De : Léopoldine. Objet : Votre soumise, chap.1

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Je sors du ventre de ma mère par une triste journée pluvieuse, à la fin novembre. La pluie s'arrête alors de tomber brusquement, un rayon de soleil crève les nuages et un magnifique arc-en-ciel se dessine au-dessus de la maternité. Des femmes tombent à genoux, filant leurs bas sur la pierre rugueuse, des hommes se signent discrètement et d'autres crachent au sol de dégoût.

Enfin presque. Sûrement. Parions qu'une divinité, une volonté suprême choisit de temps à autre un nourrisson au hasard en disant, Tiens, celui-ci sera différent.

Peut-être suis-je juste la combinaison de gènes hérités, d'un environnement social. De côté-là, je suis moyennement gâté. Mon père est parti depuis quelques semaines déjà, sans montrer la volonté de me reconnaitre. Mes parents n'étaient pas mariés, il laisse donc le soin à ma génitrice et ma grande sœur, Estelle, de cinq ans mon aînée, le soin de m'accueillir dans ce monde.

Employée de mairie à l'échelon le plus bas, mère a des moyens limités, une fois son compagnon volatilisé. Nous vivons dans un appartement deux pièces, hérité de ses propres parents. Jusqu'à huit ans, je partage une chambre avec ma sœur, mais après de longues tractations, elle m'éjecte : je récupère donc la minuscule chambre de la mère. Le salon réaménagé, celle-ci dort désormais derrière une cloison aussi épaisse qu'une feuille de papier.

Je suis un beau bébé. Un très beau. J'ai la peau lumineuse de ma mère, ses yeux et sa bouche. De mon père, d'après quelques photos entrevues plus tard montrant un petit homme imberbe au visage ovale, tout le reste. Mes parents sont blonds, je suis donc logiquement un petit garçon blond, d'un poids dans la moyenne basse.

Estelle claquera la porte de l'appartement dès ses dix-huit, en lâchant à ma mère, lors d'une dispute mémorable, toute sa bile haineuse accumulée et la vérité sur cette époque. Comment "La Vieille pute" a essayé de retenir "L'aut'vieux pédé" en pondant un autre enfant (moi), comment elle l'a définitivement perdu en baisant avec son meilleur ami.

"Et lui, là, (encore moi) on ne sait même pas qui est le père ! T'as dû te faire sauter par la moitié des gars de la mairie, salope !". Ce à quoi la vieille répond : "Ma fille se fait enculer dans les cabanes de chantier et c'est moi la salope ? D'abord, j'ai pas trompé ton père, j'ai juste sucé son copain. Une seule fois."

Même avec la volonté de ne pas écouter, cloîtré dans ma chambre un oreiller sur la tête, je ne comprends pas tous les mots, mais le concept familial est assez limpide. Maman n'a pourtant rien d'une bombe sexuelle à l'arrière-train incandescent, juste une petite blonde aux cheveux raides, à la peau très claire. De beaux yeux d'un bleu intense et de jolies lèvres gourmandes composent l'essentiel de sa séduction.

Ma sœur commencera, vers quinze ans, à s'enfermer dans sa chambre avec des copines, avec qui elle glousse en mangeant du chocolat. Plus tard, avec les garçons, le chocolat et les rires se firent plus rares : on ne parle pas la bouche pleine.

Pour l'instant, je grandis normalement, en attendant de rentrer en maternelle, entouré d'une maman très douce avec moi. Elle s'habille un peu n'importe comment, traine souvent à moitié nue dans l'appartement quand ma sœur n'est pas là. J'ai le souvenir, d'une période sûrement plus tardive, de m'être endormi sur le canapé, la tête posée sur ses cuisses, le nez sur sa toison pubienne dont le parfum ne m'a jamais quitté.

Son peu de goût pour les vêtements et le manque d'argent rejaillirent évidemment sur moi : plutôt qu'acheter des habits neufs, j'hérite de ceux d'Estelle. Je porte donc des culottes et body roses, des trucs à dentelles achetés à une époque plus généreuse.

Dans ma poussette, dans les salles d'attente ou à la supérette, les femmes tombent en pâmoison devant mon joli sourire, mes beaux cheveux blonds ondulés... Mais qu'elle est belle votre fille ! Comme vous avez de la chance ! Oui, bien sûr, ma mère a bien dû les reprendre au début, mais devant les regards d'incompréhension, elle a fini par ne plus les contredire. Elle sourit juste d'un air entendu en baissant les yeux de modestie. Et si l'inconnue insiste, elle ajoute : Léopoldine. C'est ma jolie Léopoldine. Elle se penche ensuite vers moi lorsque enfin nous sommes seuls : Ouf, je m'en suis débarrassée ! Allons-y, ma belle !

...

De la maternelle, peu de souvenirs encore. Une période calme et heureuse de ma vie, je suis un enfant sage, j'aime me blottir dans les bras des assistantes, enfouir mon visage entre les seins de celles qui ont une poitrine généreuse. On a enfin cessé de m'habiller avec les fringues de ma sœur, sauf peut-être parfois une slip rose ou un t-shirt à licorne quand le linge propre vient à manquer.

Cette situation perdure en primaire, avec un seul incident. Un mercredi, sur un terrain de jeu, je baisse mon pantalon pour uriner contre un arbre : je dévoile mes fesses recouvertes d'un tissu blanc ourlé de dentelle rose. Un garçon plus âgé me montre du doigt. Oh la fille ! Oh la fille ! Tout le monde ri autour de moi, même ceux qui n'ont rien vu ou ne voient pas le problème. Je remonte mon pantalon en urgence et je pars en courant, retenant mes larmes.

Je rentre à la maison, me précipite dans ma chambre sans répondre aux questions que me pose ma mère, me déshabille entièrement et me précipite sous la couette. Je pleure jusqu'au soir, troublé, en tenant mon sexe dans ma main.

Je termine l'année sans remettre les pieds sur un terrain de jeu, collectif ou pas. Je ne vais aux toilettes qu'après avoir coincé la porte avec un bout de carton plié. Je vérifie le genre de ma culotte avant de baisser mon pantalon.

La rentrée au collège est un calvaire. L'ambiance est à l'agressivité, il y a des grands de troisième qui sont incroyablement vieux, presque adultes. Je suis de la fin de l'année, je suis petit et mince. Ma puberté semble en pause avant même d'avoir commencé, je n'ai pas mué, et j'ai de longs cheveux blonds. Bien sûr, l'imbécile qui a vu mon slip en dentelle en CM2 me croise dans un couloir puis raconte tout à ses copains.

Lors d'une récréation, alors que je suis au milieu de la cour, ils m'immobilisent et tirent sur mon froc pour voir mon slip. Je me débats, le pantalon tombe, entraînant mon sous-vêtement.

Je suis au milieu de la cour, à moitié nu, je crie et pleure en même temps.

Il a pas de couilles ! Il a pas de couilles ! crie un imbécile. La puberté me joue des tours, et au regard de tous, au sommet de mes jambes trop maigres, il y a juste une petit pénis circoncis (une décision parentale, pour l'hygiène) et un scrotum non développé. Je hurle. Si, j'en ai, connard ! en distribuant au hasard des coups de poings, griffant le visage de mes agresseurs.

Je tombe, mes poings bientôt en sang continuent de frapper le sol. Des adultes interviennent, je perds connaissance, d'épuisement, de rage et de honte.

Je me réveille dans une chambre d'hôpital, l'infirmière apparaît bientôt, m'explique qu'on m'a donné des médicaments pour dormir, que tout va bien, ma maman va venir, que je suis juste très fatigué.

Les jours suivants, tout me revient en mémoire, je peux revivre la scène d'un regard extérieur, les types trop sûrs d'eux qui rient, ceux qui se cachent, bien heureux de ne pas être à la place de la pauvre créature au centre du ring, celles qui pouffent et celles qui compatissent parce qu'elles savent au fond d'elles-mêmes que cette violence pourra un jour être exercée contre elles.

Je veux mourir, ne jamais revenir en cours, ne jamais expliquer ce qui s'est passé, ne jamais dire ce que je ressens, taire que je comprends beaucoup mieux les filles que les garçons et que jusqu'à ce jour j'oubliais souvent qu'il fallait choisir son camp, la longueur de ses cheveux, la bonne couleur pour ses dessous.

Commence alors une période de pilules, de rendez-vous chez des médecins. Spécialistes qui peinent à soigner une anorexie bien réelle, empêcher mes cauchemars, mes phobies, mon agressivité autodestructrice et mes sautes d'humeur. Je me déshabille entièrement sans raison, cache mon sexe entre mes jambes, puis prostré dans un coin, je me gifle et ne répond que si on m'appelle Léopoldine.

Je ne voulais pas retourner à l'école ? Le but est atteint : je rate la sixième en totalité, avec de fréquents séjours dans des hôpitaux et des lieux de repos. Lors d'une ultime visite chez le médecin qui me suit depuis plusieurs mois sans résultat, je me décide enfin à lui donner les réponses qu'il attend pour valider son diagnostic. Il rédige un laborieux rapport, qu'il enferme dans une lettre cachetée, qui me suivra pendant ma scolarité. Une ordonnance de plusieurs pages pour mon traitement futur l'accompagne.

Je vis donc ma puberté défoncé aux tranquillisants, aux compléments alimentaires censés pallier mon anorexie et peut-être même des hormones de croissance. Les années suivantes, je grandis paresseusement : je ne dépasse pas le mètre soixante-cinq aujourd'hui. Mon visage reste fin, mon corps mince et peu musclé, pilosité aléatoire et taille fine.

Je place ma main à mon entrejambe pour vérifier que mon sexe est là, modeste, rassurant. Je ne sais pas si l'esprit peut contraindre la matière, mais je ne souhaite plus grandir, je ne veux pas que mon sexe se développe. À défaut d'être une fille, je réclame le droit de porter des culottes roses toute ma vie si j'en ai envie.

Lesté désormais d'un dossier médical épais comme un annuaire téléphonique, je passe des tests pour évaluer mon niveau scolaire et intégrer une nouvelle école, catholique, privée et hors de prix (j'ai mystérieusement droit à une bourse). Patatras ! J'ai à peine le niveau pour suivre en sixième, déclarent-t-ils.

J'imagine que ma mère joue alors de ses charmes, passant une langue gourmande sur ses lèvres pulpeuses, en croisant les jambes devant le chef d'établissement, qui bande dur sous sa soutane.

Je suis finalement accepté en sixième, prenant l'année en cours, à conditions de leçons complémentaires le mercredi et le samedi. Le bâtiment est en centre-ville, je ne suis donc pas pensionnaire : sinon, j'aurais préféré en finir.

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