De : Léopoldine. Objet : Votre soumise, chap.2

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Terne.

C'est le commentaire que j'obtiens le plus souvent lors de mon premier trimestre dans ce collège privé. Les professeurs sont bienveillants, la discipline rigoureuse et d'une rigidité telle que je me sens en sécurité, mais pour moi, le danger vient des autres élèves. Ma mère, par anticipation avisée, m'a encouragé à changer de style. Cheveux désormais coupés courts, un jeans large et un sweat à capuche. À ceux qui me posent une question personnelle, je réponds d'un regard fixe, vide, ou roule des yeux comme un chien fou. Objectif atteint, au bout de quelques jours, plus personne ne s'adresse à moi, je deviens le paria en fond de classe, mutique et appliqué.

Les cours du mercredi et du samedi (qui commencèrent plus tard dans le trimestre), sont différents. Dispensés par une jeune femme, peut-être encore étudiante, ils sont passionnants. Elle doit arrondir ses fins de mois en étant répétitrice au collège. Brillante, répondant sans jamais faillir à nos questions concernant tout autant la grammaire, les mathématiques ou l'histoire.

Et surtout, elle est très belle. J'en tombe immédiatement amoureux, le premier jour même. Je change de place au retour de la récréation, quittant le fond de la salle pour m'installer au premier rang. Je ne peux pas me rapprocher plus, sinon j'aurais sûrement trouvé refuge sous son bureau, bien au chaud. Sous sa mise stricte -collège catholique oblige- son corps parfait me fascine. Sa jupe de fine laine noire tombant sur les genoux ne peut masquer ses jambes élancées, invariablement gainées de nylon couleur chair. Son chemisier blanc empesé dessine à la perfection sa taille et ses petits seins fermes. Grande, cheveux bruns, la voix douce, elle sent merveilleusement bon : un assemblage subtil d'un parfum capiteux et d'un soupçon de transpiration fraiche. Son autorité naturelle, sa constante bienveillance aplanit toutes les difficultés.

Je travaille comme un forcené, non pas pour être meilleur, mais pour la remercier, lui plaire. Elle pose parfois sa main sur mon épaule, ponctue d'un, c'est très bien, et je suis au paradis.

Bien entendu, mes résultats scolaires changent rapidement. Dès janvier, je quitte les profondeurs inférieures du classement pour tutoyer les premières places. Sauf en EPS, matière où les demandes de dispenses envoyées par ma mère sont toujours acceptées. Sans nul doute, mon dossier médical plaide en ma faveur, l'institution catholique n'ayant aucunement l'envie de prendre le risque de voir un élève jouant au rugby en culotte de soie.

Pour me remettre en forme, ma mère m'inscrit plutôt à des séances de natation et -étrange choix- à un atelier mélangeant Judo, Taï-Chi et Kung-Fu ! L'eau sculpte mon corps, musclant mes jambes et mes épaules étroites, les arts martiaux m'assouplissent, développent ma façon de me mouvoir dans l'espace, avec, je l'espère aujourd'hui, élégance et fluidité.

Je passe facilement en classe supérieure, mais demande à continuer à suivre les cours optionnels du mercredi, ce qui m'est accordé.

Les années de suivantes sont studieuses. Je m'ouvre un peu aux autres, en restant toujours sur la défensive. J'ai quelques camarades préférés, mais je parle plus aisément aux filles, à qui je fais instinctivement confiance. J'ai aussi un meilleur copain, David, avec qui je traine un peu parfois à la sortie de l'école. Nous allons occasionnellement chez lui pour jouer avec sa console. Il habite avec sa mère, toujours absente quand je viens, dans un petit appartement calme et sombre, situé au-dessus d'une mercerie fermée depuis longtemps. Je comprends rapidement pourquoi je me suis rapproché de lui : il est, comme moi encore à cette période, sous traitement médicamenteux. Ce sont des cachets pour soigner mon hyperactivité, m'a-t-il expliqué. Le dosage doit être fort, car il est apathique en classe. Son genre paisible et ses paupières lourdes lui donnent l'air un peu idiot, ce qu'il n'est pas, bien sûr. Cela me rassure certainement.

David se fait virer de l'école au milieu de notre quatrième pour de mystérieux problèmes que personne n'évoque dans l'équipe pédagogique. Du jour au lendemain, il disparait, personne ne sait rien, et la porte reste close lorsque je vais sonner chez lui.

J'ai hâte de quitter le collège, mais en troisième, je me retrouve assis en classe à côté d'une jeune fille, Marie (il y a beaucoup d'élèves portant ce prénom ici). Le courant passe immédiatement. Nous avons des fou-rires, passons les récréations ensemble à discuter de petits riens. Elle est timide, garde un crucifix d'or au-dessus de son pull. Je lui avoue rapidement que je n'ai aucune éducation religieuse et que la question de l'existence de Dieu n'occupe que rarement mon esprit. Elle prend ma main dans la sienne et affirme alors en souriant qu'elle me fera changer d'avis.

À cette époque, le corps médical déclare que je suis guéri, que je n'ai plus besoin de médicaments. Je ne sais pas si les médecins en sont réellement convaincus, ou s'ils considèrent au contraire que je suis perdu pour Hippocrate et que mon destin est désormais tracé.

Guéri.

Effectivement, je ne fais plus de ces cauchemars où je revis sans fin mon épisode traumatique, déculotté dans la cour de récréation. J'ai dorénavant un rêve plus agréable : quelqu'un tire sur mes vêtements, mais ce n'est plus un pantalon et un slip bleu qui tombent. C'est une culotte de dentelle rose sur mes jambes gainées de nylon clair. Mon sexe repose sur ma peau blanche, à la lisière des bas. Je fixe alors l'assemblée avec fierté, les garçons me regardent avec envie, les filles rougissent en tendant leurs mains vers moi. L'arc-en-ciel brille haut à tutoyer les nuages.

Guéri, quoi.

La fin d'année approche, et Marie ne m'a pas converti.

Peut-être que ce dieu qui a créé l'homme, puis la femme, ne m'inclut pas dans son monde binaire ? Qu'importe, ce sont les derniers jours de classe, il fait beau, nous sommes assis derrière le bâtiment principal. Marie a choisi un banc en pierre en retrait du chemin, nous mangeons des gâteaux, profitant de la permission exceptionnelle de ne pas déjeuner à la cantine. Le rouge aux joues, elle m'avoue qu'elle a quelque chose à me dire, est-ce que je veux l'écouter ? Comme j'acquiesce, elle souffle très vite sans respirer, aujourd'hui-je-n'ai-pas-mis-de-soutien-gorge-est-ce-que-tu-veux-voir mes-seins ?

Sans attendre ma réponse, elle attrape à deux mains le bas de son sweat-shirt et le remonte sur son visage, laissant juste ses yeux visibles au-dessus de l'ourlet. Ils sont très beaux, ronds et haut placés, entre l'enfant et la femme qu'elle deviendra, la peau est si fine que l'on devine les veines. Marie me regarde, puis ferme les paupières pour un accord tacite. J'approche ma main et caresse doucement la pointe d'un sein avant de le prendre entièrement dans ma main. Elle remet son sweat en place, emprisonnant mes doigts. Nous restons quelques instants immobiles, elle se colle à moi et nous échangeons un baiser, chaste. Je force un peu ses lèvres avec ma langue, rencontre l'émail de ses dents qui s'entrouvre faiblement.

La sonnerie signalant le début des cours nous sépare brutalement. Je mets la main dans ma poche, subitement gêné. Marie ramasse son sac de cours et rejoint le sentier sans m'attendre.

La main toujours dans mon pantalon je caresse machinalement mon sexe en érection.

Ce jour-là, Marie sèche le reste des cours, et ne se présente pas non plus le lendemain, dernier jour. Je pense alors la revoir à la rentrée prochaine, dans le lycée public où nous devons aller, mais, d'après une de ses amies que j'interroge, ses parents ont finalement décidé de la maintenir dans un établissement privé catholique. Qu'a-t-elle avoué ? Quel châtiment injuste pour cette jeune fille sensible ?

Jamais je ne la revois. Elle reste associée à ma première expérience sexuelle.

...

L'arrivée au lycée change tout.

Comme si les élèves n'étaient plus les mêmes. Des groupes marqués se forment. Les sportifs, les geeks, les matheux, les fachos, les écolos-altermondialistes. Et les branleurs-littéraires-fumeurs d'herbe. Groupe à géométrie variable dans lequel je me reconnais immédiatement et où je suis adoubé sans difficultés. Mes cheveux poussent, je m'habille désormais de façon plus fluide et cool. Je découvre, comme d'autres, la fumette, l'alcool en soirée.

Mes résultats scolaires présentent une courbe descendante inversement proportionnelle à ma consommation de ces substances. Mais nous sommes, enfin, un peu nous-mêmes.

Je tiens de grands discours sur l'égalité des sexes, l'amour, le genre, sans rien y connaitre moi-même, faute d'expérience. Les filles m'adorent, les garçons moins, je leur vole parfois la vedette. Un jour, je déclare que je me sens un homme dans un corps de femme. Un gars excédé réplique par une boutade, que lui se sent femme dans un corps bien burné. Je lui saute dessus par surprise, l'embrasse sur la bouche, et lui lance, Aimons-nous, alors ! Les filles applaudissent, les mâles beaucoup moins.

Je deviens l'égérie d'un mouvement que je ne peux définir. Les filles me roulent des pelles en amies inoffensives, alors qu'elles se refusent au quotidien à des rapports saphiques. Des garçons craquent sur ma féminité, alors qu'ils se déclarent ouvertement hétéros ou homophobes. Lors d'une soirée de la fin d'année, tous défoncés à l'herbe magique, nous mélangeons nos corps sur la moquette d'un bel appartement. Je lèche avec application la poitrine plate d'une jeune fille pendant que sa main caresse mon sexe à travers mon pantalon. Je réalise au bout de longues minutes que la main appartient à un garçon moustachu, qui se tripote, l'autre main dans son slip.

Le groupe se dissout sans bruit en première, la moitié des membres sont virés de l'établissement, pour des résultats scolaires insuffisants, ou orientés vers d'autres filières.

Je m'accroche, travaillant sérieusement pour ne pas sombrer. Je change de style. Autant, je semblais passer inaperçu en classe de seconde, perdu dans la masse des élèves, dont certains sont très jeunes, que je détonne vraiment cette année. Des grands se moquent de moi. Un type me demande un jour si j'ai cinq minutes à lui accorder, je lui réponds oui, bien sûr, pourquoi ? Pour me sucer, ma belle ! Ces copains s'esclaffent, je file aux toilettes, mortifié.

Je m'habille donc désormais en noir, Doc Martens hautes, pantalon style treillis, Perfecto et T-shirt imprimé. Je porte une bague à tête de mort, cheveux longs dans les yeux, casque de mon baladeur sur les oreilles, je passe à présent pour un fan de rock. Ce qui me permet de me faire quelques amis, et d'apprendre à boire de la bière.

À cette époque, ma mère décide de quitter l'appartement, historiquement familial, pour aller vivre dans la villa de banlieue de son nouvel amant. Tu vas beaucoup mieux dorénavant, et tu travailleras dans le calme, me dit-elle pour faire passer la pilule. Leurs nuits ici sont effectivement mouvementées. C'est un imbécile, phallocrate et fier de l'être, mais plutôt riche et fidèle. Ma mère doit y trouver son compte, même si les "suce-moi la queue, salope" et autres " je vais te défoncer le cul, écartes bien !" qui traversent la cloison le samedi soir me laissent interdit.

Elle m'abandonne donc l'appartement, toutes charges payées, une enveloppe mensuelle remplie de billets pour mes frais, et passe tous les dimanches soir remplir le frigo. Le rêve !

Je réaménage un peu (je prends la plus grande chambre) et descends le surplus de bricoles inutiles à la cave. Je fais alors une découverte qui change ma vie.

La lingerie de ma sœur, délaissée à son départ, stockée dans des cartons depuis quelques années.

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