III.
Junther et Augustin n’eurent le loisir de sentir une terre ferme sous leurs pieds. En effet, dès l’instant où ils quittaient les bandes de sable mou, où s’arrêtait la mer, un sol brûlant se mettait à faire bouillir leurs voûtes plantaires. Leurs nuques dégarnies étaient également sans cesse fouettées par l’astre de feu. Les bienfaits d’une eau fraîche sur la peau s’estompaient en l’espace de quelques secondes à peine.
Junther distingua un espace enfoncé dans la falaise, derrière un rocher. Seul coin d’ombre dans cet océan de lumière.
“Tu as encore des armes ? demanda-t-il.
- Mon couteau du service”, répondit Augustin.
Il déboutonna le haut de sa chemise, et révéla, confortablement fourré dans sa gaine de cuir, le manche strié d’inscriptions chechnides. Sa seule véritable amante, la seule digne de l’accompagner dans sa tombe.
“Et toi ?” demanda Augustin.
Junther leva les bras en l’air et soupira.
“Après, je doute qu’un ours décide de se planquer dans ce genre d’endroit.”
En effet, tout autour d’eux, seules quelques mousses avaient réussi à coloniser les rocs constamment léchés par les eaux. À part ça, cette terre de plomb restait indomptée par la vie.
“Va falloir courir, t’es prêt ?”
Junther se tortilla d’appréhension, inspira, expira, et se lança à toute allure sur le sable bouillant. Augustin fut pris de court et le poursuivit, à son tour, d’un pas maladroit.
Cette plage était un véritable enfer pour va-nu-pieds ; chaque pas donnait aux marins l’impression de fouler un parterre de charbons ardents. Sauf qu’au lieu de devenir moines du Ciel sait quelle secte bizarre, où ils seraient au moins nourris et blanchis, leur seule récompense serait de s’enfermer comme deux gros rats dans la seule oasis de fraîcheur offerte par la Nature.
Une espèce de gros trou noir, installé là, au milieu de cet enfer solaire, valait autant si ce n’est plus qu’un bon lit douillet. Ils n’allaient pas s’en plaindre. Junther claqua dans ses mains pour faire fuir les bestioles qui, sait-on jamais, auraient décidé d’y élire domicile, puis il en éprouva les parois à bout de bras.
Tandis qu’Augustin restait sur le pas de la caverne, à observer l’extérieur, Junther poussa un “hi !” à sonner n’importe quelle chauve-souris.
“Qu’est-ce qu’il y a ?
- Là, un…”
Il frissonna.
“Ça mord ? demanda Augustin.
- N… non !
- Ça griffe ?
- Je… non…
- Alors dans ce cas, on risque pas grand-chose. C’est gros ?
- J’ai pas l’impression, répondit Junther en poussant la chose du pied. Enfin, on va devoir s’y mettre à deux.”
Augustin s’agenouilla devant la chose et l’empoigna sans la moindre hésitation.
“Bah ! Un malchanceux. Je prends les épaules, tu prends les chevilles… Prêt ?
- Prêt !
- Allez, un effort…”
Pas bien épais, ledit malchanceux. Ses épaules flottaient dans un tissu bien trop large. Les deux amis le déposèrent à proximité de l’entrée de la caverne et découvrirent un visage rond, hirsute, dominé par un nez de la taille d’une péninsule. Des dents grignotées par le scorbut.
Alors même que Junther et lui étaient perdus au milieu de nulle-part, que cela n’augurait rien de bon, Augustin ne put s’empêcher d’esquisser un sourire. Son camarade avait eu raison. Il aurait suffi d’un temps moins capricieux, et ils les auraient eus à l’usure, les sagouins !
Junther s’égarait dans des souvenirs de ses cours de nutrition, se rappelait la voix de son professeur, rappelant les bienfaits des agrumes.
Le pirate avait dû en baver. Ses gencives, bouffées par la maladie, éteignirent tout espoir de retrouver des vivres échoués.
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