Claire, Mathieu, et moi.

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— Le sexe, c'est compliqué de faire simple.

Je déclare ça d'un air ridiculement sérieux, fixe brièvement mes deux interlocuteurs. Je plonge ensuite mon regard dans mon assiette vide, je suis troublé. Je n'ai pas trouvé mieux que cette pirouette imbécile.

...

Nous sommes assis tous trois à la table d'un restaurant touristique, en terrasse. Les places autour de nous se sont libérées depuis longtemps, il se fait tard. J'ai rencontré Claire et Mat (Mathieu, mais il déteste son prénom) en début de semaine, lors d'une randonnée organisée "clés-en-mains" sur le chemin de Saint Jacques de Compostelle. Je n'ai aucun goût pour les balades champêtres en godillots ni pour la promiscuité avec des hordes de pèlerins : un choix absurde, mais finalement fertile.

Nous nous sommes rapprochés instinctivement, nous soutenant mutuellement sur les pistes arides : les seuls du groupe à ne pas porter de symboles religieux, à ne pas se signer en visitant les églises ou tenir des discours mystiques à propos de tout et de rien. La glace s'est brisée entre nous au fil des jours, même si les premiers kilomètres avaient été un peu tendus entre eux. Mat manquait de patience, et Claire semblait excédée par l'attitude de son compagnon.

La semaine désormais terminée, au moment de nous séparer en fin de journée, nous avons décidé d'un dernier dîner ensemble, loin des tablées bruyantes des gîtes d'étapes. Célibataire, je n'ai rien de prévu pour la suite, je peux rentrer demain, ou bien profiter encore de vacances dans un hôtel des environs. Claire et Mathieu ont choisi de rester sur place une nuit de plus, Mathieu ne souhaite pas conduire de nuit jusqu'à Paris en grignotant des sandwichs club sur l'autoroute.

Le repas a été agréable, nous avons beaucoup ri et certainement trop bu. Claire est détendue, mais elle commence à s'échauffer quand nous commentons l'actualité, portant sur une limitation des droits féminins dans un pays très conservateur. Elle déclare en regardant ostensiblement son compagnon dans les yeux :

— Comme d'habitude, ce sont les femmes qui trinquent ! Les hommes sont des lâches... Avoir de ravissantes idiotes enchainées en cuisine ou à torcher des gosses, c'est ça, leur fantasme !

Mat répond posément :

— Tu sais, c'est sûrement une décision politique, pour calmer les extrémis...

— Mon cul, oui ! La foi ne justifie pas la soumission de la moitié de l'humanité à l'autre ! Belle solidarité masculine, bravo, mais là, tu joues à la perfection le mâle bas de plafond.

— Je ne vois pas le rapport.

— Le rapport, c'est ta Q.U.E.U.E, dit-elle en prononçant chaque lettre.

— Écoute Claire, Léopold n'a pas forcément envie de partager nos différends et problèmes de couple. Tu as un peu bu ce soir, nous reprendrons cette discussion plus tard.

Je tente de contenir l'orage :

— Oh ! Tout est ma faute ! Le sujet est sensible, on ne devrait jamais parler politique avec des amis. C'est la meilleure façon de saborder une fin de repas !

Claire réplique aussitôt :

— Tu es gentil, mais tu n'y es pour rien. Nous avons pris cette semaine de vacances pour faire le point sur notre couple, mais Mathieu a un lourd passif.

Il reprend la parole, piqué.

— Pour faire simple, Claire me reproche mon infidélité et... mon activité sexuelle. Et bien sûr, sa dépression, que j'aurais provoquée volontairement. De mon point de vue, je blâme sa distance, et son souhait de passer plus de temps avec ses amies qu'avec moi...

Elle éclate d'un rire de gorge.

— Si tu n'étais pas toujours en déplacement, à fourrer ta queue partout, j'aurais peut-être moins envie de chercher le plaisir dans les bras de compagnes. Et ne me dis pas que tu ne comprends pas mes pulsions, je sais très bien que tu es très ouvert à de nouvelles... expériences. ajoute-t-elle avec un petit sourire entendu.

La conversation prend un tournant étrange, mais pour moi passionnant. Je regarde Claire et Mathieu attentivement, et les trouve séduisants tous les deux. Mais des beautés trop différentes, incompatibles. Bon, il est trop tôt, beaucoup trop tôt.

Il lui coupe presque la parole :

— Nous sommes désolés de t'embarquer dans ce mauvais mélo, Léopold. Tu as l'air d'être bien plus équilibré que nous ! Pour nous, c'est compliqué, mais le sexe, ça doit rester simple, tu es d'accord ?

Ma réponse en forme de pirouette ne sera pas satisfaisante, mais ma situation actuelle me l'impose.

...

Je me lève précipitamment.

— J'y pense à l'instant, je n'ai même pas demandé à l'hôtel s'il y a des chambres de libres ! Je reviens tout de suite.

Nous sommes en pleine saison, et il ne reste bien sûr que les plus chères. J'hérite donc d'une petite suite avec balcon dans les étages élevés, et rejoins rapidement notre table.

— Tout est arrangé ! Dites-moi, un temps superbe s'annonce demain, pourquoi ne pas prévoir un dernier pique-nique champêtre ? À moins que vous ne soyez pressés de retrouver la pollution et le stress de la ville ? ajoutais-je.

Claire saisit la balle au vol.

— Très belle idée ! Je n'ai rien à faire de spécial et toi, Mathieu, tu peux retarder ta reprise au bureau sans problème, non ? Dis-moi oui, j'ai encore besoin de plaisir.

Il se laisse convaincre.

— OK ! Disons... rendez-vous 11 h 30 ? Nous sommes tous épuisés, allons nous reposer.

Après quelques politesses, convenues, mais sincères, ils rejoignent leur chambre. Je file à ma voiture, qui prend la poussière sur le parking, afin de récupérer mes valises. Une semaine dans des vêtements techniques (casquette, chaussures étanches et chemise de bucheron sur un pantalon multipoches), j'ai hâte d'être moi. Direction l'accueil de l'hôtel, je retrouve la jolie jeune fille qui m'a réservé la suite quelques instants plus tôt. La vingtaine, grande brune, cheveux raides partagés asymétriquement, beau front et yeux verts. Je lui demande la clé, commande un petit-déjeuner en room-service pour neuf heures, ainsi que trois paniers pique-nique à emporter deux heures plus tard.

— J'espère que ce n'est pas indiscret, mais êtes-vous de la région ?

Elle rit.

— Oui, bien sûr ! Je n'y habite plus, mais je suis née à trois rues d'ici, ma mère n'a pas eu le temps de se rendre à la maternité ! Je suis là pour les vacances, job d'étudiante. ajoute-t-elle avec une moue fatiguée.

— Alors, vous êtes celle que je recherche ! Connaissez-vous un coin tranquille, au bord de l'eau, où mes amis et moi pourrions déjeuner demain ? Si l'accès est difficile, nous sommes de bons marcheurs, pas de problèmes.

— Je ne vois pas trop, dit-elle après un court temps de réflexion. Mais, je vais téléphoner à la première heure à mon père, il connait toute la région comme sa poche et je vous dis ça, d'accord ?

— C'est très gentil à vous. Remerciez aussi votre père de ma part. Je vous souhaite une bonne nuit, à demain.

L'ascenseur me dépose au cinquième étage et je gagne ma chambre. Je suis épuisé physiquement, mais mon esprit ne peut pas trouver de repos. Les idées s'entrechoquent, mes expériences passées semblent faire écho à ce futur proche qui se profile tout à coup si excitant. Si Claire et Mat voyagent pour faire un point sur leur couple et tenter de recoller des morceaux d'une histoire qui s'effiloche, je suis parti pour tirer un trait définitif sur mon alliance avec Nathalie, mon aimée, ma maîtresse.

Je ne me pose pas en victime – j'ai joué avec le feu – , mais je ressens l’envie de plaisirs simples, et pourquoi pas, d'une nouvelle aventure.

Je découvre une salle de bains accueillante et spacieuse, équipée d'une douche et d'une baignoire, luxe appréciable. Je me contente de la douche bien chaude, en lavant mes cheveux qui en ont fort besoin. J'épile quelques poils rebelles, applique une crème de nuit en espérant avoir bonne mine demain. Toute tension disparue, j'enfile un boxer-short de soie rose, au contact rassurant, me glisse dans les draps frais.

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