I.

3 minutes de lecture

 Quand le voile du brouillard se leva, Augustin eut l’impression d'être un aveugle à qui l'on rendait la vue. Tout l’équipage s’était jeté sur les rambardes, guettant le moindre signe des pirates.

 Longeant la falaise rocailleuse, le brigantin, suivi de sa portée de chébecs, continuait à les narguer.

 Augustin fut surpris qu’en dépit de la poussée de l’alizé, la meute pût se maintenir si proche des rocs sans s’y écraser.

 Dans un sens, il préférait qu’il en soit ainsi ; les comtes de la Hanse avaient une fâcheuse tendance à exploiter les petites lignes, en bas des contrats, pour faire des économies. "Pirate disparu n'est pas mort" comme on disait chez les chasseurs.

 Si Junther n’avait pas insisté pour qu’il soit de la partie, Augustin aurait quitté le château de ploucs qui servait de quartier général à la Hanse et offert ses services à plus généreux. Partout sur la côte, les nobles à la tête de petites compagnies cherchaient une occasion de vider leurs bourses.

 Palais, villas, appareils mécaniques aux formes bizarres, tours mobiles, à toit amovible, poussaient comme des champignons.

 Augustin regrettait son temps au service du Duc de Landsroussij. Le repêchage d’épaves et le transport de marchandises avait beau être ennuyeux comme une pluie d’automne, ça payait bien.

 Un contrat en gros caractères, sans pattes de mouches ajoutées çà et là, clair, net, pas plus de deux pages. Rien à voir avec ces espèces d’énigmes linguistiques de la Hanse, pour lesquelles il fallait se munir d’un dictionnaire juridique gros comme une marmite.

 Junther extirpa le marin de ses râleries mentales.

“‘Gus, tu peux venir en cabine ?”

 L’intéressé détourna le regard des voiles marquées d’un diavol noir comme la suie, langue pendue.

“Tiens, viens voir”, fit Junther.

 Le jeune Obermaistre, un blondinet hâlé aux yeux pétillants, avait le doigt braqué sur une carte. En haut, la péninsule de Saint-Adrien, réduite à son extrémité méridionale. Des comptoirs hanséatiques indiqués par de petites étoiles bleu marine, et puis, surtout, la gueule béante de l’Océan Éternel.

“Sais-tu où nous sommes actuellement ? demanda Junther.

  • Tout ce que je sais, c’est que j’en sais rien ; et que toi non plus, à moins qu’un angelot se soit décidé de te le révéler dans ton sommeil, t’en sais rien.
  • Tout juste.
  • Combien de temps qu’on poursuit ces salopards, hein ? On finira tous sac d'os avant qu’ils se décident à jeter l’ancre.
  • Pourtant, tu sais comme moi que leurs vivres sont limités. Même en imaginant que leurs chébecs aient été chargés comme des mules, ils vont bien se retrouver à court de nourriture.
  • Eh bien, peut-être ! Mais je te dis ça d’expérience, mon ami, on a déjà assez joué avec la chance. Que les caraques aient tenu face au samor, j’en suis le premier surpris.
  • Quand on racontera ça au Conseil… sourit Junther.
  • Si on a le luxe de leur raconter”, coupa Augustin.

 Son ami lui lança un sourire charmeur. C’était sa manière à lui de lui demander de poursuivre la folie un peu plus longtemps. Le corsaire soupira. Il trouva un reste de tabac à mâcher dans son paquet et mastiqua nerveusement.

“Bon, maintenant, la question à mille kœrn : on est où ?”

 Junther, comme piqué par un taon, bondit au fond de la cabine, envoya valser les gonds du gros coffre et sortit un rouleau de papier vierge.

“On a passé le cap des Manchots voilà quatre semaines, et on vogue à six nœuds en moyenne. Plein sud-ouest. Malgré la tempête, on a gardé un cap à peu près fixe.”

 L’Obermaistre saisit une plume d’autruche, plongea délicatement la pointe dans son encrier, dessina une flèche en haut à droite du parchemin, qu’il accompagna de la mention Cap des Manchots. D’un mouvement sec, il esquissa la forme de la bande de terre aperçue deux jours auparavant.

 Un gros caillou grisâtre, perdu au milieu de l'Océan, sur lequel pas un arbre n’avait daigné prendre racine.

 Enfin, il rapprocha sa main du centre du parchemin, et esquissa finement la côte de l’île qu’ils étaient en train de longer. Il tremblait d’excitation.

“Tu te rends compte, Gus ?"

 L’intéressé leva un sourcil.

"Ce que cette aventure va nous rapporter, c’est plus qu’une bourse bien remplie !

  • Quoi donc ? fit Augustin, incrédule.
  • Allons, ne me dis pas que tu n’as toujours pas compris ! Ce qu’on chasse, ce n’est plus qu’une poignée de poisseux, non ! Songe aux futures îles Augustin Menezruz, aux isthmes, aux caps, aux villes, une flopée de Saint-Augustin-Menezruz partout fondées en ton honneur ! Et moi, alors ? Si ce qui se présente à nous est un continent, alors nos descendants iront peut-être un jour émigrer en Juntheria ! Des écoles navales porteront mon nom ; dans tous les Duchés, on érigera des statues à mon effigie. C’est l’éternité qui s’offre à nous !”

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Virgoh-Vertigo ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0