Sirocco, toujours.

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Le trait d'esprit de Lounis ne me fait pas sourire longtemps. Huile d'olive vierge, tiens ! J'en fais une belle, moi, de vierge effarouchée, en mode ne me touchez pas, je ne suis pas celle que vous croyez ! Une vraie salope oui, une petite chaudasse à la recherche de frissons pour pas cher. La façon dont j'ai utilisé ce pauvre garçon pour combler ma solitude me dégoute.

Je me laisse glisser du bureau, mon cul laisse une trace de sperme et d'huile sur le plateau de verre, comme une limace. Je me sens sale, vide et ridicule alors, je me recroqueville au sol contre le mobilier. La tête entre mes genoux, j'ai envie de me gifler. Lounis comprend bien que ce n'est pas le moment d'un câlin post-coït ou d'échanges romantiques.

Il s'habille rapidement, je fais de même. Il ne manquerait plus que quelqu'un entre dans le bureau. Enfin, nous parlons. Cela prend du temps, mais je lui raconte tout, sans rien omettre, sans rien enjoliver. Nathalie, le contrat, le sexe. C'est un homme intelligent, il est parfois surpris, perplexe ou décontenancé, mais il finit par comprendre, admettre qu'il est peut-être de trop dans ma vie. Il est aussi effondré, je crois qu'il m'aime vraiment, du moins, qu'il aime une version de moi, non disponible. Il me demande si nous pouvons rester amis, avec l'approbation de ma maîtresse.

Je ne sais pas : je n'ai pas d'amis, le problème ne s'est jamais posé.

...

Je passe un week-end catastrophique, me trainant vaguement de la cuisine à mon lit, en boule sous ma couette. Je me force à répondre avec entrain aux textos de ma Maîtresse, pour donner le change. Le dimanche, je m'habille enfin correctement, me maquille un peu. Je réalise que si je pleure trop, j'aurai une tête dévastée pour le début de semaine ; son avion doit atterrir lundi matin onze heures, pas question que j'arrive les yeux gonflés, elle risque de se douter de quelque chose.

Je vais être obligée de lui mentir, omettre de lui dire que j'ai rompu notre contrat en ayant une relation sexuelle, sans son accord. Vais-je réussir à soutenir son regard si elle me pose une question ?

Nos retrouvailles effacent mes craintes. Elle est heureuse de retrouver sa petite soumise. J'ai mis le paquet niveau vêtements, je suis ultra-sexy, j'ai même eu peur de me faire violer en traversant l'aéroport. Mais qu'importe, je voulais lui rendre hommage. Sous ma jupe, je suis nue avec un plug dans mon petit trou. Je me montre à elle sous toutes les faces quand nous nous rendons aux toilettes ensemble. Elle urine, alors je lui lèche le sexe avant qu'elle n'ait le temps de s'essuyer, à genoux dans le box. Elle rit en me traitant de petite cochonne, mais cela lui plait bien.

Je la dépose chez elle, elle doit se changer avant de retourner au bureau, puis je passe chez moi, pas question d'aller travailler habillée ainsi. Je sais désormais trop bien comment cela peut finir.

...

L'après midi est plus tranquille, Madame Nathalie a beaucoup de dossiers à traiter sûrement, je ne la vois pas du tout. Pas de trace de Lounis non plus, je pense qu'il a compris qu'il doit rester discret pour toujours. Elle m'envoie un message à vingt heures pour me dire qu'elle est trop fatiguée, nous nous verrons demain. Peut-être que, finalement, tout va s'oublier, et tout reprendra comme avant ?

...

Cinq heures trente, je suis réveillée par une notification de mon téléphone, que j'ai réglé très fort pour toujours répondre à ma Maîtresse, même en pleine nuit.

C'est Lounis, un texto. J'ai un désagréable pressentiment.

Léopoldine j'ai un gros problème

Toi aussi surement

Elle sait tout

appelle-moi, stp

Mon cœur s'emballe, ce n'est pas possible, il doit se tromper. Comment peut-elle... Je compose le numéro, les jambes coupées et la tête prête à exploser.

— Lounis...

— Il y a des caméras dans ton bureau. Nos ébats ont été filmés. Elle sait tout.

Je tombe des nues. Comment a-t-elle pu, sans me le dire ?

Mais elle en a le droit, tous les droits. J'ai donné mon accord pour mon appartement, comme je suis niaise !

— Écoute, je n'ai pas porté plainte, que je sache ? A part te faire virer, tu ne risques rien d'autre. Quant à moi, ça me regarde, l'orage finira par passer...

— Mais il y a des photos. Qu'on a envoyé par mail à mon père : "RAPPELEZ VOTRE FILS AU PAYS, IL DÉSHONORE VOTRE NOM. AGISSEZ AVANT QUE LA PRESSE NE SOIT AU COURANT"

— Oh Lounis, j'ai honte, j'ai si honte de moi ! Elle te fait chanter ! Que vas-tu faire ?

— Je ne sais pas. Je n'ai pas vu les photos, ma mère m'a prévenu. Elle va essayer de me les envoyer. Elle me dit que mon père est comme fou, qu'il répète qu'il va me tuer. Si tu connaissais mon père... Pour l'instant, ne fais rien. Quand je reçois les photos, je te rappelle. Je peux ?

— Oui. J'attends.

Deux heures plus tard, je suis en tenue de combat, jupe-chemisier, nous nous parlons à nouveau. Il a la voix molle, comme brisée, je crois qu'il se retient de pleurer.

— Léopoldine, je suis foutu. Si je rentre au pays, soit mon père me tue, soit il me bannit de la famille et m'envoie cultiver du chanvre comme un paysan le reste de ma vie. Ou la prison. C'est un homme puissant, il a des contacts politiques partout, il me retrouvera si je ne viens pas et...

— Lounis, calme-toi. Tu as vu les photos, c'est ça ? Un couple qui fait l'amour, cela choque tant que ça ? C'est parce que je n'ai pas tout d'une femme, c'est ça ?

— Les photos ont été recadrées. Elles montrent toutes le même moment.

— Et ...?

— Elle me montre toutes avec un sexe d'homme dans la bouche, ou en train de te lécher ton...

— J'ai compris ! Et alors ?

— Ce sont des rapports où je tiens un rôle passif. Homosexuel passif. Pour mon père, je suis efféminé, un faible. Homo, ici, c'est illégal, immoral et condamnable. Dans ma famille, c'est la honte, je ne mérite pas de vivre, je ne peux plus porter son nom. Et j'ai des oncles encore plus homophobes que lui.

— La seule qui puisse te sauver, c'est Nathalie. Nous devons lui parler. Rejoignons-nous à neuf heures, dans son bureau. Elle n'arrive pas avant dix heures, mais nous serons là. Je vais tout faire pour t'aider, tout est ma faute.

— Léopoldine, je crois que je ne vais pas pouvoir venir... J'ai pris mon médicament contre mes crises d'épilepsie ce matin. Je... je crois que j'ai forcé la dose, je ne me sens pas très bien, je crois que je vais dormir un peu...

— LOUNIS, c'est QUOI ? Quelle DOSE ?

— Du ...Gardenal... je sais pas j'ai fini toute la boî...

Il ne répond plus désormais. Je ne sais même où il habite, je crois me souvenir qu'il a donné le nom d'un hôtel sur sa fiche de renseignement, mais c'est trop flou, même pas sûre d'épeler son nom correctement. Je prends la voiture, je dois consulter son dossier à la boite, appeler les secours, le 15, les pompiers vont intervenir.

Cela se passe à peu près comme ça. Je dois insister, non, je ne suis pas sur place, non, je ne suis pas de la famille ni un proche, oui, c'est un collègue de bureau, non, ce n'est pas un canular, un homme va mourir, bordel ! Oui, du Gardénal. Non, je ne sais pas, peut-être la boite.

Je fonce, traverse Paris en grillant des feux, c'est un hôtel en périphérie. Les pompiers sont sur place, j'essaie de rentrer, mais on me bloque, je suis obligée d'attendre dehors. Ils sortent, Lounis repose sur un brancard, il a l'air inconscient. Je pose des questions, on ne me répond pas, secret médical sans doute. Je dis, je connais ses parents et je dois les prévenir, leur dire la vérité, ils sont au Maroc, vous comprenez ? Je pleure, ils ont pitié de moi.

—Nous l'avons trouvé inconscient. Il est dans le coma, il a dû prendre une dose massive. Il y a trop longtemps, un lavage d'estomac ne sert plus à rien.

Il me donne l'adresse de l'hôpital, et le camion part, sirène bloquée en mode urgence. Je reste seule à chialer au milieu de la rue.

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