver au bureau. Il... Il m'a expliqué qu'i-il osait être lui-même u-uniquement au collège. S-ses parents, membres d'une association et a-assez bourgeois, r-refusaient sa transition. I-il était obligé de m-mettre des vêtements de fille et de se changer dans les t-toilettes pour se sentir lui. I-il m'a demandé...
Sa jambe tressaute et il se gratte le bras avant de se passer la main dans ses cheveux.
— Il m'a demandé de p-parler à ses parents. S-ses parents s-sont bourgeois, m-mais ils ne contestent jamais les d-décisions des profs. Il pensait que s-si j'acceptais de leur parler... M-mais j'ai refusé. Ce soir-là, j-j'avais une migraine d'enfer, je m'ét-tais disputé avec une collègue à propos de l'imprimante, et... Bref, je voulais juste r-rentrer. Alors je lui ai d-dit qu'il p-pouvait leur en parler lui-même, j-je lui ai souhaité une b-bonne soirée et j-je suis parti.
Il se cache le visage entre ses mains, mais j'ai eu le temps d'apercevoir des larmes.
— C-comment j'ai pu dire une chose pareille ? J-je suis un monstre...
Sa voix tremble, mais il poursuit son récit.
— J'essayais de pas trop culpabiliser. A-Après tout, j'étais fatigué, et j'a-avais pas mal de copies à corriger... Le lendemain, alors que j'allais dans la s-salle de cours, sans oublier de prendre un café, le directeur e-est venu me parler... I-il m'a dit...
Je devine d'avance ce qu'il va me raconter. Pour autant, j'attends qu'il trouve les mots et qu'il s'exprime, ce qu'il finit par faire.
— N-nicolas est mort. I-il s'est jeté de sa fenêtre a-après une dispute avec ses p-parents... Et c'est ma f-faute.

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