IV.

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 Un ras-de-marée de flammes. C’était l’image qu’inspira le crépuscule à Junther. L’Océan semblait recouvert d’une épaisse couche de pétrole, sur laquelle un navire fou aurait projeté une étincelle.

 Dans cette semi-pénombre, cependant, la terre avait repris son souffle. La fraîcheur de l’eau sur le sable se maintenait enfin. Du sommet des falaises, on entendait parfois les échos de cris d’oiseaux inconnus.

 Les deux marins posèrent leurs pieds cloqués d’abord avec méfiance, et puis ils se rendirent compte que la voie était libre. Il ne fallait pas le leur dire deux fois. Habitués à voir le soleil filer comme une boule de pétanque derrière l’horizon, les deux amis profitèrent du peu de temps de lumière restant pour filer sur les hauteurs.

 En vérité - encore chamboulés par le naufrage, ils ne l’avaient pas distingué - les sentiers creusés dans la roche abondaient. Les deux marins, harcelés par les cloques sous leurs pieds, choisirent celui à l’apparence la plus lisse et se retrouvèrent en quelques foulées à surplomber les rocs sur lesquels ils s’étaient écrasés. Disséminées comme autant de petits cailloux pour éviter aux enfants de se perdre, des crottes d’oiseaux formaient un chemin qui pointait vers l’ouest.

 Les deux amis cheminèrent un instant, toujours écrasés par cette couverture ensanglantée étendue au-dessus de leurs têtes. Le Soleil leur sembla tarder à filer dormir. À moins que cela ne fusse l’ennui. Dans cette monotonie rocailleuse, tout leur parut figé.

 Et puis ils tombèrent sur de la vie. Oh, pas grand-chose, mais cela valait déjà mieux que les traînées de guano. Une plante à épines, cousine apparente d’un chardon, plantée comme une épée sacrée dans un roc. Tige hérissée de petites aiguilles fines, fleur d’un rose pâle comme une aristocrate.

 Si le petit végétal avait su comprendre les hommes, il aurait vu à quel point sa découverte fit du bien à Junther et Augustin.

 Ainsi, la Terre de Plomb n’était pas qu’un enfer interminable.

 Les deux hommes, au mépris des picotements provoqués par les cloques, reprirent leur marche de plus belle.

 Bientôt, une congénère du chardon, plus élancée, se présenta à eux. Suivie d’une troisième. Enfin, au bout d’un sentier qui n’en finissait pas de descendre, ils découvrirent une prairie - plus exactement un grand terrain vague constellé de mauvaises herbes -.

 La silhouette d’un ovin, dessinée par le Soleil déclinant.

“Tu penses que… ?” demanda Junther, la bouche engloutie.

 Augustin sourit. Tel un chat, il se mit à ramper, manche de son couteau dans le bec, vers l’espèce de mouton ou de chèvre devant lui. L’obscurité ne lui permit pas tout à fait d’en deviner l’espèce, mais, enfin, ça restait une poche d’espoir.

 Pas après pas, il s’approcha d’un rocher un peu plus haut que la bestiole. L’absence de vent jouait en sa faveur. Il inspira profondément, ignora la douleur dans ses membres, et s’élança sur l’animal.

 Le pauvre ovin eut à peine le temps d’esquisser un pas qu’une lame furieuse martelait son échine. Elle eut tout juste le temps de lui envoyer un sale coup de cornes dans son abdomen, mais le marin affamé tint bon.

 Junther jura s’être retrouvé en face de ces félins orientaux, aux canines longues comme des lames de poignards, qu’il avait aperçu empaillés dans les collections de l’Université de Gahardenne. Après s’être assuré d’avoir percé la biquette en long, en large et en travers, Augustin rangea finalement sa lame colérique et invita son ami à tâter de l’élixir de vie qui jaillissait en petits filets généreux par les différentes crevures.

 Comme deux vampires improvisés, toisés par la Lune majeure, les marins engloutirent la moitié de la carcasse, et trouvèrent un endroit où se reposer.

 Junther débusqua un roc mousseux, en bas de la clairière, et proposa de s’y installer pour la nuit.

 Le plus impressionnant, sur cette terre de malheur, était le silence absolu qui pesait sur la nuit. Déjà loin était le temps où les deux amis se plaignaient du concert de coassements qui s’élevait dans les campagnes boueuses. Pas de cri de chien sénile, de chant des grillons, de ronflements tonitruants. Rien que le murmure distant des moustiques, et puis ce silence. Cette noirceur, qui suintait partout comme le noir de cette terre.

 Autant dire que, seuls au monde, les deux amis ne purent fermer les yeux de la nuit.

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